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La décentralisation à l’épreuve de l’épidémie du Covid-19 : précision sur le pouvoir de police des maires

Publié le 29 avril 2020 à 9h00 - par

Encadrement du pouvoir de police des maires à propos de l’ordonnance n° 440057 du Conseil d’État du 17 avril 2020, « Port d’un masque de protection, commune de Sceaux ». En cette période d’épidémie du Covid-19, les maires peuvent-ils rendre obligatoire le port du masque de protection sur leurs territoires alors que le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ne l’impose pas ?

La décentralisation à l’épreuve de l’épidémie du Covid-19

Dans une ordonnance du 17 avril 2020, le Conseil d’État a précisé que l’usage par le maire de son pouvoir de police générale pour édicter des mesures de lutte contre l’épidémie de Covid-19 est subordonné à la double condition qu’elles soient exigées par des raisons impérieuses propres à la commune et qu’elles ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’État dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale. Il rappelle que la République, bien que « décentralisée » reste « une et indivisible » au sens de l’article 1er de la Constitution, ainsi l’action des maires suit l’orientation des politiques décidées par le gouvernement pendant cette crise sanitaire.

Le décret du 23 mars 2020 n’impose pas, à ce jour, le port de masques de protection, dans tout ou partie de l’espace public, aux personnes autorisées à se déplacer. Par un arrêté en date du 6 avril 2020, le maire de Sceaux, sur le fondement des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, a subordonné les déplacements dans l’espace public de la commune des personnes âgées de plus de dix ans au port d’un masque protégeant la bouche et le nez. Cet arrêté prévoit qu’à défaut d’un masque chirurgical ou FFP2, « les usagers de l’espace public (…) peuvent porter une protection réalisée par d’autres procédés à la condition que ceux-ci couvrent totalement le nez et la bouche. »

Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la Ligue des droits de l’homme d’un référé-liberté, a suspendu l’exécution de cet arrêté par une ordonnance en date du 9 avril 2020. La commune de Sceaux a relevé l’appel.

Dans une ordonnance du 17 avril 2020, le Conseil d’État a confirmé la position prise par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en suspendant l’exécution de l’arrêté du maire de Sceaux au motif qu’il ne répondait pas à « des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable ».

Non seulement, le Conseil d’État subordonne l’utilisation du pouvoir de police générale du maire à une condition stricte en cas de concurrence des compétences de polices (1), mais sa décision souligne également implicitement la difficile articulation de l’action publique sanitaire (2).

1. L’utilisation du pouvoir de police générale du maire subordonnée à une condition stricte en cas de concurrence des compétences de polices

Dans son considérant n° 6, le Conseil d’État affirme que : « les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, cités au point 4, autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État. »

Le Conseil d’État rappelle le principe selon lequel, même en état d’urgence sanitaire, une autorité de police subordonnée (le maire) peut aggraver une mesure de police prise par une autorité supérieure (l’État par son décret du 23 mars 2020).

Faisant application de la jurisprudence « Lutétia » en matière de cumul ou de concours de polices administratives spéciale et générale, le Conseil d’État estime, d’une part, que le maire de Sceaux devait justifier de « raisons impérieuses propres à la commune » pour rendre impératif le port du masque sur son territoire. Le Conseil d’État estime d’autre part que cette mesure ne pouvait être indispensable qu’à « condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État ». En d’autres termes, si l’arrêté municipal délivre le message qu’un masque de protection constitue la seule protection efficace, quel que soit le procédé utilisé, cela peut créer un risque de confusion alors que le gouvernement a estimé que seules les professions les plus exposées étaient prioritaires pour les utiliser. Estimant qu’il n’y avait aucune raison impérieuse justifiant l’édiction de cette obligation de port de masque, le Conseil d’État a enfin suspendu cet arrêté du maire de Sceaux au motif qu’il portait une atteinte à la liberté de circulation des individus. Toutefois, cela pose le problème de l’articulation des mesures sanitaires prises par les différents acteurs publics depuis le début du confinement.

2. La difficile articulation de l’action publique sanitaire entre l’État et les collectivités territoriales

L’action des maires relative à la lutte contre la crise sanitaire liées à l’épidémie du Covid-19 doit-elle s’inscrire dans la même orientation que celle du gouvernement ?

Premièrement, l’article premier de notre Constitution de la Cinquième République dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ». L’alinéa second de l’article 72 de ladite Constitution dispose que : « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». La République est certes « une et divisible », mais elle reste décentralisée. En matière de police administrative, le maire peut ainsi aggraver une mesure de police édictée par l’État s’il justifie des particularismes locaux. Or, dans la manière dont il rédige le considérant n° 6, le Conseil d’État laisse à penser que la décision prise par le maire de rendre obligatoire le port du masque ne serait pas possible dès lors qu’elle ne correspond pas à la politique menée par le gouvernement. La question de la pénurie des masques, bien que passée sous silence, apparaît en filigrane puisque le Conseil d’État rappelle implicitement, dans son considérant n° 8, qu’ : « une stratégie de gestion et d’utilisation maîtrisée des masques ayant été mise en place à l’échelle nationale afin d’assurer en priorité leur fourniture aux professions les plus exposées. » Autoriser le port obligatoire des masques dans certaines communes risquait de créer des inégalités sur le territoire dès lors qu’un risque de pénurie de masque est reconnu par le chef du gouvernement1.

Deuxièmement, cette question de la concurrence des autorités de police questionne sur l’orientation des politiques de santé publique passées, actuelles et futures dans notre pays et notamment le défaut d’articulation des action sanitaires locales et nationales. Si certains maires ont été amenés à rendre obligatoire le port du masque, n’est-ce pas lié aux insuffisances de l’État à faire des politiques sanitaires une réelle priorité de son action ? Dans son allocution devant l’Assemblée nationale, le 28 avril 2020, le Premier ministre a reconnu que la question des masques avait suscité l’incompréhension et la colère des Français. Il a affirmé qu’au 11 mai 2020, il y aura assez de masques. À cette date, le port de masque sera obligatoire dans les établissements scolaires, les crèches et les transports publics. Il sera facultatif dans les commerces et au travail. Le Premier ministre a annoncé que le déconfinement sera départementalisé. La mise en place des tests et des procédures d’isolement sera sous la responsabilité des préfets et des collectivités territoriales, comme quasiment l’ensemble des mesures annoncées. Seul le dialogue permettra d’éviter non seulement que les collectivités territoriales stigmatisent l’État d’être à l’origine de leur gestion hasardeuse de la crise sanitaire, mais également que celui-ci ne les accuse en retour de tentative de diversion pour ne pas assumer leurs erreurs.

Un monde nouveau est à bâtir avec l’esprit d’équipe solidaire et responsable dans la construction de politiques sanitaires pour les générations futures au plus près de la gestion avec le dévouement et la reconnaissance des compétences. Cela ne peut fonctionner que s’il y a une volonté politique commune et un consensus. Cela ne passera que par l’implication de tous les acteurs nationaux et locaux, élus et professionnels pour définir une ligne directrice avec des critères d’évaluations transparents et une information claire. La santé publique demeure un des piliers de la République où chaque acteur notamment le maire a sa part et tous l’ont en entier. C’est pour cela qu’une charte de Santé publique permettrait de mieux adapter les décisions aux besoins locaux. Elle serait le composant clé d’un plus vaste dispositif.

Dominique Volut, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. Lors de son allocution du 28 avril 2020 devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre a déclaré que : « La France a dû gérer un risque de pénurie des masques ».

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