Arnaud Magloire : “Les communes ont encore de réelles marges de manœuvre en matière économique” (1/2)

Publiée le 21 décembre 2021 à 8h30 - par

Première partie de notre entretien avec Arnaud Magloire, Maire de Sainte-Savine (10), commune de 11 000 habitants, autour des questions de transition écologique et de développement économique.
Arnaud Magloire : “Les communes ont encore de réelles marges de manœuvre en matière économique” (1/2)

Quand on regarde le projet politique sur la base duquel vous avez été élu pour ce premier mandat, on a l’impression que les communes ont encore de réelles marges de manœuvre en matière économique. Vous vous appuyez notamment sur la commande publique…

À mon sens, il reste effectivement encore des marges de manœuvre aux communes pour soutenir le développement économique de leur territoire. Il est vrai que d’autres administrations locales jouent un rôle important en la matière : on songe aux EPCI et à la région. De sorte qu’il n’est plus possible aujourd’hui pour les communes de travailler autrement qu’en synergie avec eux. Mais cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent rien faire à leur niveau. Parmi les moyens dont elles disposent encore, on pense d’emblée bien sûr à la commande publique locale. Celle-ci constitue un levier important pour le soutien aux entreprises du territoire, même si le Code de la commande publique impose le respect d’un certain nombre de règles, en matière de publicité et de mise en concurrence préalables notamment. Car ces règles ne privent pas les administrations locales de tout moyen d’action pour soutenir les acteurs économiques de leur circonscription.
Depuis notre élection, on a notamment pu l’expérimenter s’agissant de la commande du pain dans les cantines : on a extrait cet aspect de la restauration du marché de restauration scolaire pour en faire un marché distinct. L’idée était de permettre à des opérateurs locaux de type petits artisans de se positionner dessus. Compte-tenu de la crise sanitaire, les choses ont été montées en urgence. Mais l’expérience reste prometteuse et devrait être reconduite l’année prochaine, d’une façon qui encouragera peut-être cette fois les boulangers du secteur à mettre en place un groupement de commandes pour être en capacité de répondre plus facilement à l’appel d’offres. Cela peut paraître anecdotique mais c’est en réalité un exemple concret de ce que les mairies peuvent encore faire en matière économique. Ça parle aux gens.

Il en est de même des travaux d’engazonnement du cimetière. Cet exemple peut là encore sembler anecdotique mais il est lourd d’enjeux pour les maires. Car il s’agit à la fois d’agir sur l’esthétique ; sur l’emploi – puisqu’une partie des travaux est externalisée et que les maires doivent penser à se faire accompagner pour l’aspect communication aux habitants – ainsi que sur la lutte contre le réchauffement climatique : puisqu’il s’agit de créer des ilots de fraicheur en ville.

La question se pose certes de la protection de l’environnement, puisqu’il convient dans le même temps de limiter le recours aux produits phytosanitaires pour le désherbage, par exemple des espaces de recueillement. Mais autant vous aidez les opérateurs économiques à prospérer lorsque vous leur confiez certains marchés publics, autant inversement vous les obligez à réorienter leur activité lorsque vous faites le choix de vous passer de certains de leurs produits. Bien sûr, on ne pourra pas changer l’industrie comme cela. Mais cet exemple montre le rôle que la commande publique peut jouer à l’avenir dans la transition écologique.

La rénovation thermique des bâtiments publics apporte-t-elle selon vous la preuve que développement économique et transition écologique peuvent se concilier pour l’avenir et non plus s’opposer comme par le passé ?

D’une façon générale, il y a beaucoup d’infrastructures vieillissantes dans les communes qu’elles n’ont pas forcément les moyens d’entretenir. Les maires se posent ainsi souvent la question de l’intérêt de les conserver. D’autant qu’ils subissent parfois les injonctions contradictoires de la part de l’État qui compliquent la gestion de leur patrimoine immobilier. Mais, lorsqu’on sait que la facture énergétique est de plus en plus lourde, on comprend l’intérêt pour les administrations locales de viser à terme la sobriété énergétique de leurs bâtiments, pour avoir des charges de fonctionnement moins importantes. On veut des bâtiments les moins énergivores possibles voire des bâtiments qui pourraient être une source de revenus en produisant de l’électricité grâce à des panneaux photovoltaïques. Car, ce faisant, on pourra conserver des moyens sur la durée pour financer d’autres actions de développement économique ou redonner des marges de manœuvres aux entreprises : les économies réalisées pourraient en effet leur être redistribuées sous forme d’abaissement de fiscalité. C’est un vrai enjeu car les entreprises ont, d’une façon générale, l’impression de ne pas en avoir pour leur argent : elles sont soumises à une pression fiscale tout en ayant l’impression de payer pour un service qu’elles n’ont pas. Ce qui peut être source de découragement pour les petits commerçants.

Entre-temps, la rénovation thermique des bâtiments est synonyme de créations d’emplois : puisqu’il faut faire appel à des opérateurs – si possible locaux – pour faire les travaux. Il conviendra donc de bien « clauser » les marchés, de façon à pouvoir les orienter dans un sens conforme à l’intérêt du développement économique du territoire. Ce qui confirme une nouvelle fois le lien qu’on peut faire entre commande publique et transition écologique.

Avoir 35km de voirie pour une commune de 11 000 habitants comme Sainte-Savine est-il un atout ou un handicap lorsque l’on évoque la transition écologique ?

