Décentralisation : il faudrait des instances de coordination entre l’État et les collectivités

Publiée le 14 mars 2022 à 8h30 - par

Romain Pasquier, Directeur de recherche au CNRS (laboratoire Arènes), Titulaire de la chaire "Territoires et mutations de l'action publique" de Sciences Po Rennes, a accepté d'éclairer la rédaction de WEKA sur quarante ans de décentralisation.
Décentralisation : il faudrait des instances de coordination entre l'État et les collectivités

Quel parallèle peut-on faire entre ces deux lois de décentralisation, que quarante ans séparent ?

Ce ne sont pas des lois de la même importance. En 1982, le texte mettait fin à la tutelle préfectorale, conférait une autonomie administrative aux collectivités et créait une nouvelle autorité territoriale avec les régions. Il s’agissait d’un acte de décentralisation novateur, qui changeait la face de l’État français tel qu’il avait été conçu depuis la fin du XIXe siècle. La loi 3DS est un texte d’ajustement postérieur au grand débat et aux gilets jaunes, qui a failli ne pas advenir et qui se révèle extrêmement technique et un peu fourre-tout. Mis à part le mot « différenciation », rien de ce que promulgue la loi 3DS ne changera le modèle français de gouvernance publique. Quarante ans plus tard, c’est décevant. J’ai envie de dire : « tout ça pour ça »… Si après quarante ans, on en est à voter ce type de loi technique, c’est qu’il y a un déficit de confiance majeur entre l’État central et les collectivités territoriales, qui ne sont ni l’un ni les autres matures pour engager la construction de l’État français du XXIe siècle.

Quelles sont les lacunes dans les relations entre l’État et les collectivités ?

On a loupé notre décentralisation : elle est inachevée et il y a un gouvernement à distance de l’État qui crée des frustrations. L’État a décentralisé un certain nombre de compétences, mais il ne cesse de revenir dessus. Il n’existe aucune instance de coordination entre l’État et les collectivités territoriales – alors que la crise pandémique a montré les déficits de coordination et la faible réactivité de l’État. Quant aux compétences des collectivités, elles sont à la fois trop fragmentées (éducation, mobilité, transition écologique…) et trop faibles. On s’en remet à l’État et à son pouvoir normatif pour essayer de fabriquer de la cohésion, or cela ankylose le système… L’État intervient par le biais de la fiscalité et de la normalisation parce que la Constitution le lui permet. Mais l’inflation normative et réglementaire ralentit les procédures et les projets, et elle bride la réactivité de terrain des autorités locales.

Quelles seraient les pistes pour améliorer la décentralisation ?

Il faudrait un grand débat pour déterminer ce qui relève du régalien et du non-régalien, et transférer le non-régalien aux collectivités. Il conviendrait également de créer des instances de coordination fortes (notamment entre l’État et les régions) sur un certain nombre de compétences partagées clefs : éducation, transition énergétique et écologique, agriculture, transports, enseignement supérieur et recherche. Et un ministre devrait réunir chaque mois les présidents de régions sur ces questions. Je serais favorable à l’instauration d’un système semblable à ce qui existe chez certains de nos voisins (Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Suisse). À l’État, des compétences exclusives sur lesquelles il est le patron ; aux collectivités, des compétences exclusives sur lesquelles elles sont les patronnes ; et des compétences partagées. Avec des instances de coordination pour assurer une cohérence de l’action publique.

Pensez-vous que les collectivités soient prêtes à une nouvelle réforme de la décentralisation ?

Quarante ans plus tard, on ne reviendra pas sur la décentralisation, qui est protégée. Et on voit que l’État ne peut pas se passer des collectivités – pour le plan de relance, par exemple -, car plus de 70 % de l’investissement public est local. En outre, quand les collectivités s’occupent d’un service public, d’une compétence de proximité, elles le font bien. Elles sont réactives. On a vu, pendant la pandémie, la capacité des mairies et des départements à créer des centres de vaccination ou organiser l’aide alimentaire d’urgence, celle des régions à mettre en place des plans de financement pour soutenir les PME. Toutefois, on pourrait faire beaucoup mieux et pour sans doute beaucoup moins cher. Mais la majorité des collectivités – surtout les plus petites – ne sont pas prêtes à être autonomes. Leurs élus n’ont pas cette vision (la France n’est pas un État fédéral) et elles ne sont pas dotées des services capables de concevoir les dispositifs pour trouver les solutions réglementaires, techniques, etc. Les compétences s’accompagnent de responsabilités ; c’est ce que dit l’État et sur ce point, il a raison. Mais c’est un jeu de dupes : on transfère des compétences à des entités qui ne peuvent pas vraiment assumer ces responsabilités. Certes, tout cela mériterait une réforme d’ampleur, telle que l’on n’en a pas connu depuis 1982/1983, mais je crois que peu de gens auraient envie d’assumer ce coût politique…

Propos recueillis par Martine Courgnaud – Del Ry

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