Le choc suscité cette semaine par le meurtre d’un employé municipal, abattu en pleine rue par un chauffard qu’il tentait de retenir, est venu alourdir une atmosphère déjà tendue par une succession de règlements de comptes entre bandes rivales de trafiquants de drogue.
Le maire de Grenoble, l’écologiste Éric Piolle, a été vivement attaqué par la droite sur sa politique sécuritaire et a dû se justifier sur son refus d’armer les policiers municipaux et sur ses réserves quant aux caméras de surveillance.
Les réseaux sociaux ne sont pas en reste : « Quand vous êtes à Grenoble n’oubliez pas de mettre votre gilet pare-balles », affirme un internaute sur X. D’autres comparent la ville à Chicago.
« Problème évident »
En matière de sécurité, « il y a un problème évident à Grenoble », reconnaît le maire, évoquant des épisodes de violence « extrêmement chauds, intra-deal » de drogue survenus cet été.
L’usage d’armes se répand non seulement dans les quartiers sensibles mais aussi au centre-ville de Grenoble ou Échirolles, ville limitrophe, se désolent les autorités, qui redoutent des victimes par balle perdue. La police et le parquet ont multiplié ces derniers mois les interpellations et les opérations visant à déstabiliser ces réseaux criminels.
Le nombre d’homicides en Isère restait en deçà de la moyenne nationale en 2023 (1,17 homicide pour 100 000 habitants, contre 1,5) selon des statistiques du ministère de l’Intérieur, qui ne détaille pas par ville.
Parallèlement, Grenoble est célébrée pour son cadre naturel au cœur des Alpes et sa qualité de vie, ainsi que par l’excellence de ses pôles de recherche et d’industrie, qui attirent de nombreux diplômés étrangers. Réputée sportive et dynamique, elle accueille aussi plus de 40 000 étudiants par an dans son vaste campus à l’américaine.
En juin, la métropole alpine s’est positionnée en tête d’un classement évaluant la qualité de vie dans mille grandes villes du monde établi par le groupe Oxford Economics, devançant Canberra (Australie) et Berne (Suisse).
« Modèle » à l’étranger
Outre un relativement faible niveau d’inégalité de revenus entre ses habitants, la ville bénéficie de nombreux lieux dédiés aux loisirs et à la culture ainsi que d’un « cadre remarquable pour les activités de plein air », explique l’étude.
Grenoble bénéficie de fait d’une très bonne image à l’étranger où elle « sert souvent de modèle » en matière de politiques publiques, souligne Mélina Herenger, vice-présidente de la métropole de Grenoble en charge du tourisme, de l’attractivité et de la qualité de vie.
Pour autant, les ambivalences de sa réputation « sont réelles » et « les deux Grenoble existent », estime-t-elle. Mais le prisme de l’insécurité est réducteur et ne représente qu’une « toute petite proportion par rapport au bien-vivre grenoblois », souligne-t-elle.
Un message qu’il est cependant « compliqué » de faire passer actuellement, reconnaît-elle.
« Dépassionner le débat »
L’image de Grenoble a longtemps été associée essentiellement à l’innovation, à la science et à la montagne, même si une dimension liée à la mafia italienne et au grand banditisme était déjà présente dans le passé, souligne Thibault Daudigeos, co-auteur d’une récente étude sur le traitement médiatique de l’insécurité à Grenoble depuis 1945.
Cette image s’est dégradée dans les années 2000 et notammment depuis ce qui est resté dans les mémoires sous le nom de « discours de Grenoble » du président de l’époque, Nicolas Sarkozy, en 2010, note le chercheur, également titulaire de la chaire Territoires en transition à l’École de Management de Grenoble.
Le discours, axé sur de nouvelles mesures sécuritaires et de contrôle de l’immigration, aura pour effet de provoquer une « cristallisation » et une « fixation des médias sur la sécurité à Grenoble », qui deviendra « le symbole de la ville dangereuse en France », estime M. Daudigeos.
L’élection de M. Piolle à la mairie en 2014, plaçant le territoire au cœur de la lutte politique, « jouera énormément » aussi, selon lui.
Dans ce contexte, l’étude d’Oxford Economics a eu « le mérite de parler de choses dont parlent moins les médias français », par exemple l’accès à des « espaces de plein air pour la majorité des citoyens, le coût de l’immobilier, des dimensions très importantes dans le bien-vivre ».
De quoi « dépassionner le débat », souligne-t-il.
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