C’est un peu les deux. C’est certes un handicap car on a beaucoup de contraintes en termes d’entretien mais aussi de stationnement, puisqu’on est un centre-ville assez dense avec des rues somme toute étroites. Mais c’est également un atout car cela veut dire qu’on a beaucoup de possibilités en termes de développement de mobilité douce. L’enjeu ici est notamment de favoriser les déplacements de ceux qui vont travailler sur Paris ou, inversement, viennent de la Capitale pour travailler dans les environs de Troyes. Car nous sommes à 1h15 de Paris en train. Il nous faut donc développer la mobilité douce, comme le vélo, et d’autres moyens de locomotion alternatifs, comme l’autopartage, tout en étant vigilant au développement technologique lié à l’apparition à venir des véhicules autonomes en ville. Car ces derniers pourraient assez vite faciliter le transport collectif de personnes avec des petites jauges, peut-être dans moins de 10 ans. Or, ces évolutions nous offriront peut-être de nouvelles opportunités si on part du principe qu’on pourra réaffecter l’espace des places de stationnement devenues inutiles. Des emplois sont en jeu ne serait-ce que parce qu’on sera obligé de faire des aménagements avec l’aide d’opérateurs économiques.

Être à 1h15 en train de Paris vous permet-il de bénéficier de l’effet Covid qui conduit un certain nombre de parisiens à venir s’installer loin de la capitale pour retrouver le grand air ?

En fait, cet effet Covid est ancien pour nous car cela fait longtemps que des gens travaillant sur la Capitale sont venus s’installer sur notre territoire. Ce qui explique que l’immobilier de la commune était déjà en tension avant l’épidémie. De ce point de vue, ce sont plutôt les communes avoisinantes, plus rurales, qui bénéficient de cet effet Covid. La nouveauté du phénomène tient en effet à ce que les gens qui cherchent à s’installer recherchent davantage la campagne. Mais c’est effectivement de belles opportunités pour le développement économique du territoire qui s’annoncent à terme, puisque Sainte-Savine est un lieu de passage incontournable entre le centre-ville – et la gare de Troyes – et les communes voisines. On est sur un axe stratégique entre le parc d’activité économique et ce que j’appellerai le « pôle gare » qu’il convient de valoriser.

Est-ce également au nom de l’attractivité notamment économique de votre territoire que vous êtes sensible aux questions de sécurité ou d’hébergement des jeunes enfants en crèche ?

Effectivement : ce qui fait la prospérité de Sainte-Savine tient à la qualité de son cadre de vie. C’est la raison pour laquelle il convient de veiller à la tranquillité des habitants de façon à préserver le bien vivre sur la commune ; son esprit de village. C’est un vrai enjeu pour la ville lorsque l’on sait qu’un certain nombre d’entreprises prospectent pour venir s’installer dans le parc d’activité du grand Troyes. Mais ça ne suffit pas car leurs collaborateurs ne viendront s’implanter sur notre territoire que si les services communaux sont à la hauteur de leurs attentes.

Lorsqu’une entreprise veut s’implanter quelle est en effet, au fond, la réflexion des chefs d’entreprises ? Ils se demandent qu’offrira le territoire pour leur famille et celle de leurs collaborateurs en termes de crèches ; de tranquillité ; d’offres commerçantes et commerciales de proximité avec des produits de qualité ; d’accès à l’éducation… Ce sont des questions sur lesquelles nous devons être vigilants pour, a minima, maintenir l’offre existante mais si possible la développer. C’est la raison pour laquelle nous travaillons sur ces différents aspects à Sainte-Savine. Nous avons notamment la chance d’avoir une offre de formation qui est assez complète avec une antenne universitaire et une école polytechnique.

Votre projet politique comporte également un important volet culturel. Celui-ci peut-il jouer un effet levier sur le développement économique du territoire ? Si oui pourquoi ?

La culture a selon moi une importante dimension émancipatrice qui justifie qu’on contribue à son développement. Mais c’est également un vecteur d’attractivité économique à plusieurs égards. Avoir une offre culturelle encourage d’abord de nouveaux acteurs économiques ou cadres à venir s’implanter sur le territoire ou à y rester. C’est aussi un moyen de faciliter le rapprochement entre entreprises : car on constate que les salles de spectacles sont aussi des lieux de rencontres entre chefs d’entreprise. La culture contribue ainsi à la mise réseau des opérateurs économiques du territoire. Ceux du domaine de la culture lui-même bien sûr, mais aussi au-delà.

Enfin la culture est pour Sainte-Savine l’occasion de valoriser son important patrimoine culturel, puisque la commune a cette spécificité d’avoir reçu en dons ou en legs un certain nombre d’œuvres d’art sous forme de sculpture ou encore de peinture. Nous avons désormais une idée précise du nombre de pièces dont elle est propriétaire mais il nous reste à les identifier pour connaître leur valeur patrimoniale et déterminer leur mode de conservation avec l’aide de cabinets spécialisés. L’objectif à terme est de pouvoir faire connaître ces œuvres du grand public lors d’exposition et ainsi renforcer l’attractivité de la commune. Il s’agit de biens collectifs que les uns et les autres doivent pouvoir s’approprier.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Professeur des Universités à l’Université du Mans, Membre Sénior de l’Institut Universitaire de France, Membre du Thémis, Membre associé du LexFEIM.

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