Avenir financier des collectivités locales : dialogue de sourds !

Publié le 22 juillet 2025 à 8h40 - par

L’avenir financier des collectivités locales est incertain. Alors que François Bayrou entend doubler la contribution de celles-ci au redressement des finances publiques, les collectivités locales voudraient limiter la casse et un peu de stabilité. Le rapport Dossus ou la seconde conférence des territoires y parviendront-il ? Rien n’est moins sûr…

Avenir financier des collectivités locales : dialogue de sourds !
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Alors que leur modèle de financement a été complètement chamboulé sous les deux quinquennats d’Emmanuel Macron, l’avenir du financement des collectivités locales se pose clairement aujourd’hui. François Bayrou a de son côté rappelé le 15 juillet dernier dans son Plan de redressement des finances publiques qu’elles doivent être associées à cet effort de réduction des dépenses publiques. Il leur a ainsi demandé 5,3 Mds€ économies pour 2026, soit plus du double de l’effort de 2,2 Mds€ imposé pour 2025 ou « autant que la sphère sociale, qui représente pourtant un volume de dépenses trois fois supérieur » selon l’Association des Maires de France (AMF). C’est « sans prendre en compte la totalité des mesures budgétaires (hausse des cotisations employeurs à la CNRACL, diminution du fonds vert, etc.) », ajoute-t-on à Intercommunalités de France (IdF). Le Premier ministre impose donc aux collectivités que « leurs dépenses ne progressent pas plus vite que les ressources de la nation » et que les financements de l’État qui leur sont dédiés soient régulés pour 2026, « dans une année du cycle électoral où l’investissement local est habituellement moins fort ». « Quel est le sens des coupes opérées sur des budgets locaux qui financent 70 % de l’investissement public ? », s’interroge-t-on à l’AMF.

« Une année blanche pour les coûts supplémentaires imposés par l’État ! »

Mercredi dernier lors de son audition à la commission des finances du Sénat, Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, a précisé le contenu de ces 5,3 Mds€. Logiquement, le Dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), prévu au départ pour 2025 seulement, sera maintenu et même amplifié pour économiser 2 Mds€, ceci même s’il n’est « ancré dans aucune réalité financière, puisque les collectivités sont ponctionnées indépendamment de leurs charges ou même de leur niveau de population », selon l’AMF. Par ailleurs, la dynamique de TVA destinée aux collectivités locales, sera limitée au niveau de l’inflation (soit 0,7 Mds€ d’économies), même si selon l’AMF encore, c’est « une mesure dénuée de toute logique de performance, qui témoigne une fois de plus du non-respect de la parole de l’État ». Et Céline Bacharan, consultante en finances locales au cabinet Klopfer d’ajouter : « Cela remet en cause l’autonomie fiscale des collectivités ». La compensation au titre des valeurs locatives des locaux industriels (taxe foncière et cotisation foncière des entreprises) que les collectivités recevaient suite à leur division par deux, va être écrêtée de sa dynamique, soit 1,2 Mds€ d’économies, « ce qui frappe inégalement les collectivités », fait remarquer Céline Bacharan. Les variables d’ajustement seront quant à elle minorées de 0,5 Mds€1. Quant au Fonds de compensation de la TVA (FCTVA), il ne sera pas diminué comme le voulait Michel Barnier, mais le versement en année n pour les communautés de communes et d’agglomération sera opéré en année n+1 pour améliorer la trésorerie de l’État.
Pour autant, grâce semble-t-il à la première conférence des territoires du 6 mai dernier et les réunions des quatre groupes de travail qui ont suivi depuis trois mois, François Bayrou n’a choisi ni de geler les bases fiscales comme l’envisageait Bercy, ni de baisser la Dotation globale de fonctionnement (DGF). Il a évoqué « une attention à la situation particulière des départements », annonçant « un soutien exceptionnel de 300 M€ à ceux les plus en difficulté », ainsi qu’une seconde conférence des territoires qui se réunira fin juillet. De quoi affiner ensuite par Bercy les mesures à inscrire au Projet de loi de finances. De son côté, l’AMF n’apprécie pas qu’« après six réunions avec le Gouvernement en trois mois, les mesures proposées par l’AMF pour faire de vraies économies sur les dépenses locales n’aient même pas été évoquées », à savoir « réduire les dépenses contraintes imposées par l’État aux collectivités, qui ne cessent d’augmenter », « supprimer les normes coûteuses déjà adoptées – ndlr : tout comme IdF l’a aussi demandé -, comme le décret tertiaire dont la nouvelle version va coûter 10 Mds€/an aux collectivités », « geler les hausses de cotisations CNRACL qui coûtent dès cette année 1,4 Mds€ ». « ‟L’année blanche” doit s’appliquer aux coûts supplémentaires imposés par l’État », préconise-t-on à l’AMF. Problème, si on suit l’AMF, on retransfère des dépenses à l’État (s’il reprend à sa charge les dépenses qu’il avait imposé aux collectivités locales) ou on l’oblige à faire des avances de trésorerie aux collectivités (pour faire face au déficit de la CNRACL), ce qui ne fait donc pas d’économies sur la dépense publique totale, sauf pour la lutte contre l’inflation normative… que l’État juge trop risquée politiquement.

