S’appuyant sur le rapport publié le 14 mai 2024 par la commission d’enquête du Sénat et consacré à l’impact du narcotrafic en France et aux mesures à prendre pour y remédier1, les Sénateurs Étienne Blanc et Jérôme Durain ont déposé, le 12 juillet 2024, une proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
Cette proposition de loi a été adoptée en première lecture par le Sénat le 4 février 2025, puis par l’Assemblée nationale le 1er avril 2025. Après un passage en commission mixte paritaire le 10 avril 2025, le Sénat et l’Assemblée nationale l’ont définitivement adoptée les 28 et 29 avril 2025.
Le Conseil Constitutionnel a toutefois été saisi, les 12 et 13 mai 2025, par plus de 60 députés pour exercer un contrôle de constitutionnalité de cette proposition de loi.
Les objectifs de la proposition de loi sur le narcotrafic
Parmi les mesures visant à lutter contre le narcotrafic, la proposition de loi prévoit notamment :
- de réformer l’organisation des services et juridictions chargés de la lutte contre la criminalité organisée, en désignant un service chef de file de la lutte contre la criminalité organisée et en créant un parquet national anti-criminalité organisée « Pnaco » ;
- de renforcer les mesures de lutte contre le blanchiment, en ouvrant par exemple l’accès des forces de l’ordre à divers fichiers de la direction générale des finances publiques ou en créant une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée ;
- de mobiliser les techniques de renseignement pour la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées, comme les techniques de renseignement algorithmique qui consistent à analyser un grand volume de données de connexion pour repérer des motifs témoignant d’une activité criminelle et qui sont actuellement limitées à la prévention du terrorisme et des ingérences étrangères ;
- de renforcer l’arsenal répressif et les moyens d’enquête, par la criminalisation de l’infraction de participation à une association de malfaiteurs lorsqu’elle est destinée à préparer un crime, et par la création d’une nouvelle infraction d’appartenance à une organisation criminelle ;
- de renforcer les moyens opérationnels par des adaptations de la procédure pénale et des règles relatives à la détention, et par de nouvelles dispositions pour faciliter le démantèlement des points de vente.
La fermeture administrative des établissements suspectés de blanchiment
Parce que les revenus issus du narcotrafic sont destinés principalement à être réinjectés dans l’économie locale pour y être « blanchis », les parlementaires ont décidé de donner à l’État « les moyens de frapper assez durement les narcotrafiquants au portefeuille »2.
Le titre II de la proposition de loi, portant sur la lutte contre le blanchiment, comporte un certain nombre de dispositions pour doter « l’État d’une nouvelle palette d’outils particulièrement intéressants à cet égard ».
L’un de ces outils vise à donner au préfet le pouvoir de procéder à la fermeture administrative des commerces en lien avec le narcotrafic.
Inspiré des dispositifs de fermeture administrative des débits de boissons et restaurants3, des établissements de vente à emporter de boissons alcoolisées ou d’aliments à préparer sur place et des établissements diffusant de la musique4, l’article 4 de la proposition de loi prévoit d’insérer, après le chapitre III du titre III du livre III du Code de la sécurité intérieure, un chapitre III bis relatif aux commerces et établissements ouverts au public.
Un nouvel article L. 333-2 autorisera le représentant de l’État dans le département et, à Paris, le Préfet de police, à ordonner la fermeture de tout local commercial, établissement ou lieu ouvert au public ou utilisé par le public, pour une durée n’excédant pas six mois, lorsque les conditions de son exploitation ou de sa fréquentation rendent possible la commission des infractions liées :
- au trafic de stupéfiants, c’est-à-dire le fait de diriger ou d’organiser un groupement ayant pour objet la production, la fabrication, l’importation, l’exportation, le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicites de stupéfiants5;
- au recel, c’est-à-dire le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit, et le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit6 ;
- au blanchiment, c’est-à-dire le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect, et le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit7 ;
- à la participation à une association de malfaiteurs, c’est-à-dire à tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement8.
La fermeture administrative sera également possible en cas de troubles à l’ordre public résultant de ces infractions.
La fermeture administrative de l’établissement concerné prononcée pour une durée de six mois aura pour effet d’abroger toute autorisation ou tout permis permettant l’exploitation d’une activité commerciale accordé par l’autorité administrative ou par un organisme agréé ou résultant de la non-opposition à une déclaration.
Il est également prévu que le ministre de l’Intérieur puisse décider de prolonger la fermeture administrative décidée par le préfet, pour une durée n’excédant pas six mois.
Un article L. 333-3 du même Code fixe la sanction pénale en cas de non-respect de l’arrêté de fermeture administrative pris sur le fondement de l’article L. 333-2.
Le propriétaire ou l’exploitant s’exposera à une peine de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, ainsi qu’à des peines complémentaires de confiscation des revenus générés pendant la période d’ouverture postérieure à la notification de la mesure de fermeture, et d’interdiction de gérer un commerce pendant cinq ans.
La récidive fera encourir à son auteur une peine de confiscation de tous les biens ayant permis la commission de l’infraction.
Enfin, le maire de la commune dans laquelle est situé l’établissement concerné, devra être informé par le préfet de la décision de fermeture administrative prise contre cet établissement sur le fondement de l’article L. 333-29.
Il s’agit ici d’une différence notable avec les dispositifs de fermeture administrative des débits de boissons et restaurants, des établissements de vente à emporter de boissons alcoolisées ou d’aliments à préparer sur place et des établissements diffusant de la musique, qui donnent au préfet la possibilité de déléguer l’exercice de cette prérogative au maire qui en fait la demande ; ce dernier agissant alors au nom et pour le compte de l’État.
Le choix a été fait par les parlementaires de ne pas prévoir un mécanisme de délégation du pouvoir de fermeture administrative des commerces en lien avec le narcotrafic afin de préserver la sécurité des maires.
La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic fait l’objet d’une saisine du Conseil Constitutionnel qui sera appelé à se prononcer sur la constitutionnalité de ce dispositif de fermeture administrative, au regard notamment de liberté d’entreprendre, du droit de propriété, du principe de séparation des pouvoirs, du droit à un procès équitable10.
En raison d’un champ d’application très large, il n’est pas certain que ces dispositions instaurant un pouvoir de fermeture administrative des commerces et établissements en lien avec le narcotrafic survivent au contrôle du juge constitutionnel.
Donatien de Bailliencourt, Avocat Associé, HMS Avocats
1. Commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.
2. Rapport n° 1277 de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte les dispositions restant en discussion de a proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, déposé le jeudi 10 avril 2025.
3. Article L. 331-1 du Code de la sécurité intérieure, qui renvoie aux articles L. 3332-15 et L. 3332-16 du Code de la santé publique.
4. Articles L. 332-1, L. 333-1, L. 334-1 et L. 334-2 du Code de la sécurité intérieure.
5. Articles 222-34 à 222-39 du Code pénal.
6. Articles 321-1 et 321-2 du Code pénal.
7. Articles 324-1 à 324-5 du Code pénal.
8. Articles 450-1 et 450-1-1 du Code pénal, dont les dispositions sont également modifiées par l’article 9 de cette même proposition de loi.
9. Nouvel article L. 132-3-1 du Code de la sécurité intérieure.
10. V. les affaires en instance devant le Conseil Constitutionnel.