Le tourisme médical au cœur de la mondialisation

Publié le 3 mars 2015 à 17h18 - par

Soigner de riches étrangers en France permettrait de générer 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en cinq ans et de créer entre 25 000 et 30 000 emplois. C’est le sens de la conclusion d’un rapport de Jean de Kervasdoué, ancien directeur des hôpitaux, remis en juin 2014 aux ministres de la Santé et des Affaires étrangères, aujourd’hui disponible.

Soigner de riches étrangers en France permettrait de générer 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en cinq ans et de créer entre 25 000 et 30 000 emplois.

Le tourisme médical

Depuis le début des années 2000, de plus en plus de patients fortunés prennent un avion pour rejoindre un hôpital, à l’autre bout de la planète. Chaque année, quelque 3 millions de « touristes médicaux » se déplacent à l’étranger pour avoir une prothèse de hanche en Thaïlande, une reconstruction esthétique ou des soins dentaires en Hongrie, un cœur neuf en Inde… Le chiffre d’affaires, qui a atteint 79 milliards de dollars en 2010 et 100 milliards de dollars en 2012, est estimé à plus de 130 milliards en 2015.

Une vision au départ régionale mais aujourd’hui mondialisée

Les flux de patients depuis plusieurs années sont bien connus et ciblés. Le Mexique attire les patients américains, Miami, les résidents d’Amérique latine, la Thaïlande, l’Inde ou la Malaisie, l’Allemagne, les Asiatiques, la France, les Russes fortunés, les Africains nantis, etc. Ces destinations et d’autres sont privilégiées par ceux qui recherchent des traitements moins chers et souvent plus rapides que dans leur propre pays.

Devant la manne financière en jeu, de nombreux pays et hôpitaux se lancent sur ce « marché ». En Thaïlande, en 2012, plus de 2,5 millions de touristes médicaux ont été accueillis. En deux ans, le nombre de patients a augmenté d’un tiers et les recettes ont doublé pour atteindre quelque 4,2 milliards de dollars. En Turquie, un comité de tourisme médical a été créé et son directeur a lancé un programme de démolition de vieux hôpitaux pour les remplacer par des établissements destinés en priorité aux étrangers avec en ligne de mire, les clients des pays arabes et du Golfe. À Dubaï, une « zone franche médicale » a vu le jour, qui veut attirer la clientèle des pays voisins. La ville de Berlin a mis en place une ligne d’urgence spéciale pour les malades étrangers et leur famille, avec organisation de virées shopping, visites de musée… Le groupe allemand Vivantes a mis en place des « chambres confort » pour ses patients étrangers, avec personnel hôtelier aux petits soins… Le centre hospitalier privé Hygeia Group d’Athènes mise aussi sur le tourisme comme argument de vente : « les gens vont venir d’Asie, parce qu’ils veulent aussi voir l’Acropole ».

Les hôpitaux français sont partie prenante de ce mouvement

À l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy à Villejuif,  500 patients étrangers y sont accueillis, sur un total de 40 000. L’établissement visait 15 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014 sur ce segment. « On a une culture de l’accueil des patients qui viennent du Golfe », confie le directeur précisant que le paiement est « garanti par des États qui considèrent qu’ils n’ont pas les infrastructures pour prendre en charge ces patients ».

Près de la Tour Eiffel, la clinique de l’Alma ambitionne de faire monter à plus de 10 % le chiffre d’affaires lié à ces patients, notamment avec des chambres de grand standing et une restauration signée Lenôtre. L’hôpital public de Calais a lancé une campagne dans la presse du Kent (sud de l’Angleterre) pour attirer des « touristes » anglais. Le patient arrivera avec un formulaire signé de son médecin, sorte d’entente préalable du NHS, le service de santé britannique, auquel l’hôpital de Calais enverra ensuite la facture.

L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a signé, dès 2012, un accord avec une société implantée dans une dizaine de pays du Moyen-Orient « pour mieux organiser et développer l’accueil, payant, de patients étrangers en France ». Son directeur garde l’objectif de 1 % de patients étrangers aisés, qui pourraient rapporter huit millions d’euros en 2014, de quoi contribuer au renflouement des dettes et déficits. 3 000 patients fortunés des établissements parisiens devraient permettre de réduire de 15 % le déficit des hôpitaux parisiens.

Un rapport propose d’organiser ce mouvement dans notre pays

Le rapport de J. de Kervasdoué sur la valorisation des atouts de la France pour l’accueil des patients étrangers souligne l’apport financier et humain susceptible d’être généré en France par une politique incitative de prise en charge des patients étrangers et payants dans nos établissements de santé.

Les avantages soulignés sont l’entrée de devises, le renforcement de la réputation d’excellence de la médecine française et de l’humanité de sa prise en charge, le développement d’équipes de pointe dans des spécialités à forte valeur ajoutée (chirurgie, cancérologie…), l’amortissement plus rapide de certains plateaux médico-techniques…

Les freins sont nombreux : une séparation ordonnateur-comptable qui engendre des délais de plus d’un mois pour rembourser un trop perçu d’un patient étranger ; une réalisation de devis en trois jours contre quelques heures pour la concurrence nationale et internationale ; une publicité interdite y compris à l’étranger, faute de pouvoir créer une filiale commerciale ; des locaux certes prestigieux mais souvent « spartiates » voire « vétustes » ; des paramédicaux non formés aux langues étrangères…

Mais le principal frein reste culturel car « les soins sont en France considérés comme un bien public et pas comme un service marchand », et la crainte des citoyens que les médecins privilégient à terme les soins à ces riches patients plutôt qu’au patient « ordinaire ». « En témoigne la polémique suscitée en mai dernier par la privatisation d’un étage de l’hôpital parisien Ambroise Paré pour un riche émir », dixit le rapporteur.

Les propositions du rapport

La création d’un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) dénommé « Medical-France » est envisagée dès avril 2015, chargé de promouvoir, d’organiser et de contrôler la prise en charge des patients étrangers en France.

19 missions lui seraient assignées :

  • définir un cahier des charges des services, équipes ou hôpitaux aptes à accueillir des malades étrangers et leur donner un label ;
  • développer un portail numérique en six langues regroupant innovations thérapeutiques, sites et partenaires labellisés ;
  • valoriser la certification de la Haute Autorité de santé des établissements hospitaliers français ;
  • placer les équipes dans un contexte international concurrentiel ;
  • identifier un correspondant santé pour chaque ambassade des pays cibles ;
  • définir des cibles prioritaires (pays, grands comptes) ;
  • animer le réseau des médecins étrangers formés en France ;
  • faire évoluer la notion de « publicité » pour une équipe médicale ;
  • simplifier la procédure des visas pour les patients, familles et médecins étrangers ;
  • favoriser les contrats de gré à gré, université/hôpital français et université/hôpital étranger ;
  • autoriser certains hôpitaux publics à créer une filiale commerciale et une marque ;
  • définir une procédure de reconnaissance et de rémunération des intermédiaires ;
  • agréer des entreprises dédiées à une « conciergerie » spécialisée dans l’accueil des malades étrangers ;
  • favoriser l’ouverture de quelques hôtels haut de gamme spécialisés dans l’accueil de ces patients ;
  • former des médecins et paramédicaux à la pratique courante des langues étrangères ;
  • harmoniser le mode de calcul des forfaits ;
  • favoriser les liens entre assureurs français et étrangers ;
  • proposer des outils techniques pour améliorer les parcours de soins ;
  • s’assurer de la confidentialité des données médicales.

Pour en savoir plus :

DT.


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