Émeutes : « ostracisation » accrue et violence banalisée depuis 2005 selon un sociologue

Publié le 4 juillet 2023 à 11h45 - par

Comme en 2005, les émeutiers actuels expriment une « haine » de la police avec une violence désormais « banalisée » et un sentiment renforcé « d’ostracisation », souligne le sociologue du CNRS Olivier Galland.

Émeutes : "ostracisation" accrue et violence banalisée depuis 2005 selon un sociologue
© Image par Hubert2T de Pixabay

Ce spécialiste de la jeunesse a participé à une étude à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) après les émeutes de 2005 et, plus récemment, à une enquête auprès des 18-24 ans pour l’Institut Montaigne (« Une jeunesse plurielle », 2022).

Quels sont les principaux points communs entre les émeutes actuelles et celles de 2005 ?

« Il y a une détestation de la police, très répandue parmi ces jeunes dans les cités et qui se transforme en haine lorsqu’il y a un incident tragique. Il y a une économie parallèle dans beaucoup de ces quartiers, des activités délinquantes et de trafic auxquelles un certain nombre de ces jeunes participent. Cela occasionne des contrôles beaucoup plus fréquents et des tensions avec la police. Et occasionne aussi ce que l’on appelle une discrimination statistique qui fait que chaque jeune est un suspect aux yeux des forces de l’ordre. Ce contexte de quartier où des activités de délinquance font partie de la vie quotidienne favorise la formation d’une sorte de culture déviante, acceptée comme normale et qui permet de survivre en bravant la loi.

Autre point commun : il y a un sentiment d’ostracisation collective, qui existait déjà en 2005 mais qui s’est sans doute renforcé. Dans notre enquête de 2021 auprès d’un gros échantillon de 18-24 ans, on a constaté que les jeunes d’origine étrangère et notamment de confession musulmane sont très largement convaincus d’être face à une société hostile en fonction de leur origine ou de leur religion, société hostile dont le bras armé est la police. Tout  cela ne favorise pas une bonne intégration et crée une rancœur. Depuis 2005, cela a été renforcé par la remontée de l’adhésion à l’islam dans cette jeunesse, documentée dans beaucoup d’enquêtes. Il y a une grande coupure entre ces jeunes, repliés dans leur cité au sein de zones de plus en plus pauvres et ségréguées, et le reste de la société. »

Qu’a changé l’émergence des réseaux sociaux sur la géographie et l’âge des émeutiers ?

« Les réseaux sociaux ne sont pas à l’origine des émeutes mais ils contribuent à les propager, à les diffuser et à faire qu’un nombre grandissant de jeunes puissent adhérer à ces mouvements. Cela explique peut-être que des zones qui n’avaient pas été touchées en 2005 le sont aujourd’hui. Quant au jeune âge des émeutiers, c’était le cas déjà en 2005, où il y avait beaucoup de mineurs. Cela prouve quand même qu’il y a un échec de l’éducation. On met beaucoup en cause les familles. Les incriminer ne sert pas à grand chose à mon avis. Les familles, souvent, sont impuissantes face à ces groupes de jeunes très soudés. Je mettrais en avant l’école qui n’a pas joué son rôle de formation des citoyens. »

Peut-on parler d’une violence accrue, notamment contre les institutions (élus, bâtiments publics) ?

« La banalisation de la violence s’est aggravée. Dans notre enquête de 2021, la moitié des jeunes interrogés considéraient soit comme acceptable soit compréhensible de s’affronter à des élus pour contester. De la même manière, 40 % trouvaient acceptable ou compréhensible de s’affronter à la police. 16 % trouvaient acceptable ou compréhensible de provoquer des dégâts dans l’espace public, 14 % trouvant acceptable ou compréhensible de dégrader des établissements publics. Il y a un haut niveau d’acceptation de la violence. Le mouvement des Gilets jaunes a pu désinhiber la population pour accepter plus facilement ces comportements violents, considérant que cela paie d’utiliser la violence pour se faire entendre. »

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