« Certaines normes sont pavées de bonnes intentions, notamment environnementales. […] Seulement, leur mise en œuvre est déconnectée des réalités ». En clôture du congrès des maires, Sébastien Lecornu a voulu faire plaisir aux élus et au président de l’AMF, David Lisnard, dont la lutte contre les normes est le cheval de bataille. Pourquoi existe-t-il autant de normes ? Le Premier ministre apporte ses explications. « Nous sommes face à une demande sociale très forte de protection, estime-t-il. À chaque crise correspond une loi ». Il explique aussi l’excès normatif du fait d’un « jacobinisme parisien auquel s’ajoute parfois un jacobinisme régional ». Et de plaider pour « se faire plus confiance et élaguer bon nombre de normes du champ réglementaire ».
Suppression d’une centaine de normes
En pratique, il s’engage « à prendre un premier ‘méga-décret’ avant Noël pour élaguer une trentaine de normes et de décrets surréalistes » qui compliquent l’action des collectivités. Entre janvier et février, un second « méga-décret » visera à supprimer 70 autres normes. Et de détailler quelques-unes de ces disparitions à venir : la transmission au contrôle de légalité de certains actes RH mineurs des collectivités, l’obligation de signature des formulaires Cerfa pour les autorisations du droit du sol, l’obligation d’impression des documents d’urbanisme pour diffusion, l’obligation de contrôle bimensuel des incinérateurs, l’obligation annuelle de vidange des piscines municipales… Il s’agira aussi d’autoriser la réunion des commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI) en visioconférence, la réunion d’un conseil de discipline ailleurs qu’au centre de gestion, ou encore la fusion de tous les registres de délibérations des collectivités comme de tous leurs bilans annuels sociaux.
Pour ces deux décrets, l’AMF sera consultée, précise Sébastien Locornu. Et d’annoncer sa volonté que « le prochain mandat municipal puisse démarrer avec plus de simplicité ». Parmi ses autres annonces, un autre décret va relever le seuil de 40 000 euros à 60 000 euros pour les marchés de fournitures, mais aussi prolonger le seuil à 100 000 euros pour tous les marchés de travaux (il devait s’achever en 2026). « C’est du bon sens », a lancé le Premier ministre. De même, il veut revoir le décret tertiaire pour repousser de 2027 à 2030 l’obligation de réduction de la consommation d’énergie finale des bâtiments à usage tertiaire.
La simplification normative reposera aussi sur la promulgation prochaine de la proposition de loi Huwart, visant à simplifier le droit de l’urbanisme local, a-t-il souligné.
Décentralisation : un projet de loi avant Noël
En matière de décentralisation, le Premier ministre a joué la carte du pragmatisme en affirmant qu’« entre le grand soir et quelques mesures de bon sens, on peut y arriver ». Il souhaite qu’un projet de loi, passant par une réforme du rôle de l’État et une clarification des compétences, soit présenté en Conseil des ministres avant Noël. Pour rappel, les associations d’élus ont eu jusqu’à fin octobre pour déposer leurs propositions à Matignon. Selon Sébastien Lecornu, qui se veut optimiste, « il y a un chemin à l’Assemblée et au Sénat pour entamer un début de cette réforme de l’État que nous appelons tous de nos vœux et qui permettra un début de clarification sur plusieurs politiques publiques urgentes pour le prochain mandat municipal ».
« Il faut que les Français sachent qui remercier et qui engueuler lorsqu’ils ne sont pas satisfaits du service public qui leur est rendu », a résumé le chef du gouvernement. Sur le besoin de clarification, il cite le logement qui fera partie du projet de loi. « Il y a trop de cuisiniers dans la cuisine, on ne sait pas qui fait quoi », lance-t-il pour illustrer le trop grand nombre d’acteurs en présence et l’inertie qui peut en découler. « Nous ne pouvons pas attendre l’après-présidentielle pour avancer sur cette question du logement », estime Sébastien Lecornu.
Parmi les premières associations d’élus à réagir à son discours, Intercommunalités de France « se félicite que le Premier ministre ait mis le logement au cœur du projet de loi de décentralisation ». Satisfaction également de l’annonce de la simplification et modification d’une centaine de normes administratives.
Budget 2026 : les élus restent sur leur faim
Pour le premier vice-président délégué de l’AMF, André Laignel, le calendrier du projet de loi sur la décentralisation est « complètement irréaliste », a-t-il déclaré sur Public Sénat, après les annonces du Premier ministre. Mais il a surtout déploré l’absence de « mesures concrètes » sur la loi de finances ». L’effort demandé aux collectivités s’élève à 4,7 milliards d’euros, voire même 8 milliards selon le Comité des finances locales. Sur le même registre, David Lisnard a fustigé le « zéro réponse » du Premier ministre, également sur Public Sénat.
Tout en reconnaissant les « inquiétudes » des élus sur le projet de budget 2026, il est vrai que Sébastien Lecornu n’a pas été très disert sur le sujet. « J’ai donné mandat aux ministres, avec le président Larcher, avec les commissions compétentes au Sénat, de trouver le meilleur équilibre entre rétablissement de nos finances publiques et ne pas manquer à la parole de l’État », s’est-il contenté d’affirmer. En revanche, il a tenu à alerter sur les conséquences pour les collectivités d’une absence de vote du budget, qui signifierait « zéro péréquation et aucune dotation d’investissement ».
Face à ces propos, Intercommunalités de France rappelle ses inquiétudes sur le budget 2026 indiquant qu’elle avait, le 18 novembre avec les autres associations d’élus du bloc communal, réaffirmé « la volonté de l’ensemble des élus de voir l’effort injuste imposé aux collectivités amoindri et mieux réparti ». Et d’estimer que « le bloc communal, et en particulier les intercommunalités, est mis à contribution de manière totalement disproportionnée, avec un impact particulièrement dangereux ».
Une prime « régalienne » de 500 euros pour les maires
Plaidant pour un statut renforcé des maires, compte tenu des risques juridiques qu’ils prennent, le chef du gouvernement étudie l’idée d’une « prime régalienne » dans l’optique de « sécuriser leur capacité à prendre un certain nombre d’actes au nom de l’État ». Cette prime pourrait représenter jusqu’à « 500 euros par an pour chaque maire, quelle que soit la taille de la commune ». Et d’affirmer : « On ne peut pas demander aux maires, agents de l’État, de prendre sans cesse plus de risques sans voir ce risque reconnu ».
Parmi les autres annonces, le chef du gouvernement a souligné la nécessité de voter le projet de loi sur les polices municipales et les gardes champêtres avant les élections municipales. Ce texte prévoit un renforcement des compétences régaliennes que l’État pourra déléguer aux maires pour la tranquillité publique.
Enfin, il a annoncé une deuxième vague du dispositif Action Cœur de ville, axée sur la revitalisation des commerces en centre-ville, et une méthodologie sur France Santé à élaborer rapidement notamment en lien avec le bureau de l’AMF.
Philippe Pottiée-Sperry
