“La compliance est de plus en plus utilisée dans le secteur public” (2/2)

Publiée le 9 juin 2022 à 8h15 - par

Entretien avec Mathias Amilhat, Universitaire, Directeur du département éthique publique au sein de l'Observatoire de l'éthique publique, autour des risques, des responsabilités et de la déontologie des élus et acteurs locaux.
“La compliance est de plus en plus utilisée dans le secteur public” (2/2)

Plusieurs élus locaux ont été considérés comme « entrepreneurs de services municipaux » et déclarés inéligibles de ce fait. De quoi s’agit-il ? La loi 3DS répond-elle aux attentes des acteurs territoriaux de ce point de vue ?

L’article L. 231 du Code électoral établit une liste des personnes qui ne peuvent pas être élues comme conseillers municipaux « dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois ». Parmi les fonctions envisagées, cet article précise que sont concernés « les comptables des deniers communaux agissant en qualité de fonctionnaire et les entrepreneurs de services municipaux ». Il s’agit d’une notion interprétée largement en jurisprudence et qui interdit donc à un certain nombre de prestataires d’être élus conseillers municipaux. Récemment, le Conseil d’État a par exemple considéré que le titulaire d’un contrat de déneigement avec une commune est inéligible au conseil municipal de celle-ci, nonobstant le caractère saisonnier des prestations fournies et le fait qu’une seule facture d’un montant de moins de 500 € ait été émise l’année précédant l’élection (Conseil d’État, 21 décembre 2021, n° 445969). Cette disposition vise à prévenir les conflits d’intérêts mais son interprétation stricte est dénoncée par les acteurs territoriaux. Or, cette question ne fait pas partie de celles envisagées par la loi 3DS.

L’impossibilité de faire de l’achat local relève donc en grande partie du mythe.

Les élus locaux se plaignent régulièrement du poids des normes qui limitent leur action, notamment pour soutenir les opérateurs économiques locaux via la commande publique. La déontologie leur interdit-elle toute initiative en la matière ?

C’est un sujet récurrent, qui est également apparu au cours de l’élection présidentielle. Deux réalités doivent être rappelées. La première est que, pour les marchés inférieurs aux seuils des procédures formalisées (i. e. les seuils européens), la pratique révèle que ce sont majoritairement des opérateurs économiques locaux qui sont désignés comme attributaires. L’impossibilité de faire de l’achat local relève donc en grande partie du mythe. De plus, au-delà de ces seuils, si des opérateurs étrangers peuvent candidater aux contrats « français », il ne faut pas oublier que cela permet réciproquement aux opérateurs « français » de candidater et d’obtenir des contrats à l’étranger. La seconde réalité est que le droit de la commande publique n’a pas pour objectif de limiter l’action des élus mais d’assurer le respect des principes fondamentaux de la commande publique et l’atteinte des objectifs que sont l’efficacité de la commande publique, la bonne utilisation des deniers publics et, désormais, les objectifs de développement durable (article L. 3 et L. 3-1 du CCP). Pour le dire autrement, les règles de publicité et de mise en concurrence visent à s’assurer que l’attribution des contrats n’est pas décidée de manière arbitraire.

Surtout, cela ne signifie pas que les élus locaux ne disposent d’aucune marge de manœuvre. L’intégration des objectifs de développement durable permet d’axer la commande publique vers des achats en circuit court. En mettant l’achat public au service de politiques, le « localisme » s’impose naturellement et de manière légale. L’ingénierie contractuelle permet d’atteindre les objectifs fixés par les élus, libre à eux de s’en saisir.

Quelle est la cartographie des principaux risques qui pèsent sur les élus locaux au regard des enjeux du développement local ? En quoi la compliance peut-elle permettre de les amoindrir ? Les chartes éthiques sont-elles également une solution ?

En matière de risques, il faut distinguer les risques pour les collectivités et établissements locaux en tant que tels, des risques qui pèsent sur les élus locaux. La réalisation d’une cartographie des risques est nécessaire sur ces deux aspects mais son contenu diffère. S’agissant des élus, le risque principal est essentiellement d’ordre pénal. Le Code pénal définit une série de délits identifiés comme « des manquements au devoir de probité » : la concussion (article L. 432-10), la corruption passive et le trafic d’influence (article L. 432-11), la prise illégale d’intérêts (article L. 432-12 à L. 432-13), le délit d’octroi d’avantage injustifié dans le cadre de la commande publique (article L. 432-14), ainsi que la soustraction et le détournement de biens (article L. 432-15).

La compliance est de plus en plus utilisée dans le secteur public, et notamment au sein des collectivités territoriales. Dans le secteur privé, elle désigne un ensemble de techniques et de procédures développées au sein d’une entreprise pour s’assurer que l’entreprise en tant qu’entité, mais aussi ses dirigeants et ses employés, respectent les normes juridiques et éthiques qui leur sont applicables. Appliquée aux entités publiques, elle permet de définir un certain nombre de procédures ou règles internes à l’institution concernée pour s’assurer que les risques soient écartés au maximum. Généralement, l’identification de ces risques repose sur une « cartographie des risques ».

Parmi les outils de la compliance publique, les chartes constituent un instrument essentiel, qu’elles soient ou non qualifiées d’éthiques. Elles constituent un instrument de compliance mais ne sont pas toujours satisfaisantes, soit parce qu’elles ne font que reprendre la réglementation sans développer des procédures et règles propres, soit parce qu’elles ne sont pas suffisamment adaptées à l’institution qui les met en place. Elles conduisent souvent à une énumération des risques et des règles qui doivent être respectées. En réalité, les chartes ne sont efficaces que si elles sont suffisamment bien rédigées, mais c’est un trait commun aux différents outils de compliance.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant, Professeur à l’Université du Maine, Membre de l’IUF

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