Épuisement, précarité : pourquoi les étudiants infirmiers jettent l’éponge

Publié le 26 février 2024 à 13h40 - par

Le gouvernement met la dernière touche à sa réforme de la formation des infirmiers avant de la soumettre à la concertation « au printemps », un projet d’autant plus urgent pour le secteur que la part des apprentis infirmiers qui abandonnent leurs études augmente.

Épuisement, précarité : pourquoi les étudiants infirmiers jettent l'éponge
© Par sudok1 - stock.adobe.com

« Sur le fond, tout me plaisait : les matières, soins techniques, l’hôpital… Mais les conditions d’exercice étaient intenables », résume Héloïse, 21 ans, qui préfère taire son nom comme les autres étudiantes interrogées.

Selon la Drees, le service statistique des ministères sociaux, en 2022, 13 % des apprentis infirmiers ont interrompu (définitivement ou provisoirement) leurs études en première année, contre 4 % en 2014. Ce chiffre atteint 18 % sur les trois années de formation.

Face à une pénurie croissante de soignants, le gouvernement a ajouté depuis 2018 plusieurs milliers de places en instituts de formation en soins infirmiers (IFSI), mais le nombre de diplômés recule.

« Les causes sont multiples, mais la première – citée par 32 % des démissionnaires selon une étude –, ce sont les conditions de stage », assure Pauline Bourdin, présidente de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi).

« Avec le manque de soignants, de terrains de stage disponibles, et l’augmentation des effectifs en école, on n’a plus assez de professionnels pour encadrer les étudiants. Ils se retrouvent à quatre, cinq par stage, livrés à eux-mêmes », encombrant parfois des équipes débordées, explique-t-elle.

« J’étais un boulet », confirment les étudiantes interrogées. « Expliquer, montrer les gestes, ça prend du temps. Les infirmiers n’en ont pas », résume Marie, 21 ans. En stage de première année, elle devait « demander à chacun, chaque jour, qui voulait bien passer la journée avec moi ». Tous déclinaient.

Sa motivation prend l’eau en deuxième année, en foyer d’accueil médicalisé, en Île-de-France. Deux infirmiers « surchargés » se partagent cinq étages. Esseulée, Marie sert d’aide-soignante « à 1,10 euro de l’heure », s’épuise et « n’apprend rien ».

« Des robots »

« Je prenais énormément de retard sur les soins techniques, les pathologies », confie-t-elle. « Parfois je devais faire un soin, je ne savais pas. Je savais qu’au prochain stage, ils en attendraient davantage. J’y allais la boule au ventre, en pleurant ».

Zoé, qui rêvait des urgences, raconte sa « désillusion » puis son « burn-out » en troisième année, en Bretagne.

« C’était horrible de voir les patients entassés sur des brancards, faire les soins dans les couloirs sans aucune intimité. Les malades angoissent, voudraient juste une présence. Nous, on passe cinq minutes, sans lien ni humanité. On est des robots », soupire-t-elle.

« Certains professionnels, à bout, nous dégoûtent », ajoute-t-elle. Un jour, l’une de ses tutrices lui lance, peu après les présentations : « le métier est dur, tu devrais te barrer ».

D’autres deviennent maltraitants. « Épuisée » après plusieurs stages, Héloïse a choisi « d’imposer sa pause déjeuner ». « L’ambiance s’est tendue avec ma tutrice. Elle ne me parlait plus. Un jour elle m’a hurlé dessus, pour un détail ».

« Parler est impossible, tout le service se retournerait contre vous », déplore cette déléguée de promotion, dont les camarades « ont tous vécu ça ».

« Il y a aussi la charge de travail, intense », un « accompagnement insuffisant à l’école, par manque de formateurs », ou encore la « précarité étudiante », souligne Pauline Bourdin (Fnesi).

Pour « survivre », Marie prenait des petits boulots dans la restauration, s’imposant un rythme « invivable ». Tiraillée, elle n’exclut pas de « reprendre un jour l’école, après avoir économisé ».

Un rapport sénatorial pointait aussi en 2022 « l’inadaptation » de Parcoursup – qui a remplacé en 2019 le concours d’entrée –, dirigeant vers les IFSI trop de profils « insuffisamment motivés ».

Cette année, l’exécutif a ajouté à Parcoursup un « questionnaire d’auto-positionnement » obligatoire et la possibilité d’échanger avec des formateurs.

Mais il planche surtout sur une grande réforme du métier et des études. « Les textes seront soumis à la concertation au printemps » en vue, concernant la formation, d’une application « à la rentrée 2025 », précise le ministère de la Santé.

La Fnesi plaide pour généraliser les « journées d’immersion » proposées aux lycéens en IFSI, mieux payer les stagiaires, mais aussi former et rémunérer les tuteurs, en adaptant leurs plannings.

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