« Des questions d’arbitrage politique »

Dans ce dialogue de sourds, le sénateur EELV Thomas Dossus a ajouté le 8 juillet dernier son « Rapport sur la libre administration des collectivités locales, privées progressivement de leurs recettes propres et sur les leviers à mobiliser demain face aux défis de l’investissement dans la transition écologique et les services publics de proximité ». Parmi ses recommandations, il s’agit de « compléter le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) et la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), d’une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser », de « conférer à la Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (SPAFTE) une portée transversale et interministérielle » et de même d’évaluer financièrement les investissements locaux nécessaires. Il s’agit aussi de « compléter l’annexe financière des contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE) en leur donnant une dimension pluriannuelle ».
Problème, dans le contexte de réduction de la dépense publique jugé nécessaire par le Premier ministre – « qui n’a pas évoqué du tout la transition écologique », selon Bertrand Hauchecorne, membre du comité des finances locales et de la commission environnement de l’AMF -, il est plus probable que toutes les politiques publiques locales subiront un coup de rabot. Pourquoi la transition écologique serait-elle en effet jugée prioritaire par rapport au développement économique, aux projets d’aménagement ou au social par exemple ? « C’est une question d’arbitrage politique », observe Céline Bacharan. Bertrand Hauchecorne précise toutefois : « Parmi les dépenses pour la transition écologique, ce sont celles qui ne rapportent rien financièrement qui risquent de souffrir. Par exemple, les terrains que ma commune rachète sur les bords de Loire pour favoriser la biodiversité. Les investissements pour la transition énergétique me paraissent moins menacés, car non seulement ils réduisent les gaz à effet de serre, mais ils font aussi des économies financières qui permettent de réinvestir éventuellement dans d’autres politiques publiques. Je vois mal par exemple, quelle qu’elle soit en 2026, l’équipe municipale de Mareau-aux-Prés (Loiret) dont je suis maire, renoncer au programme de géothermie que nous avons engagé et qui prévoit 30 000 €/an d’économies de fonctionnement ».

La ligne rouge : ne pas augmenter la dépense publique globale !

Le rapport Dossus vise aussi à sortir les collectivités locales de l’instabilité, en leur garantissant des ressources, ainsi qu’une autonomie fiscale. Il recommande de leur « donner des ressources suffisantes propres, en lien avec leurs compétences, et à la hauteur des charges qu’elles supportent », de « consacrer le principe constitutionnel de leur autonomie fiscale », quand François Bayrou évoquait seulement le 15 juillet dernier « le besoin de visibilité pluriannuelle sur les recettes »2 et « une demande de pause réglementaire ». Le rapport Dossus recommande, à l’image de l’AMF, des mesures que le premier Ministre n’a pas abordées : notamment « instaurer un principe de réexamen régulier des compensations financières versées aux collectivités territoriales au titre des compétences transférées »3, « créer des conférences territoriales décisionnaires de haut niveau entre l’État et chaque strate de collectivités territoriales, compétentes pour fixer les critères de répartition des dotations de l’État et des impôts nationaux partagés », « sanctuariser un socle de dotations d’investissement en faveur des collectivités territoriales »…
Mais ces mesures ont peu de chances de trouver écho auprès du gouvernement, car risquant d’augmenter les dépenses de l’Etat. « L’État emprunte déjà pour financer les compensations des impôts locaux disparus », analyse Céline Bacharan. Il ne peut donc transiger. « Je suis d’accord avec ce rapport, mais j’ai peur que ce ne soient que des vœux pieux dans ce contexte de déficit, abonde Bertrand Hauchecorne. Je vois mal comment on reviendrait sur la diminution des impôts de production ou la suppression de la taxe d’habitation (TH). D’ailleurs, le projet de contribution locale (ndlr : qui viendrait en quelque sorte remplacer la TH disparue) qu’ont en poche toutes les associations d’élus se heurte à un niet absolu du Premier ministre ». Les recommandations d’attribuer aux départements une fraction de la CSG ou aux régions une fraction de l’impôt sur les sociétés n’ont sans doute pas plus de chances d’aboutir, car elles augmenteraient le taux de prélèvement obligatoire. L’enjeu de la seconde conférence des  territoires consistera pour les associations d’élus, si elles veulent que certaines de ces mesures aboutissent, à trouver avec le gouvernement des adaptations ou compensations qui n’auront pas pour effet d’augmenter la dépense publique globale… ceci avant « un débat parlementaire sans majorité », rappelle Bertrand Hauchecorne.

Frédéric Ville


1. Les variables d’ajustement sont des dotations de compensation d’exonération de fiscalité locale, destinées originellement à contrebalancer l’évolution des dotations aux taux de croissance supérieurs à l’inflation.

2. Pour Céline Bacharan, « une vison à 2-3 ans, idéalement 4 ans serait idéale, alors qu’elle est aujourd’hui à seulement un an ».

3. « Il serait bon de remettre un peu plus de ‟Celui qui décide paye” », selon Céline Bacharan.


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