Dans un communiqué du 1er avril dernier, le ministère de l’Éducation nationale déclarait que 6 800 enfants ukrainiens étaient actuellement scolarisés dans les écoles, collèges et lycées en France.
Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a récemment rappelé que tous les rectorats avaient mis en place des cellules de crise pour organiser cet accueil, qui constitue un véritable défi pour les collectivités au vu de sa soudaineté. Si la coordination globale relève des préfectures, la mise en place de la scolarisation des enfants suppose en effet un étroit partenariat entre les collectivités territoriales, les DASEN et les ressources locales pour s’assurer d’apporter des réponses adaptées aux besoins des enfants et familles. Entretien avec Marie-Christine Delaunay-Felix, Vice-présidente de l’Association Nationale des Directeurs et des Cadres de l’Éducation des Villes et des Collectivités Territoriales (ANDEV).
Comment l’intégration des élèves ukrainiens se déroule-t-elle, quelles sont les grandes étapes de leur scolarisation ?
L’ANDEV a sollicité ses adhérents pour identifier ce qui a pu être réalisé face à cette nécessité absolue de garantir une scolarisation à tous ces enfants accueillis dans l’urgence. 65 communes ont répondu dans un délai très contraint. Elles représentent une diversité de grandeur et de répartition géographique qui permet de proposer ici une synthèse des pratiques de terrain, sachant que des adaptations vont nécessairement se poursuivre avec probablement de nouvelles arrivées de familles et d’enfants dans les prochaines semaines.
Toutes les collectivités s’appuient sur les CCAS, services sociaux des conseils départementaux, et font état d’un fort partenariat avec les représentants locaux de l’Éducation nationale (DASEN, IEN, directions d’école) et particulièrement par la mobilisation des enseignants d’UPE2A ou des CASNAV.
40 % des collectivités qui ont répondu n’ont pas mis en place de protocole spécifique, mais ont spontanément assoupli les démarches administratives (preuve de domicile, vaccination) pour faire face à l’urgence de l’accueil des enfants et de leurs familles. Cela concerne l’inscription scolaire et au-delà, la restauration scolaire. Il est à noter que les collectivités qui ont déjà une politique éducative inclusive pour les enfants en très grande précarité poursuivent la pratique de gratuité des activités périscolaires et de la restauration scolaire comme pour tous les réfugiés, donc sans protocole spécifique.
Celles qui ont travaillé autour d’un protocole spécifique, près de 57 %, l’ont fait avec la Préfecture et les partenaires (Conseil départemental, association locale, parfois mandatée par la Préfecture pour l’accompagnement des ukrainiens, associations diverses venant en aide…). Des ressources sont mobilisées, depuis la traduction des documents d’accueil et d’informations d’urgence en ukrainien, à la mise à disposition d’interprètes, qui pour la plupart se sont spontanément portés volontaires auprès des collectivités. Ce qui permet d’accompagner les familles depuis l’inscription jusqu’aux échanges avec les enseignants.
Enfin, des collectivités proposent des prises en charge plus globale de la famille avec tous les partenaires du territoire, par la mise à disposition de logements, l’organisation d’accueil dans des familles, voire une prise en charge depuis la frontière polonaise et la scolarisation des enfants fait partie intégrante de l’accompagnement proposé.
Comme évoqué ci-avant, l’assouplissement des démarches ne concerne pas que l’inscription scolaire. C’est pourquoi la question a été posée de mettre en œuvre des dispositions spécifiques sur les temps péri et extrascolaires. Les tarifs les plus bas sont appliqués systématiquement pour la restauration scolaire, l’accueil périscolaire et extrascolaire, sachant que le temps de mercredi est souvent organisé autour de la prise en charge plus globale de la famille. Les nombreuses collectivités qui pratiquent la gratuité pour les quotients familiaux les plus faibles élargissent ce dispositif pour toute la fin de l’année scolaire dans un premier temps. Concernant l’offre extrascolaire, il est à noter que cela concerne également l’offre sportive et les transports pour en faciliter l’accès.
La grande majorité de ces élèves ne parlent pas le français ou très peu. Comment la barrière de la langue est-elle gérée ? Quels dispositifs spécifiques ont été mobilisés (associations, UPE2A, PRE…) ?
Les réponses sont très fortement liées à la présence ou non de classes UPE2A (Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants) et d’enseignants mis à disposition par l’Éducation nationale localement pour soutenir l’intégration de l’enfant. Mais il est aussi à noter que la plupart des communes, en étroite collaboration avec les IEN et directions d’école, prennent en compte la proximité de l’école avec le logement de la famille plutôt que les dispositifs internes à l’école. Une des difficultés est également liée au manque de places disponibles dans les UPE2A. Les CASNAV (Centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs) évaluent également ces besoins d’accompagnement. Les dispositifs comme OEPRE (Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants) sont fortement sollicités là où ils existent. À ce stade, les PRE (Programmes de réussite éducative), concentrés sur les quartiers politiques de la ville, ne sont pas identifiés comme ressources spécifiquement.
Existe-t-il des outils et ressources pour accompagner la scolarisation de ces enfants en situation de grande précarité ?
Lorsque la DIHAL et l’ANDEV ont ensemble initié un travail partenarial réunissant représentants de collectivités, d’associations d’élus et de l’UNICEF pour coproduire le livret Atout’scol, nous n’avions pas imaginé que nombre d’enfants réfugiés seraient accueillis en urgence dans les mois qui suivraient. Pragmatique et accessible, cet outil peut accompagner les organisations pour accueillir dans les meilleures conditions possibles ces enfants qui ne demandent qu’à poursuivre leur scolarité, comme tous les enfants. Alors n’hésitez pas à le télécharger, à vous en saisir, à le diffuser autour de vous.
Beaucoup parmi ces élèves sont traumatisés par le drame qu’ils ont traversé. Un suivi psychologique est-il mis en place pour les accompagner ?
Toujours en relation avec l’urgence et la soudaineté de l’arrivée des enfants ukrainiens réfugiés en France, peu de collectivités ont pu mobiliser des cellules psychologiques. Pour autant, les psychologues scolaires, les psychologues volontaires, les associations comme la Croix-Rouge, les CADA et autres partenaires locaux, se mettent à la disposition des familles et des équipes éducatives. Il s’agit en effet de prendre en charge la parole des enfants et de leurs familles qui aspirent à rentrer en Ukraine pour retrouver une « normalité » ou qui redoutent ce retour et ses conséquences.
Propos recueillis par Mariam El Habib