« Vidéoprotection, vaccins : dogmes et autres avis tranchés »

Publiée le 16 février 2022 à 9h30 - par

Je vous l'accorde le titre est peut-être un peu racoleur, mais il fallait bien cela pour vous inciter à entrer dans une tribune évoquant la vidéoprotection. Il en va de ce domaine comme de tous ceux qui « clivent » comme nous aimons désormais l'écrire : tout le monde a un avis tranché.
Tribune Cédric Renaud

Ce dernier ne repose d’ailleurs souvent sur rien d’autre que des a priori, en général lié à l’exercice de nos libertés publiques, sujet ô combien sensible depuis le début de l’épidémie de Covid-19. C’est bien simple : nous n’avons jamais autant évoqué ce thème, pourtant essentiel, que depuis que diverses obligations sanitaires régissent plus ou moins fortement nos vies. Je n’ai pas assez de place ici pour lancer ce débat primordial. Tout juste vous parlerai-je de vidéoprotection.

En effet, une récente étude commandée par le Centre de Recherche de l’École des Officiers de la Gendarmerie nationale (CREOGN) et menée par Guillaume Gormand, chercheur associé au Centre d’études et de recherche sur la diplomatie, l’administration publique et la politique de Grenoble, a déchainé les passions sur les réseaux sociaux – des passions à remettre néanmoins à l’échelle d’un sujet de niche comme celui-ci – menant chacun à réaffirmer ses positions « pour » ou « contre » la vidéoprotection. Alors, courageusement, tel un combattant de la liberté, j’ai saisi l’occasion qui m’est offerte afin de vous donner mon avis sur ce sujet brûlant, à savoir… de ne pas choisir. Choix étonnant peut-être, mais guidé par la raison et l’expérience, j’en suis convaincu. Car au-delà de l’hystérie qui règne régulièrement entre les lignes relayées par un petit oiseau bleu, il ne convient pas, il me semble, d’être pour ou contre ce qui n’est finalement qu’un outil. Et c’est bien, à mon sens et au-delà des quelques boutades figurant ci-dessus, le fond de cette étude qu’il convient de lire et de digérer.

Un outil reste un outil. Il ne dispose pas d’une volonté propre sauf à figurer parmi les partisans de l’existence de la magie et donc des ensorcellements. Un outil sert à accomplir la tâche à laquelle on l’emploie et reste soumis à l’autorité de son utilisateur. Un marteau sert en général à planter un clou, mais si vous souhaitez l’utiliser pour fracasser la tête de votre voisin, c’est malheureusement également possible. Cela ne changera rien au bon usage du marteau en général. La vidéoprotection est dans la même situation. Ce que cette étude semble mettre en relief, c’est qu’au-delà d’un effet local de communication, la vidéoprotection ne produit rien à elle seule. Elle n’est qu’un outil qui doit prendre place dans un dispositif plus complet. Ce n’est pas la panacée. En revanche, un outil doit être bien utilisé et régulièrement adapté aux tâches à accomplir. C’est encore plus vrai quand il s’agit de traiter de vie quotidienne et d’êtres humains, qui, eux aussi, et bien qu’il s’agisse de tranquillité publique et de délinquance, s’adaptent également. Un dispositif posé à l’année A doit vivre et s’adapter, au risque d’être dépassé et de devenir inutile dès l’année A+1. C’est ce que cette étude semble mettre en relief s’agissant des plans d’implantation. De même, l’effet dissuasif, affectueusement surnommé par certains l’effet « plumeau », qui consiste à simplement déplacer la délinquance, doit également être évalué. Pourquoi ? En quoi déplacer la délinquance peut-il présenter un intérêt ? Car il en va de la délinquance comme du commerce, en tout cas dans certaines matières comme le trafic de stupéfiants. Il faut un lieu de vente, un stock et des clients. En couvrant petit à petit les points de vente habituels réunissant ces caractéristiques, l’activité sera déplacée et il est possible, qu’à terme, le rapport bénéfice/inconvénient d’exercer cette lucrative activité bascule en défaveur des revendeurs, les obligeant à se déplacer beaucoup plus loin. Il s’agit bien là d’une stratégie à long terme, et non d’un effet spectaculaire et immédiat.

