« Inscrire dans la Constitution le principe “qui décide, paie” »

Publiée le 20 décembre 2022 à 9h00 - par

Entretien avec Agnès Canayer, sénatrice de Seine-Maritime (Normandie), co-auteure du rapport d'information sénatorial « À la recherche de l'État dans les territoires ».

Le groupe de travail sur la décentralisation, avec l’ensemble des groupes politiques du Sénat, a en 2020 rendu publiques 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales. Laquelle ou lesquelles méritent selon vous l’attention ?

Une des propositions majeures, puisqu’elle permet de faire émerger les autres, c’est la proposition numéro 2 ! Inscrire dans la Constitution le principe « qui décide, paie ». Mais, je ne peux pas oublier les propositions essentielles qui touchent à la déconcentration. J’ai été rapporteure cette année d’une mission d’information sur « l’État dans les territoires ». Les propositions 33, 34, 35, 36 et 37 vont dans le sens de notre mission avec le renforcement du rôle du préfet de département et surtout de l’importance d’un accompagnement des services déconcentrés de l’État pour les élus locaux.

Plus globalement, toutes les propositions forment le squelette législatif qui amplifierait les moyens d’action dans chaque collectivité. De plus, nous proposions de faciliter les coopérations entre les collectivités territoriales, d’accorder un droit à la différenciation dans le respect de l’unité nationale, de simplifier la subsidiarité afin de mieux organiser les politiques de proximité.

Malheureusement, la loi  3DS de février 2022 « Décentralisation, Déconcentration, Différenciation et Diverses mesures de simplifications », qui était fortement attendue par les élus locaux, n’a pas été à la hauteur des attentes sur le terrain.

Aujourd’hui, je le vois régulièrement sur le terrain à la rencontre des maires, l’action est toujours entravée par des procédures complexes et l’impossibilité d’adapter les politiques publiques aux spécificités des territoires.

Pour reprendre les mots du président de l’Association des Maires de France (AMF), David Lisnard, il faut un « nouveau choc de décentralisation ».

« La loi 3DS n’a pas été à la hauteur des attentes sur le terrain »

Les DG d’intercommunalités ont récemment annoncé vouloir repenser la fiscalité locale. Comment devrait selon vous être assuré le financement de l’action publique locale à l’heure où les crises se multiplient et où elles pèsent sur les budgets locaux – alors qu’ils devront être de plus en plus mobilisés pour faire face à la transition écologique ?

Il y a des crises qui doivent amener une réponse nationale. L’État doit être un bouclier pour les collectivités territoriales. On le voit dans la crise Ukrainienne et de l’énergie. Les collectivités territoriales ne peuvent être la variable d’ajustement des comptes publics surtout lorsque vous touchez déjà aux libertés fiscales locales.

Les velléités de suppressions d’impôts de productions, la création de pactes de stabilités (nouveaux contrats de Cahors), la fin de la taxe d’habitation cumulés avec des obligations nationales contraignantes comme la Défense extérieure contre l’incendie (DECI), les Zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) ou le Zéro artificialisation nette (ZAN) pèsent fortement sur toutes les décisions locales. Repenser la fiscalité locale passe donc par la logique toujours défendue au Sénat : Qui décide, paie ! Il faut alors une véritable garantie de l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales.

La première Ministre a présenté les CRTE non comme « des points d’aboutissement » mais « une base [à] enrichir et densifier ensemble ». Que pensez-vous de ce nouvel outil ? Quelles sont ses atouts et ses inconvénients selon vous ?

La pertinence des Contrats de relance et de transition écologique (CRTE) vient d’une nécessité de relance post-Covid-19 afin d’associer l’ensemble des territoires au plan de France relance. Cependant, leur pérennité pose questions. Ils ont été présentés comme des outils devant permettre d’assurer un soutien de l’État aux priorités définies dans le projet de territoire, sur toute la durée du mandat local.

Près de 18 mois après sa mise en œuvre, l’association des Maires de France a réalisé une enquête auprès des différents territoires, le résultat est très mitigé en fonction de la taille des intercommunalités. Pour les plus petites structures, il est perçu tout d’abord comme un travail supplémentaire et plus particulièrement en termes d’ingénierie. Ensuite, c’est encore un énième contrat qui vient se superposer aux autres, alors qu’il avait comme objectif de centraliser les appels à projet épars (comme la transition écologique) et ce qui n’a pas été le cas.

Les collectivités doivent donc toujours surveiller les différents appels à projet, déposer leurs dossiers et en plus veiller à l’inscription de leurs projets dans le CRTE. Mais le travail engendré par cette inscription ne permet pas de financement supplémentaire puisqu’il n’existe pas d’enveloppe spécifiquement dédiée aux CRTE.

Je pense alors qu’il faut avant tout une clarification et une simplification à l’échelle locale entre les multiples schémas, plans et contrats.

