“C’est davantage dans sa dimension « politique » que l’éthique publique présente un intérêt pour les territoires” (1/2)

Publiée le 2 juin 2022 à 14h33 - par

Entretien avec Mathias Amilhat, Universitaire, Directeur du département éthique publique au sein de l'Observatoire de l'éthique publique, autour des risques, des responsabilités et de la déontologie des acteurs et élus locaux.
“C'est davantage dans sa dimension "politique" que l'éthique publique présente un intérêt pour les territoires” (1/2)

Vous exercez des responsabilités importantes au sein de l’Observatoire de l’éthique publique. En quoi l’éthique publique peut-elle être un atout pour le développement des territoires ? La réforme du délit de prise illégale d’intérêts constitue-t-elle un progrès de ce point de vue ?

L’éthique publique est généralement envisagée dans sa dimension préventive. Les territoires sont devenus des lieux essentiels pour l’exercice du pouvoir, en particulier au travers des collectivités territoriales et des établissements de coopération intercommunale. Or, les manquements à l’éthique peuvent entraîner des conséquences importantes pour les élus : ils peuvent tout aussi bien entraîner une condamnation pénale, conduire à leur démission ou empêcher leur réélection. Les manquements au devoir de probité sont d’ailleurs clairement sanctionnés par le Code pénal (art. 432-10 à 432-16). Pour écarter ces risques, les acteurs locaux ont donc tout intérêt à développer l’éthique publique dans sa dimension préventive. Mais c’est davantage dans sa dimension « politique » que l’éthique publique présente un intérêt pour les territoires : revendiquer une démarche éthique c’est renforcer son image auprès des électeurs et des administrés. D’ailleurs, il est de plus en plus question d’éthique sociale et d’éthique environnementale au niveau local. Dans le premier cas, il s’agit de mener des politiques qui permettent le développement de l’emploi et des activités au sein d’un territoire. Dans le second c’est la protection de l’environnement local qui est recherchée par et au travers des politiques menées.

La réforme du délit de prise illégale d’intérêts s’inscrit dans la dimension préventive précédemment évoquée. Elle étend le champ d’application de ce délit et devrait conduire à sanctionner davantage de comportements. Dans une démarche constructive telle que celle portée par l’OEP, ce n’est pas la sanction qui importe mais les dispositifs de prévention qui peuvent en résulter. La réforme constituera un progrès si elle permet de renforcer les dispositifs de prévention en la matière.

Vous avez appelé à un contrôle effectif de l’emploi des subventions locales aux associations. Quels sont les manques en la matière ? Quels sont les remèdes ?

Les carences dans le contrôle des subventions locales versées aux associations ne concernent pas toutes les subventions versées. Dans notre Livre blanc « Rénover la démocratie régionale », nous rappelons que la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique (modifiant en ce sens la loi DCRA du 12 avril 2000) n’impose la déclaration des subventions versées aux association et la conclusion d’une convention pour contrôler leur bon usage qu’au-delà d’un certain seuil. Il s’agit d’une avancée en matière de transparence mais elle n’est pas suffisante.

Le seuil actuel est de 23 000 €. Cela laisse une marge de manœuvre importante aux autorités publiques, notamment locales. Afin de garantir l’indépendance des associations et d’éviter les soupçons de clientélisme auprès de certaines d’entre elles (fédérations de chasse, clubs sportifs…), un contrôle est nécessaire. En ce sens, la loi 3DS (loi n° 2022-217 du 21 février 2022) est venue corriger le dispositif à la marge (art. 165) en modifiant la loi DCRA du 12 avril 2000 (art. 10). Désormais, lorsqu’une autorité « attribue à un même organisme plusieurs subventions dont le montant cumulé au cours des douze derniers mois civils dépasse le seuil » les obligations de publication des données essentielles des subventions accordées sont les mêmes qu’au-delà du seuil de 23 000 €. Il est cependant nécessaire d’aller plus loin et nous proposons que les collectivités territoriales créent un fonds spécifique « subventions associations » et une commission composée paritairement d’élus et de citoyens. Celle-ci serait chargée d’attribuer les subventions aux associations lorsqu’elles sont inférieures à 23 000 € et ses travaux devraient être rendus publics.

Il faudrait demander aux élus de communiquer tout au long de la mandature les liens d’intérêts pour lesquels ils souhaitent être signalés au titre de la prévention des conflits d’intérêts

Afin d’éviter les conflits d’intérêts en matière de commande publique, l’OEP avait proposé la mise en place d’un « système de déports efficace et visible ». Où en est-on ?

Les réformes n’ont pas suffisamment avancé sur ce point. Il faut rappeler que la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 (art. 2) interdit aux titulaires de fonctions exécutives locales et aux élus titulaires d’une délégation de signature de prendre part au processus décisionnel lorsqu’ils estiment se trouver dans une situation de conflit d’intérêts. En ce sens, le décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014 (art. 5 et 6) organise des dispositifs préventifs : les élus doivent déclarer les potentiels conflits d’intérêts en début de mandature et des arrêtés de déport doivent être adoptés pour organiser le remplacement des élus empêchés. Pour assurer l’effectivité de ces obligations de déport, nous proposons d’améliorer le système de déport existant pour qu’il soit plus efficace et accessible aux citoyens. Il faudrait demander aux élus de communiquer tout au long de la mandature les liens d’intérêts pour lesquels ils souhaitent être signalés au titre de la prévention des conflits d’intérêts et rassembler les arrêtés de déport dans un registre publié en ligne.

Ce renforcement du dispositif existant pourrait reposer sur le référent déontologue au niveau des collectivités territoriales. La loi 3DS a renforcé la place de ce référent en consacrant le droit pour tout élu de le consulter, notamment en matière de conflits d’intérêts (art. L. 1111-1-1 du CGCT). Un décret en Conseil d’État doit venir préciser les modalités de désignation des référents déontologues. L’OEP propose cependant d’aller plus loin en confiant un rôle plus significatif à cette autorité et en renforçant ses fonctions. Nous venons d’ailleurs de publier un projet de décret en ce sens.

Enfin, s’agissant plus spécifiquement de la commande publique, il faut préciser que la loi 3DS n’a malheureusement pas permis de renforcer les mécanismes de prévention des conflits d’intérêts. Elle est même allée dans un sens quelque peu contraire (art. 217) en assouplissant les règles applicables aux élus locaux qui représentent leur collectivité ou leur groupement de collectivités au sein d’une personne morale de droit public ou de droit privé en application de la loi (SEML, association, établissement public…). Le CGCT précise désormais que ces élus « ne sont pas considérés, du seul fait de cette désignation, comme ayant un intérêt […] lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur une affaire intéressant la personne morale concernée ou lorsque l’organe décisionnel de la personne morale concernée se prononce sur une affaire intéressant la collectivité territoriale ou le groupement représenté ». Des règles de déport continuent cependant de s’appliquer à ces représentants lorsque la collectivité ou le groupement où ils sont élus prennent certaines décisions, notamment celles « attribuant à la personne morale concernée un contrat de la commande publique, une garantie d’emprunt ou une aide ». Il leur est également interdit de participer aux commissions d’appel d’offres dans ce cas (CGCT, art. L. 1111-6).

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant, Professeur à l’Université du Maine, Membre de l’IUF

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