Un chercheur dénonce la gabegie de la vidéosurveillance

Publié le 26 avril 2018 à 10h27 - par

Gaspillage d’argent public, inutilité contre la délinquance, mauvaise utilisation des moyens financiers consacrés à la sécurité… La vidéosurveillance de la voie publique n’aurait pas l’efficacité qu’on lui prête.

Un chercheur dénonce la gabegie de la vidéosurveillance

Quelque 3 500 villes, y compris de toutes petites communes qui ne connaissent aucun problème de sécurité, sont aujourd’hui équipées en caméras. Or, la vidéosurveillance de la voie publique n’aurait pas l’efficacité qu’on lui prête, dénonce Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS (laboratoire Méditerranéen de sociologie) dans le livre « Vous êtes filmés. Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance », paru en mars aux Éditions Armand Colin. L’auteur a étudié des centaines de documents et enquêté plusieurs mois, entre 2012 et 2016, dans trois villes emblématiques du Sud qu’il décrit sans les nommer : l’une de 8 000 habitants, l’autre de 19 000 habitants, ainsi qu’à Marseille qu’il appelle Méga City (860 000 habitants). Bilan : des dispositifs onéreux et peu utiles, qui ne seront jamais des outils importants de lutte contre la délinquance et encore moins contre le terrorisme.

Depuis que la politique de déploiement de la vidéosurveillance a été décidé en 2007 par Nicolas Sarkozy, et poursuivie par François Hollande qui ne l’a « jamais remise en question », elle aurait coûté aux finances publiques plusieurs milliards d’euros, en additionnant les différents budgets : État, départements, communes et désormais régions. Entre 2007 et 2013, l’État a investi 150 millions, notamment par l’intermédiaire du Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIPD), et les collectivités au moins autant. Le tout pour une efficacité qui ne semble pas prouvée, selon l’auteur qui évoque une « véritable gabegie », un « écran de fumée », ainsi qu’une aubaine pour les fabricants de matériel constitués en lobby.

De plus, dans des villes qui manquent de moyens pour répondre aux demandes de sécurité de la population, la vidéosurveillance mobilise du personnel qui pourrait être employé sur le terrain : policiers, gendarmes, magistrats, travailleurs sociaux… Au détriment de la prévention, dont « personne ne se préoccupe plus vraiment ». Sans compter que les agents du centre de surveillance urbaine (CSU) n’ont souvent pas la formation adéquate.

Les rapports de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes et les registres de la police et de la gendarmerie, montrent que la vidéosurveillance est inefficace pour lutter contre la délinquance, précise Laurent Mucchielli. Elle aide surtout à trouver, après coup, des éléments de preuve pour contribuer aux enquêtes sur des infractions de délinquance de voie publique. Avec un résultat compris entre 1 et 2 % du total de ces enquêtes. De surcroît, même si une image contribue à l’élucidation policière, elle n’est pas automatiquement décisive dans le traitement judiciaire de l’affaire.

Par ailleurs, les villes utilisent de plus en plus les caméras pour dresser des contraventions (vidéoverbalisation), comme le fait Nice depuis 2010, un procédé qui pourra s’étendre à des infractions autres que le stationnement.

Laurent Muchielli estime que seul un nombre limité de caméras devrait enregistrer des images en continu sur la voie publique. En revanche, installer des caméras en dehors de ces sites pour répondre au sentiment d’insécurité de la population, ou à la pression d’un groupe social ou politique, constitue un « détournement fallacieux » de la vidéosurveillance et un gaspillage d’argent public. Ce qui devrait conduire la plupart des villes à désinstaller de nombreuses caméras. Dans certaines villes, comme dans certains villages au risque sécuritaire nul, c’est même tout le dispositif qui devrait être abandonné. En outre, employer des agents municipaux pour regarder des images à longueur de journée constitue également une perte de temps et un gaspillage d’argent public, « sauf à faire valider par la population le fait que cette activité de surveillance a pour principal résultat d’accroître la répression des infractions routières commises par un grand nombre de ces mêmes citoyens ».

Pour accroître la sécurité et la confiance des citoyens, employer les moyens humains sur le terrain dans les villes où ils sont insuffisants serait donc beaucoup plus utile. Ainsi, avec les 7 millions d’euros qu’elle dépense chaque année pour la vidéosurveillance, Marseille pourrait embaucher plus de deux cents agents.

Martine Courgnaud – Del Ry


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