Vous avez co-signé il y a quelques semaines le rapport « Où est passé l’État territorial ? » que vous venez d’évoquer. Alors : où est-il selon vous et surtout où devrait-il être ?

Je vais reprendre une phrase qui dit beaucoup de chose : « C’est le même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche » disait Odilon Barrot il y a deux siècles.

Cette image du rôle des préfets comme acteurs de la proximité de l’État est toujours d’actualité. Le préfet est le bras armé de l’État territorial. Il incarne l’État au plus proche des administrés. Le débat sur l’État territorial, des services déconcentrés, de la décentralisation est ancien. Son organisation et sa présence sur le territoire sont un enjeu de pouvoir, d’influence et de performance.

À mesure du mouvement de décentralisation impulsé dans les années 1980, l’administration territoriale de la République a évolué avec l’émergence des collectivités territoriales. Cette consécration fait apparaître le lien indéfectible, entre l’État et ses services déconcentrés, d’une part, et les collectivités territoriales, d’autre part. La bonne santé du  partenariat Collectivités-État, aujourd’hui consacrée par le couple Maire-Préfet, conditionne la qualité des politiques publiques, l’exercice des droits et la bonne gestion des ressources publiques au profit des citoyens.

Aujourd’hui la réflexion doit porter sur le rôle même de l’État territorial. Comment rompre avec le sentiment d’abandon des agents et des usagers et rétablir la confiance en un État territorial performant ? Comment mieux associer les élus de terrain aux transformations et leur redonner de la lisibilité sur l’action de l’État ? Comment donner une cohérence à l’enchevêtrement des réformes successives ? Jamais évaluées et empilées, les unes après les autres.

« L’État déconcentré doit d’abord ancrer le préfet au cœur de l’État territorial. La crise sanitaire a souligné les bénéfices du couple Maire-Préfet »

Avec mon collègue, Éric Kerrouche, nous avons récemment rendu le rapport d’information « À la recherche de l’État dans les territoires », au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Nous nous sommes d’abord fondés sur une large consultation tant d’élus des territoires que d’agents de l’État, nous avons étayé ce que nous déplorons, depuis longtemps, au Sénat : une succession de réformes administratives, depuis 15 ans, qui transforment sans inclure suffisamment les acteurs concernés. Près de 4 élus sur 5 estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux dernières réformes des services déconcentrés de l’État. De même, 43 % des préfets et sous-préfets consultés ont le même sentiment.

Le diagnostic est cinglant. L’État est à la peine face aux attentes des élus locaux. La moitié des maires de moins de 1 000 habitants estime que l’offre de services publics sur leur territoire est défaillante. Un nombre croissant de communes se tourne vers le département, l’intercommunalité ou le secteur privé en matière d’ingénierie territoriale.

Pour mettre fin à une situation qui se détériore, l’État déconcentré doit d’abord ancrer le préfet au cœur de l’État territorial. La crise sanitaire a souligné les bénéfices du couple Maire-Préfet. Il est nécessaire que le préfet connaisse le territoire en y restant plusieurs années et qu’il dispose, en période de crise, de l’ensemble des services de l’État. Et surtout, qu’il soit délégué territorial de toutes les agences de l’État.

De plus, il est temps d’« instaurer une relation de confiance avec les élus locaux avec plus de transparence dans l’attribution des subventions de l’État (DETR, DSIL) et une évaluation des préfets par les maires. Il faut enfin s’assurer d’une présence territoriale adaptée avec une permanence physique garantie dans les locaux des préfectures et sous-préfectures pour lutter contre la fracture numérique, une refonte des schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public, le dédoublement expérimental des fonctions de préfet de région et de département ainsi que de secrétaire général de préfecture et de sous-préfet d’arrondissement…

La crise sanitaire a montré l’échec des mécanismes tels que les conférences territoriales de l’action publique (CTAP) censées assurer la coordination des territoires. La loi 3DS s’est efforcée d’y remédier. Quelle est son apport ?

La loi 3DS a eu le mérite de revoir les mécanismes de ces conférences devenues des « coquilles vides ». Le Sénat a souvent critiqué l’inefficacité des CTAP, instances pléthoriques qui ne permettent pas un dialogue concret entre collectivités sur l’exercice des compétences qui leur sont dévolues. Heureusement, la loi 3DS a permis la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements de déterminer la composition des CTAP. Par conséquent à compter du 1er janvier 2025, cette composition sera désormais déterminée par délibérations concordantes du conseil régional et de l’ensemble des conseils départementaux, après avis favorable de la majorité des conseils municipaux et des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre existants dans le ressort régional. Aussi, le Sénat a souhaité le renforcement des conférences territoriales de l’action publique (CTAP), en les positionnant comme un lieu de décision des délégations de compétences entre collectivités, autour de projets structurants.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant, Professeur à l’Université du Maine, Membre de l’IUF

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