Transports urbains : le financement n’est plus assuré !

Publié le 24 janvier 2024 à 14h20 - par

Recettes qui plafonnent, dépenses qui augmentent, le financement des transports urbains devient préoccupant, même si les idées ne manquent pas.

Transports urbains : le financement n’est plus assuré !
© Par astrosystem - stock.adobe.com

En France, le financement des transports urbains, quasi stable jusqu’en 2019, est assuré majoritairement par le versement mobilité (VM) à 47 %, devant les contributions locales (34 %), les recettes commerciales (17 %) et l’État (2 %)1. Depuis 2019, de multiples facteurs interfèrent.

Un besoin en fonctionnement de 10 Mds €

La crise sanitaire avait impacté les recettes, les confinements ayant plombé la fréquentation. L’État a octroyé aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) des avances remboursables (2,65 Mds €) et plus marginalement des subventions (505 M €), renouvelées récemment avec l’inflation (300 M €)2, selon le rapport d’information sur les modes de financement des AOM du 4 juillet 2023 des sénateurs Maurey et Sautarel. Il faut maintenant rembourser ces avances. Et la fréquentation met du temps à revenir : « Dans les grandes agglos, les niveaux de 2019 vont être retrouvés en 2023 ou 2024, dans les moyennes, ce sera après », estime Pascal Martin, responsable transports publics au bureau d’études Transitec. Les recettes des AOM locales progresseront néanmoins, de 305 M € en 2024 à 1,421 Md € en 2030 selon le rapport sénatorial, avec pour hypothèse une dynamique naturelle du VM3 et une stagnation des recettes commerciales et contributions locales.

Problème, les dépenses se bousculent. L’étalement des aires urbaines et l’agrandissement des EPCI ont fait croître les besoins de mobilité. Et pour respecter les engagements climatiques, l’offre de transports en commun doit progresser de 20 à 25 % d’ici 2030, d’où selon la mission une augmentation quasi proportionnelle des dépenses de fonctionnement des AOM locales (16 à 18 Mds €), inflation prévisionnelle incluse. Résultat : un besoin des AOM locales en fonctionnement cumulé jusqu’en 2030 de 8,5 à 11 Mds €.

Côté investissements, en additionnant nouveaux TCSP, rénovation des réseaux, RER métropolitains et renouvellement du matériel roulant (verdissement des flottes), 30 Mds € seraient nécessaires d’ici 2030 selon le Groupement des autorités responsables de transport (GART).

Il faut de nouveaux financements

Que faire ? Les sénateurs Maurey et Sautarel font vingt recommandations en six axes. Pour les transports urbains, il s’agit d’abord d’améliorer leur performance par la coopération entre AOM. Pascal Martin évoque, lui, la possibilité d’étaler ses investissements : « En anticipant les développements à 10-15 ans (au-delà des mandats), mieux on investit et plus on augmente la fréquentation ». Il faut aussi mobiliser certains financements existants (fonds vert, certificats d’économie d’énergie). Le GART avait, lui, proposé lors des présidentielles d’affecter une partie de la fiscalité environnementale à la mobilité. Des logiques qui viennent récompenser le côté vertueux des transports urbains ou encore le verdissement des flottes… à moins de « transformer ce dernier (20 % de surcoût) en frais financiers », selon Pascal Martin. Troisième axe, octroyer des moyens nationaux (allègement des avances remboursables, création d’un Fonds écologique transports du quotidien), pour rattraper nos voisins européens chez qui les subventions publiques sont plus utilisées.

Quatrième recommandation : consolider le financement des AOM, par un rattachement des tarifications solidaires aux politiques sociales et un renforcement du VM à l’heure où les AOM sont majoritairement au plafond4. Romain Roy, vice-président transports à Orléans Métropole, milite lui pour un taux de 2,5 % (au lieu des 0,5 à 2 % actuels). Les entreprises apprécieront… ou pas. Les sénateurs proposent aussi de nouveaux financements : accise sur les énergies, nouvelle taxe sur les sociétés d’autoroutes, taxe locale sur les plus-values immobilières générées par les nouvelles offres de transport… Le GART ajoute une contribution du secteur aérien. Romain Roy évoque quant à lui son projet de conventionner, au-delà de la frontière de sa métropole, avec des collectivités (Région, Département, intercos) et des entreprises pour compléter son financement. Enfin, les sénateurs préconisent la remise à plat du financement d’Île-de-France Mobilités. D’ici là, le budget des collectivités sera sollicité. Jusqu’où ?

Frédéric Ville


1. Rapport d’information sur les modes de financement des AOM, Commission finances du Sénat/GART, 2019

2. AOM + Île-de-France

3. Développement des entreprises en nombre d’unités et de salariés et en masse salariale.

4. 171 des 262 AOM levant le VM en 2023 appliqueraient déjà le taux plafond hors majorations pour TCSP selon le rapport sénatorial.

Gratuité : quel impact financier ?

Difficile d’adopter la gratuité quand les recettes tarifaires pèsent trop dans le budget transport, comme pour les agglos de plus de 250 000 habitants où le ratio recettes sur dépenses est de 38 % (Source : UTP, 2019). À Montpellier, « l’augmentation du VM de 90 à 120 M € entre 2019 et 2024 a rendu possible en décembre dernier la gratuité pour les habitants de l’agglo (30 M € de recettes tarifaires abandonnées), le VM suffisant pour le fonctionnement », selon Renaud Calvat, vice-président aux finances de la métropole. À Orléans Métropole au contraire, le vice-président transports défend des recettes tarifaires à environ 19 % du budget transports de 119,5 M € (investissements compris) : « Les transports en commun, trois fois moins cher qu’un véhicule individuel, sont déjà très compétitifs. Avec les 20 à 25 M €/an de recettes tarifaires, on peut mettre en circulation de nouveaux bus, assurer des lignes de nuit, etc. Les habitants attendent davantage de la qualité que la gratuité ».

Par ailleurs, la gratuité ne fait pas baisser le coût des transports urbains selon une analyse de Transitec entre 1995 et 2015 sur six agglos passées à la gratuité (Aubagne, Castres, Châteauroux, Compiègne, Gap et Libourne) : « Ce qu’on économise sur la vente des billets, la perception et le contrôle est limité. Les coûts globaux augmentent plutôt avec un renforcement de l’offre comme à Châteauroux ou Dunkerque. Aubagne est passé de 125 €/hab. avant gratuité en 2009 à plus de 200 €/hab. en 2015 », note Pascal Martin (Transitec). Cela se confirme à Montpellier : pour le fonctionnement d’une cinquième ligne de tramway et de cinq lignes de bus à haut niveau de service (BHNS) à partir de 2025-2028, la progression du VM ne suffira peut-être pas, auquel cas il faudra alors faire appel au budget général. Pascal Martin prône le pragmatisme : « Le coût de la gratuité ne doit pas empêcher de développer l’offre, seul moteur pour augmenter la fréquentation ».


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