Révélé mardi 10 décembre 2024, cet avis a fait l’effet d’une bombe dans la classe politique locale : le réseau de tramway actuel est l’aboutissement d’un travail mené depuis plus de 30 ans par les différents exécutifs qui se sont succédés. Et malgré des débats souvent âpres, jamais une commission d’enquête publique n’avait rendu de conclusions défavorables.
Cet avis n’est certes pas contraignant juridiquement. Mais pour l’exécutif strasbourgeois, qui a fait de la concertation avec les habitants sa méthode de travail, difficile de passer en force sans se renier à l’issue d’un débat tendu. Les élus ont « pris acte » de l’avis défavorable, et promis de « retravailler » ce projet à 224 millions d’euros.
Mais à 16 mois des élections municipales, rien ne garantit que la « révolution des mobilités » tant annoncée se concrétisera au cours de ce mandat.
« Ambiance climatique »
À l’issue de l’enquête publique reste donc ce rapport rendu par la commission d’enquête présidée par Jean Annaheim, officier de l’Armée de l’air à la retraite.
Si sa conclusion est connue, le document de presque 70 pages n’a pas encore été publié, mais l’AFP a pu le consulter. Il reprend les préoccupations des habitants (plus de 7 000 contributions, défavorables à 73 %), tout en remettant en cause l’une des justifications même du projet, la nécessité de modifier les comportements de transport pour répondre à « l’urgence climatique ».
« N’est-ce pas un faux sentiment d’urgence ? », interroge la commission d’enquête, qui préfère évoquer une « ambiance climatique, ici ou dans le monde ».
Le rapport se montre très attentif au devenir de la circulation automobile en ville et du sort réservé aux places de stationnement, à rebours de la politique de la municipalité écologiste, élue sur un programme promettant de développer les transports alternatifs.
« Pour la commission d’enquête, la révolution des mobilités prônée par l’EMS (l’Eurométropole de Strasbourg) s’accompagnera d’une dégradation significative de la mobilité des automobilistes », s’inquiètent les auteurs. « La commission considère que la plupart des automobilistes ne pourront manifestement pas se passer de la voiture pour des raisons évidentes. »
Interrogée par l’AFP, la maire de Strasbourg Jeanne Barseghian estime ces conclusions « très éloignées des réalités, avec depuis 30 ans une diminution du nombre de voitures – près de la moitié des ménages strasbourgeois n’ont plus de voiture – et une demande toujours croissante de transports en commun et de mobilités actives, vélos et piétons ».
Report modal « peu probable »
« Le parti pris du projet, qui est assumé mais qui est aussi le sens de l’histoire dans toutes les grandes métropoles européennes, c’est de continuer à réduire la part de la voiture et de faire la part belle aux transports en commun », insiste-t-elle.
L’extension du tramway (5 km, neuf stations, permettant de relier la gare centrale aux institutions européennes), mais aussi la création de nouvelles pistes cyclables et d’aménagements piétonniers, répondent à cette logique, en offrant aux habitants des solutions alternatives pour leurs transports quotidiens.
Mais ce report modal n’est pas véritablement envisagé par la commission d’enquête, qui estime « peu probable » que le projet « change significativement les habitudes à court terme ». Ses auteurs craignent davantage qu’il provoque « inéluctablement des difficultés de circulation » automobile.
Les commissaires remettent en cause à plusieurs reprises les expertises des cabinets d’urbanisme. Ils jugent « pas crédible » le nombre de voyageurs attendus sur un tronçon du nouveau tramway et anticipent le maintien d’un trafic routier « important » sur un axe, alors que les études anticipent une diminution de la circulation « de 62,8 % ».
Ils critiquent au passage d’autres aspects de la vie locale, jugeant « contradictoire » le projet de Zone à faible émission (ZFE).
L’opposition locale s’est félicitée lundi 16 décembre de ce « réquisitoire sans appel », dans un communiqué signé notamment par l’ancienne maire PS Catherine Trautmann (qui a lancé le tram à Strasbourg en 1994). « C’est bien la méthode et le projet en lui-même qui sont remis en cause et non pas les objectifs de développement des mobilités alternatives et de transition écologique et climatique du territoire », écrivent les signataires.
Le réseau strasbourgeois compte six lignes de tramway et transporte, avec également une quarantaine de lignes de bus, près de 500 000 passagers par jour, soit l’équivalent de la population de la métropole.
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