Faute de personnels, la protection de l’enfance s’enfonce dans la crise

Publié le 12 janvier 2024 à 8h30 - par

Trois instances publiques consultatives unissent leurs voix pour demander un « Plan Marshall pour la protection de l’enfance ».

Faute de personnels, la protection de l’enfance s’enfonce dans la crise
© Par congerdesign - Pixabay.com

Aggravation des situations de détresse des enfants, pénurie de professionnels, saturation des dispositifs d’accueil et d’accompagnement…, le secteur de la protection de l’enfance « connaît une crise sans précédent », alertent d’une même voix le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), le Conseil national de l’adoption (CNA) et le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ). Ainsi, l’enquête nationale menée en novembre 2023 par le réseau Uniopss-Uriopss auprès d’établissements et services associatifs montre à quel point la pénurie généralisée de professionnels dans ce secteur sensible, où les besoins sont croissants, pèse sur la qualité de l’accompagnement d’enfants fragilisés et la santé de professionnels sur-mobilisés.

Sur les 314 établissements et services de protection de l’enfance ayant répondu à l’enquête, la quasi-totalité (97 %) déclare rencontrer des difficultés de recrutement. Le taux moyen de postes vacants (tous postes confondus) s’élève à 9 % ! Les vacances de postes concernent massivement les travailleurs sociaux, mais également les postes d’encadrement, de secrétariat et d’autres personnels non éducatifs, tels que les agents d’entretien et les comptables, relève l’Uniopss. Les difficultés de recrutement se doublent d’arrêts de travail des professionnels en poste et de démissions. « Ces résultats illustrent des difficultés de recrutement ancrées touchant les métiers de l’accompagnement social et éducatif. La faible attractivité touche le secteur dans sa globalité (établissements, accompagnements en milieu ouvert, prévention spécialisée…) et concerne également les métiers administratifs et techniques », commentent les auteurs de l’étude. Dans ce contexte, le recours à l’intérim est fréquent. Près de 40 % des répondants déclarent y recourir. Il est néanmoins très coûteux pour les établissements et services et peut déstabiliser les équipes en place (turn-over des professionnels en intérim, écarts de rémunération…), observe l’Uniopss.

Selon l’Uniopss, une très large majorité des établissements et services associatifs conduisent des réflexions et des actions pour trouver des solutions à la pénurie de professionnels. Malgré cela, au cours des derniers mois, faute de professionnels, 20 % des établissements et services ont été contraints de réduire leur capacité d’accompagnement en semaine ou les week-ends. Un peu plus de 5 % ont été contraints à des fermetures totales de service en semaine ou les week-ends. Durant ces périodes, les enfants accompagnés peuvent retourner en familles ou être accueillis ou accompagnés par d’autres services. Ces alternatives sont mobilisées y compris lorsqu’elles ne correspondent pas au projet pour l’enfant et à ses besoins.

Dans ce contexte dégradé, beaucoup d’établissements et services évoquent ainsi des actions mises en place pour « faire avec » la pénurie de professionnels : des recrutements de professionnels sans aucune formation, des reports d’activité sur le reste de l’équipe, des missions non assumées, au mépris des droits des parents et des enfants (non-respect des droits de visite et d’hébergement, annulation des visites médiatisées entre les enfants et les familles…), des listes d’attente qui s’allongent… La situation décrite par les établissements et services ayant répondu à l’enquête est « alarmante », insiste l’Uniopss.

Dans un contexte d’augmentation continue du nombre d’enfants et de jeunes protégés par l’aide sociale à l’enfance (ASE), près de 60 % des établissements et services ont été contraints, au cours des derniers mois, de dépasser leur capacité autorisée d’accueil ou d’accompagnement, poursuit l’enquête. Ces établissements ou services accompagnent donc un nombre trop important d’enfants par rapport aux moyens dont ils disposent. Pour près d’un tiers (30 %) des répondants, ce dépassement de capacité autorisée est régulier ou permanent. Parallèlement, près de 45 % des établissements et services de protection de l’enfance ayant répondu à l’enquête sont également amenés à accompagner des enfants et des jeunes dont les profils ne correspondent pas au projet d’établissement ou de service. « Outre la question importante de la légalité de ces accueils, ces accompagnements sont bien souvent synonymes d’une protection ne permettant pas de répondre aux besoins des enfants et d’équipes mises à mal : locaux et matériels inadaptés, professionnels non formés, absence d’étayage par des secteurs partenaires… », pointe l’Uniopss. De manière massive, ces accueils ou accompagnements hors habilitation concernent des enfants ou jeunes en situation de handicap, incluant des troubles psychiques (76 % des répondants). « Ces accueils et accompagnements en surnombre et/ou inadaptés aux besoins des enfants génèrent des tensions et accentuent la perte de sens au travail des professionnels », ajoutent les promoteurs de l’enquête. « La protection de l’enfance pâtit de difficultés structurelles à répondre de manière réactive et adaptée au besoin de protection des enfants, mais aussi des carences d’autres secteurs, notamment dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap. »

Les alertes qui se sont multipliées depuis de nombreux mois appellent « la mise en œuvre immédiate » des priorités énoncées dans le « Plan Marshall pour la protection de l’enfance » porté par le Conseil national de la protection de l’enfance, le Conseil national de l’adoption et le Conseil d’orientation des politiques jeunesse. « Ce secteur en crise a besoin de mesures immédiates pour faire face à l’urgence, mais aussi de réponses structurelles pour pérenniser et sécuriser les dispositifs de protection des enfants », ont expliqué les trois instances publiques consultatives, mi-novembre.

« Cette crise inédite et multiforme appelle nécessairement des réponses concertées et des moyens dédiés », plaident le CNPE, le CNA et le COJ. Il faut garantir aux institutions publiques et associatives les ressources humaines et financières nécessaires à l’accueil et l’accompagnement des enfants en danger, mais aussi soutenir le déploiement d’actions visant à prévenir toute forme de violences faites aux enfants. L’urgence de la situation impose également un renforcement des coopérations État-Départements et la mobilisation de tous les acteurs de la société civile, associations, élus, réseaux de proximité pour mieux répondre aux besoins des enfants, en particulier les plus vulnérables, concluent les trois instances publiques.


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