Vidéoprotection : le Conseil d’État valide les algorithmes pour lire les images en temps différé

Publié le 9 avril 2024 à 9h30 - par

Coupler un logiciel d’intelligence artificielle et des caméras de vidéoprotection, pour relire en différé les images collectées sur une zone et un temps limités, ne porte pas atteinte aux libertés individuelles, selon le Conseil d’État. Il se prononçait le 21 décembre 2023 sur une affaire concernant la communauté de communes Cœur Côte Fleurie.

Vidéoprotection : le Conseil d'État valide les algorithmes pour lire les images en temps différé
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La communauté de communes Cœur-Côte fleurie* a été condamnée en référé, le 22 novembre 2023, pour son utilisation du logiciel de reconnaissance faciale Briefcam, couplé à une cinquantaine de caméras de vidéoprotection. Une dizaine d’organismes, dont la Ligue des droits de l’homme et le syndicat de la magistrature, demandaient que la collectivité débranche immédiatement ce logiciel et que les données à caractère personnel soient effacées des fichiers dans les cinq jours suivant la notification de l’ordonnance. Leur objectif : faire cesser « les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales ».

Saisi en appel par la communauté de communes, le Conseil d’État a annulé l’ordonnance de référé du tribunal administratif de Caen, le 21 décembre 2023.

La collectivité, qui abrite notamment Deauville, compte 70 % de résidences secondaires et voit circuler 15 000 véhicules par jour, d’où un taux élevé d’accidents et de cambriolages. « La police et la gendarmerie nous ont demandé de les doter de vidéoprotection et surtout d’outils d’analyse des images, par manque de personnel pour les visionner », a expliqué le directeur général des services de la communauté de communes, Marc Bourhis, le 28 mars 2024, lors de la 13e édition des États généraux des réseaux d’initiative publique (Egrip). Le dispositif, géré par la communauté de communes (CC), comporte environ deux cents caméras, qui relèvent soit de sa compétence, soit de celle des communes, avec des serveurs dédiés pour chacune d’entre elles. Les caméras couplées au logiciel algorithmique étaient situées principalement en périphérie, à des endroits stratégiques.

Le Conseil d’État relève d’abord que, même si l’atteinte à une liberté fondamentale (dont le droit au respect de la vie privée, qui comprend la protection des données personnelles et la liberté d’aller et venir) était avérée, cela ne suffirait pas à caractériser l’existence d’une situation d’urgence – et à justifier, donc, un jugement en référé.

Par ailleurs, bien que le logiciel litigieux dispose de fonctionnalités de reconnaissance faciale, usage légalement interdit, elles n’ont jamais été activées dans le ressort de la CC. À l’appui de sa défense, cette dernière a produit diverses attestations, provenant du préfet du Calvados, de la procureure de la République du tribunal judiciaire de Lisieux et des communes dont les services de police municipale utilisent les images des caméras dotées du logiciel. Ces communes précisaient que les fonctions de reconnaissance faciale et de détection des personnes n’ont pas été utilisées ni leur utilisation demandée. En outre, désactivées après le référé, elles sont devenues inutilisables, même en phase de test.

Il résulte de l’instruction que la CC utilise le module « Research » du logiciel à des fins purement statistiques sur la mobilité, en déterminant les flux de circulation sur les grands axes avec des résultats agrégés sur le nombre de véhicules, mais sans accès aux images.

Idem pour les fonctions d’analyse des images (module « Review »), qui permettent d’appliquer des filtres : sexe, taille, type de vêtements, analyse des comportements de déplacement… Le Conseil d’État note que « le logiciel n’est pas utilisé pour assurer, par la mise en œuvre de traitements algorithmiques, un suivi de manière automatisée des personnes ou détecter des événements et déclencher des alertes en temps réel ». Le dispositif n’est employé « que pour une relecture en différé, sur une zone et un temps limités, des images collectées par les caméras concernées, notamment en vue d’une analyse de véhicules et une recherche de plaques d’immatriculation, pour les besoins d’une enquête et participe au bon déroulement de celle-ci en réduisant les délais de lecture et d’exploitation de ces images ».

Maître Oriana Labruyère, qui a assuré la défense de la CC, a précisé que l’outil mis à la disposition des maires par la communauté de communes permet d’analyser plus rapidement des images collectées « avec de vieilles caméras idiotes et non intelligentes ». Mais attention, a poursuivi l’avocate, également vice-présidente de la communauté de communes de l’Orée de la Brie, « cette décision du Conseil d’État n’est pas le point d’orgue ni le point final de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la vidéoprotection. Elle a été prise dans le cadre du temps différé, pour ce cas d’usage ».

À l’audience, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) avait ainsi rappelé que le temps différé n’est pas aussi attentatoire aux libertés que le temps réel. Pour les communes dont le centre de supervision urbaine (CSU) visionne les images en temps réel, le débat reste ouvert.

Martine Courgnaud – Del Ry

* Calvados, 12 communes, 21 000 habitants

À l’occasion des Egrip, Infranum, la fédération des entreprises du numérique et l’AN2V (association nationale de la vidéoprotection) ont signé un partenariat. Les deux entités travailleront ensemble sur des sujets tels que la cybersécurité, et l’intelligence artificielle associée au traitement des images.


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