À trop vouloir réindustrialiser, on risque in fine de désindustrialiser !

Publié le 26 avril 2024 à 9h00 - par

La désindustrialisation en France est un phénomène économique marqué par une baisse significative de la part de l’industrie dans l’économie globale, notamment en termes de production et d’emploi. Ce processus a commencé dans les années 1970 et s’est accéléré depuis.

À trop vouloir réindustrialiser, on risque in fine de désindustrialiser !
© Par malp - stock.adobe.com

En 1970, l’industrie représentait 20 % de la richesse nationale ; en 2022, sa part n’était plus que de 10 %, selon les mesures de l’Insee. Une dégringolade symbolique du mouvement de désindustrialisation qui a frappé la France pendant plus d’un demi-siècle, avec près de 2,5 millions d’emplois détruits.

Les choix opérés ont abouti à une forte dépendance industrielle de la France. Notre pays présente à ce jour un taux de dépendance aux importations industrielles très élevé : 35 % pour l’ensemble des biens intermédiaires importés et 24 % pour le secteur industriel, principalement dans l’aéronautique, la chimie et l’automobile (Rapport Trendeo sur les dépendances industrielles, mai 2020).

Cette fragilité, ainsi que la fragmentation extrême des processus de production, a été particulièrement mise en lumière lors de la crise du Covid-19, avec le risque de pénuries de produits sanitaires de première nécessité tels que masques, respirateurs ou encore certains médicaments. Selon l’Agence européenne du médicament, 80 % des principes actifs pharmaceutiques sont fabriqués en Chine et en Inde, alors que cette proportion n’était que de 20 % il y a 30 ans.

Pourtant en même temps que l’on relocalise avec par exemple la récente inauguration de l’usine ManiKHeir (Bessé-sur-Braye), fabricant de gants médicaux, se posent de nouvelles questions de délocalisation. En témoigne la vente évoquée ce mois-ci à un groupe indien de l’entreprise pharmaceutique Biogaran, créée en 1996, filiale des laboratoires Servier et spécialiste et leader des génériques en France.
On ouvre, on ferme, on reconvertit… Pas facile à suivre ? Et est-ce vraiment efficace ?

Un rapport sur la réindustrialisation très attendu

Chargé par Bercy d’une mission sur la réindustrialisation à l’horizon 2035, l’ancien délégué interministériel aux Territoires d’industrie Olivier Lluansi a livré récemment, quelques pistes du rapport qu’il remettra à la fin du mois d’avril au gouvernement.

Aujourd’hui, l’industrie pèse pour 10 % du PIB, ce qui place la France aux derniers rangs de l’Union européenne, devant la Grèce. L’objectif raisonnable pour 2035 serait d’atteindre entre 12 et 13 % selon le rapport. Ce qui correspondrait déjà à la création de 50 000 emplois par an. Comment ? Probablement en faisant preuve de beaucoup de volontarisme et surtout de bon sens. Ne pas viser trop haut mais surtout viser juste. Il faudra deux décennies pour contrebalancer 5 décennies de dénis et de laisser-aller dans le contexte que nous connaissons de la mondialisation. La France était destinée à devenir un pays de service et de tourisme ; la crise sanitaire mais aussi les crises géopolitiques nous ont ramenés à la réalité.

Ce rapport, par son pragmatisme, est à saluer et recommande dans les grandes lignes :

  • Un sursaut patriotique et une fierté à produire en France.
  • La mobilisation des clauses « miroirs », une analyse ou réanalyse prospective des accords de libre-échange et une approche en coût global au niveau des donneurs d’ordre.
  • Un fort investissement financier pour tenir tête au patriotisme et protectionnisme américain (Small Business Act, Inflaction Reduction Act…) et chinois (aides massives des états…).
  • Un positionnement qui ne se limite pas aux innovations de ruptures, ETI ou grandes entreprises avec une mobilisation de tous les acteurs au travers de « territoires d’industrie ».
  • La mobilisation de la commande publique qui pèse 10 à 15 % du PIB national.

Une commande publique attendue au tournant

Selon Olivier Lluansi, la commande publique pourrait à elle seule résorber un quart du déficit de la balance commerciale des biens. La commande publique est un outil puissant de souveraineté. En elle réside un potentiel de commandes industrielles annuelles supplémentaires de 15 milliards d’euros, chiffre Olivier Lluansi.
La question posée ici n’est pas de lister l’ensemble des trucs et astuces réglementaires liées aux bonnes pratiques (critère environnemental, disponibilité de l’équipement…) permettant à l’acheteur public d’atteindre ses objectifs de politique publique mais bel et bien de le doter d’indicateurs lui permettant d’en mesurer l’efficacité et de l’accompagner dans sa stratégie achat.

