Analyse des spécialistes / Urbanisme

Modernisation des règles de gestion des biens immobiliers du domaine public

Publié le 12 décembre 2017 à 13h43 - par

La gestion du patrimoine immobilier des collectivités publiques est un sujet aussi complexe que sensible. Retours sur les principaux points établis par l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017.

Modernisation des règles de gestion des biens immobiliers du domaine public

Alexandre Le Mière, Avocat associé chez Redlink

Alexandre Le Mière

 

 

Le patrimoine public répond à des règles de protection stricte qui visent à garantir à la fois l’usage public de certains biens et l’exécution de certains services publics. Parallèlement, certains biens immobiliers publics peuvent perdre leur « utilité », le public n’en ayant plus l’usage et/ou le service public qu’il accueillait étant supprimé ou transféré. Dans cette situation, l’immobilier public peut devenir une charge d’autant plus lourde qu’il existe une obligation d’entretien général des propriétés publiques incombant aux personnes publiques (CE, 3 mai 1963, min. Travaux publics c/ Cne Saint-Brévin-les-Pins, RDP 1963).

Ce sont ces préoccupations qui ont conduit à insérer au sein du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), via l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, de nouvelles dispositions visant à dynamiser et à moderniser la gestion et la cession des propriétés publiques.

Ces nouvelles dispositions applicables tiennent dans 4 articles qui insèrent de nouveaux articles au sein du CG3P ou complètent certaines dispositions. Elles généralisent la possibilité de déclasser de manière anticipée les biens du domaine public, encadrent les promesses de vente et autorisent la régularisation de certaines opérations antérieures.

Toutes les personnes publiques peuvent désormais déclasser des dépendances du domaine public par anticipation

Rappelons au préalable qu’une personne publique ne peut céder un bien du domaine public que s’il a été précédemment désaffecté (c’est-à-dire que la cessation de son affectation à l’usage du public ou à un service public a été constatée) et s’il a ensuite fait l’objet d’un déclassement (c’est-à-dire qu’il a été formellement « sorti » du domaine public pour intégrer le domaine privé de la personne publique).

L’ordonnance du 19 avril 2017 élargit cependant aux collectivités locales la possibilité déjà offerte à l’État et à ses établissements publics (et de façon limitée dans le temps) d’opérer des déclassements par anticipation.

Ainsi, l’article L. 2141-2 du CG3P précise que le déclassement des immeubles du domaine public artificiel peut être prononcé dès lors que leur désaffectation a été « décidée » par la personne publique qui en est propriétaire. Alors qu’ils sont encore temporairement utiles à un service public ou que le public continue à les utiliser, la personne publique peut prévoir en amont, de manière anticipée, que ces immeubles sortiront du domaine public. Le maire d’une commune pourra ainsi, par exemple, anticiper le déclassement de son école dont la fermeture est prévue à la fin de l’année scolaire, alors même que, au moment de l’adoption de l’acte de déclassement, l’école accueille toujours des élèves.

Le déclassement d’un immeuble du domaine public artificiel peut donc être prévu alors même que celui-ci n’est pas encore désaffecté. Autrement dit, il fait encore partie du domaine public, il reste affecté pendant un certain temps à un service public ou à l’usage direct du public, mais la personne publique prévoit en amont la date à laquelle il sortira dudit domaine.

Le CG3P impose cependant à la personne publique de fixer précisément dans son acte de déclassement le délai dont elle dispose pour désaffecter l’immeuble. En principe, ce délai ne peut excéder trois ans. Exceptionnellement, il peut être de six ans dans les cas où, pour désaffecter l’immeuble, il est nécessaire de réaliser des travaux de construction, de restauration ou de réaménagement.

Si le bien n’a pas été désaffecté dans les délais, et en cas de vente de l’immeuble, l’acte de vente sera résolu de plein droit et la cession ne pourra avoir lieu. Ceci implique donc pour l’autorité compétente de prévoir précisément le calendrier de la libération de l’immeuble en vue de sa cession. La loi impose en effet que l’immeuble reste affecté jusqu’à son aliénation.

L’esprit qui sous-tend cette ordonnance est de faciliter la gestion des projets de cession des immeubles de toutes les personnes publiques (et non plus seulement de l’État et ses établissements publics) afin de simplifier les opérations de sortie du patrimoine public et de leur conférer plus de liberté.

La possibilité de conclure des promesses de vente sur des biens relevant du domaine public, par principe incessible, sous conditions suspensives de déclassement et de désaffectation

L’ordonnance assouplit les conditions de conclusion de promesse de vente et d’octroi de droits réels à compter de la décision de désaffectation (art. L. 3112-4 du CG3P). Il est donc désormais possible que la vente d’un bien soit conclue alors que, au moment de la signature de l’acte de vente, celui-ci continue d’appartenir au domaine public.

Rappelons qu’en principe, les biens du domaine public sont incessibles et inaliénables. Jusqu’ici, quand une collectivité publique souhaitait céder un de ses biens appartenant au domaine public, il pouvait lui être difficile de réaliser cette opération dans la mesure où le déclassement devait obligatoirement précéder la signature de la promesse de vente (ce qui limitait notamment l’appétit d’éventuels acheteurs-investisseurs qui ne pouvaient pas sécuriser en amont leur projet).

Dorénavant, lorsque les nécessités du service public ou de l’usage direct du public le justifient, le CG3P admet que la personne publique déroge à ce principe. Une personne publique peut en effet vendre un bien du domaine public à la condition que ce bien soit désaffecté dans un délai précis, ce délai étant fixé dans la promesse de vente afin d’éviter des engagements sine die.

Dans l’hypothèse où le bien ne serait pas désaffecté et déclassé dans ce délai, la cession ne pourra avoir lieu. Cette faculté de promettre de céder un bien encore non-déclassé et non-désaffecté oblige la personne publique à engager toutes les mesures nécessaires à la désaffectation effective du bien.

Par ailleurs, il est obligatoire de stipuler dans la promesse de vente (ou dans la promesse d’attribution d’un droit réel) que la cession n’aura pas lieu si la continuité du service public ou la protection des libertés impose le maintien du bien dans le domaine public. Si le contrat ne contient pas une telle clause, il est susceptible d’être annulé.

Enfin, si la cession est annulée pour ces motifs, le bénéficiaire de la vente ne pourra être indemnisé que des frais qu’il a engagés au profit de la personne publique propriétaire. À titre d’exemple, cela peut concerner les frais engagés pour des travaux ayant amélioré le bien objet de la vente non réalisée, ou l’ayant entretenu en prévision de la vente.

La possibilité de régulariser les opérations de cession des propriétés publiques intervenues sans déclassement préalable

L’ordonnance a, enfin, prévu une disposition « balai » ouvrant la possibilité de régulariser des situations constituées avant le 21 avril 2017, avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance. L’article 12 de l’ordonnance (non codifié) permet en effet aux personnes publiques qui auraient fait l’objet d’un acte de disposition au profit d’une personne privée sans avoir été déclassés préalablement (et à la condition qu’ils n’étaient plus à cette date affectés à l’usage du public ou à un service public) de régulariser rétroactivement la situation (en opérant donc un déclassement a posteriori).
 

Alexandre Le Mière, Avocat associé chez Redlink


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