L’étude semble également souligner la nécessité de faciliter l’accès à l’outil, et surtout à son exploitation, mettant ainsi en lumière ce qui pourrait constituer les nouveaux standards d’installation dans ce domaine. En effet « 1% des enquêtes sont élucidées à l’aide de la vidéoprotection » nous dit la presse régionale. Nous pourrons d’ores et déjà convenir que, si nous faisons malheureusement partie des victimes de ces 1 %, nous pourrons trouver la vidéoprotection utile. Mais enfin, 1 %, ce n’est pas beaucoup, en effet. Je ne reviendrai pas sur la méthodologie de l’étude comme certains ont pu le faire. La recherche française est réputée, le CREOGN également et, en tant qu’ancien de l’EOGN, les institutions opérantes ainsi que le chercheur conservent tout leur crédit. En revanche, les enseignements tirés de cette étude sont particulièrement intéressants. Pourquoi ce taux est-il si faible ? Parce que les enquêteurs n’ont pas le « réflexe » vidéoprotection. Pourquoi, puisque cet outil a désormais plus de 20 ans d’ancienneté ? Parce que l’exploitation est souvent longue, difficilement exploitable dans un monde ou la rapidité est de plus en plus demandée. Exploitation chronophage, ressources dispersées, compétences longues à acquérir sur les différents logiciels, il est vrai que les critiques sont nombreuses, et, je le pose d’emblée, à mon sens fondées.

Alors que faire ? Tout abandonner, car après tout, 1 % ou rien, c’est à peu près identique. Mon avis est finalement bien différent. Je le redis une dernière fois, ce n’est jamais l’outil qui est en cause, mais l’utilisation qui en est faite. Ainsi, la vidéoprotection n’est ni bonne ni mauvaise intrinsèquement. Certes, son acquisition et le nombre de caméras installées traduisent un choix politique de gestion. Mais au-delà, ce que cette étude met en lumière, ce sont les nouvelles compétences que les opérateurs privés et publics exploitant des systèmes de vidéoprotection doivent acquérir, entretenir et faire reconnaître. Car au-delà de la technique et du politique, c’est tout le principe de coproduction de la sécurité que cette étude vient interroger. Police et gendarmerie nationales doivent-elles être les seules à investiguer en matière pénale ? Manifestement, en confiant l’installation, l’entretien et l’exploitation des systèmes de vidéoprotection à des opérateurs privés et publics, le législateur a fait son choix. Ce faisant, de nouvelles compétences, alliant technique et opérationnalité, se sont développées : connaissance de l’implantation des caméras, de leur fonctionnement, passation des marchés d’installation et d’entretien, relecture avec recherche d’infraction et production de pièces, voilà ce que les opérateurs de vidéoprotection savent aujourd’hui faire, mais que la loi peine à reconnaître. Car si un dispositif de vidéoprotection est régulièrement adapté aux besoins du terrain et en lien avec les forces de sécurité étatiques, il répondra forcément mieux aux attentes de chacune des parties. Si les obstacles du temps et de la technique sont levés par la reconnaissance de ces compétences si spécifiques qui, en dehors du territoire de la préfecture de police de Paris, n’existent pratiquement pas dans les services de police et de gendarmerie, pourquoi un enquêteur ne « fermerait-il pas la porte » dans son dossier judiciaire en tentant le coup de la vidéoprotection, comme l’on exploite désormais la police technique et scientifique, les investigations « cyber » ou le bon vieux « coup de pression » avec un placement en garde à vue ?

Voilà donc mon avis sur la vidéoprotection à la lumière de cette étude particulièrement intéressante et qui incite, plus que de prime abord, à la réflexion sur l’évolution technologique et l’organisation de notre système sécuritaire, mais aussi à la nuance, une qualité bien malmenée ces derniers temps.

Cédric Renaud, Président de l’Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS)

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