Je veux bien tenter d’acheter des produits « made in France » mais le sont-ils vraiment ?

Quelle est l’empreinte industrielle de mes achats ? Quel objectif puis-je me fixer ?

Quoi qu’il en soit, l’industrie française a absolument besoin de la commande publique nationale et ce pour les raisons suivantes :

  • Le secteur public représente un flux de commandes et de chiffre d’affaires important.
  • L’absence de présence sur le marché domestique et en BtoG induit toujours des difficultés à l’export et freine le positionnement d’investisseurs français ou étrangers.
  • Les marchés publics peuvent de par leur conception assurer un volume de commande régulier, pérenne et donner une visibilité indispensable à tout outil de production.

L’importance de mener de front enjeux de souveraineté et développement des territoires

Comme évoqué, la crise sanitaire a été le déclencheur de cette prise de conscience. En découle une approche politique quasi exclusivement (et peut-être trop d’ailleurs ?) dédiée à la prévention et lutte contre les ruptures d’approvisionnement. La tentation est grande de se concentrer sur une réindustrialisation des secteurs concernés et sur un positionnement plutôt « premium ».

Mais rappelons que les hautes technologies ne représentent que 20 à 30 % du potentiel de réindustrialisation. Un effort trop orienté réindustrialisation technologique pourrait induire en parallèle une poursuite de la désindustrialisation sur des secteurs moins visibles mais essentiels en matière d’emplois y compris peu qualifiés (énergie, alimentaire, numérique, textile…). Il faudra être très vigilant sur la balance globale en termes de nombre de sites industriels, d’emplois mais aussi en termes de gains en souveraineté et indépendance.
Attention également à ne pas bannir de ces stratégies les emplois peu ou pas qualifiés du moins dans un premier temps, « le temps » de soutenir les politiques de formation et d’insertion associées indispensables.

C’est justement sur ce point que la commande publique est intéressante et ce pour plusieurs raisons :

  • Elle s’opère de manière significative sur l’ensemble des territoires y compris ultra-marins.
  • Elle est relativement constante en volume et montant même en temps de crise.
  • Elle porte sur une très grande diversité de fournitures. Tous les secteurs industriels sont concernés y compris les plus historiques (ex : débat autour des uniformes scolaires).

La cartographie des achats et la cartographie des risques

Réindustrialiser la France avec sa commande publique est tout à fait réaliste et nécessite une implication des centrales d’achat mais de manière générale de tous les acheteurs publics où qu’ils soient et quels que soient leur poids et missions. Mais difficile de se fixer des objectifs et une stratégie sans visibilité opérationnelle.

Les acheteurs publics sont donc invités à ne pas se limiter aux seuls et nouvelles obligations liées à l’open data en ce qui concerne la provenance des produits (cf. arrêté n° ECOM2235715A du 22 décembre 2022 – article 1er I 16°) mais à plus largement établir une cartographie achat et une cartographie des risques en lien avec l’identification et localisation du ou des sites industriel(s) directement impliqué(s) dans l’exécution des marchés de fournitures.

La demande initiale peut-être portée par un recensement des informations au moment de l’attribution du marché. Il est également tout à fait possible d’externaliser ce processus d’évaluation préalable, périodique et continue via des plateformes de management des tiers, de la conformité et des risques associés à l’image de ce que propose par exemple e-Attestations.com.
À trop vouloir réindustrialiser, on risque in fine de désindustrialiser !
La centrale d’achat Uniha avait d’ailleurs pris cette initiative à l’occasion du salon SantExpo 2023 avec sa carte interactive des lieux de production.

En résumé, que ce soit au niveau de l’État, des collectivités territoriales ou encore des établissements de santé, toute politique achat en faveur de la réindustrialisation française doit s’appuyer sur des données objectives et actualisées en permanence. Un bien peut être produit en France au moment de l’attribution et ne plus l’être quelques mois après.

Cette cartographie dynamique permettra de sélectionner les secteurs d’activité achat à prioriser.
Une orientation à prendre pour assurer un dynamisme industriel territorial cohérent.
Une orientation nécessaire pour éviter une mobilisation de la commande publique au seul profit de nouvelles usines ou de sites fortement médiatisés.

Le rôle de la commande publique n’est-elle pas de garantir l’efficience des services publics et la bonne utilisation des deniers publics ?

Soyons-en assurés, acheter français aujourd’hui c’est investir dans l’efficience de nos services publics et dans la diminution accélérée de nos déficits.

Sébastien Taupiac, Directeur de la Communication et des Relations Publiques
e-Attestations.com


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