Le tram de Marseille évoque une proue de navire antique, celui de Reims une flûte de champagne, celui de Lyon un ver à soie, Montpellier a habillé ses rames d’hirondelles, de fleurs, de coquillages et maintenant de verdure, Aubagne a choisi des petits personnages amusants d’Hervé Di Rosa, l’Île-de-France a illuminé ses derniers modèles…
À Tours, la designeuse Régine Charvet Pello dit avoir « voulu faire du tramway une œuvre d’art », avec la complicité du plasticien Daniel Buren : un « curseur qui glisse dans la ville », tout en métal, miroirs et lumières.
« On va à la racine de ce qui fait l’intérêt et l’essence d’une ville », explique-t-elle à l’AFP. « On regarde la ville dans les yeux. »
Parmi les villes françaises qui ont renoué avec le tram, Strasbourg a « crevé l’écran » en 1994, estime Yo Kaminagai, responsable du design à la RATP qui a organisé il y a quelques années une exposition sur l’« école française » du tramway.
La maire Catherine Trautmann voulait « obtenir un bel objet inédit » avec une sorte de chenille, qui l’a aidée à faire oublier le projet de métro de son prédécesseur – et à chasser les voitures de l’hypercentre.
Ce tramway baptisé Eurotram était à l’époque construit par le groupe helvético-suédois ABB. Le français Alstom, à qui le marché avait échappé, s’est alors sérieusement intéressé à la question. Il conçut le Citadis, un nouveau modèle permettant de personnaliser les tramways, à partir d’une base standardisée.
Le Citadis a fait un carton en France, et Alstom en a vendu 3 000 dans le monde entier, jusqu’en Australie.
« Globalement, on essaie d’avoir 70 % d’éléments communs. Comme ça, on peut tout passer sur la même ligne de production », remarque Jean-Baptiste Eyméoud, le président d’Alstom France. Avec « du sur-mesure », surtout pour les aménagements intérieurs et le design extérieur, en fonction des demandes des villes.
Storytelling urbanistique
D’autres constructeurs comme Bombardier ont suivi le mouvement. Les trams de Bruxelles et de Marseille sont ainsi de la même famille, mais ils ne se ressemblent absolument pas.
« Les maires ont tiré parti de ce concept pour mettre leur tête sur la face avant du tramway », raconte le directeur du design d’Alstom, Xavier Allard. « Chacun disait qu’il avait pu acheter le plus beau tramway de France, et même du monde ! »
Le géographe Luc Gwiazdzinski évoque « un storytelling urbanistique », d’autant que les agglomérations ont souvent réaménagé tout l’espace urbain là où elles construisaient une ligne de tramway.
« Les nouvelles attentes en termes de développement durable et de marketing urbain en ont fait un objet de désir, une icône sacralisée et un symbole des mutations qui affectent la ville et la fabrique urbaine », écrit-il.
« Il y a eu une espèce d’effervescence autour de ce produit » depuis le lancement de la gamme Citadis à Montpellier, Orléans et Lyon en 2000. « Ça a très bien marché pendant une quinzaine d’années », indique Xavier Allard chez Alstom.
Les réseaux continuent à s’étendre, mais « on est aujourd’hui dans une certaine recherche d’efficacité », d’autant qu’« on veut davantage montrer qu’on maîtrise la dépense », selon lui.
L’accent est désormais mis sur « un bien-être à bord », en privilégiant les aménagements intérieurs, remarque-t-il.
Présenté lundi 13 février 2023 à l’usine de La Rochelle, le dernier-né des trams d’Alstom destiné à Nantes est sans doute un bon exemple : un profil marqué mais pas ostentatoire – avec un très beau vert -, de grandes baies vitrées et un intérieur discrètement soigné.
Régine Charvet Pello, qui en a conçu le design en s’appuyant sur les attentes des habitants, parle de légèreté, de luminosité, de fluidité, et même de douceur.
Elle veut « donner le désir du voyage ». « Si les gens ne s’approprient pas le tramway, ça ne marche pas ! »
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