Johan Theuret : “Le système de rémunération actuel est complètement inadapté au retour de l’inflation”

Publiée le 23 juin 2022 à 9h00 - par

Un collectif de 15 fonctionnaires issus des trois versants de la fonction publique a fondé en octobre 2021 « Sens du service public », un think tank soucieux de moderniser l'administration pour rendre le meilleur service aux usagers sans laisser personne au bord de la route. Entretien avec le « Sens du service public ».
Johan Theuret : “Le système de rémunération actuel est complètement inadapté au retour de l'inflation”

Membre fondateur, Johan Theuret, Directeur général adjoint de la métropole de Rennes, ancien président de l’association des DRH des grandes collectivités, a accepté de répondre à nos questions.

Dans une tribune publiée le 5 avril dans Le Monde, vous affirmiez que « cantonner la politique salariale à la maîtrise des dépenses publiques témoigne de l’absence de politique RH ambitieuse ». Faut-il entendre par là que la revalorisation salariale, notamment avec le  dégel du point d’indice à l’été 2022, n’est pas suffisante ?

Le système de rémunération actuel des agents publics empêche de mettre en place une bonne gestion des ressources humaines. Devenu illisible par sa complexité, il entretient des disparités notamment entre les métiers et les sexes, et se trouve complètement inadapté au retour de l’inflation. En effet, le gel durable de la valeur du point d’indice engendre une détérioration du pouvoir d’achat ayant pour conséquences majeures une baisse du nombre de candidats aux concours, une démobilisation des agents publics et une part croissante de fonctionnaires rémunérés au SMIC. Ces défaillances nécessitent une architecture de rémunération adaptée aux enjeux d’attractivité, de lisibilité et d’équité. À la revalorisation de la valeur du point, qui devient urgente et annoncée, doit donc succéder une refonte plus profonde. Pour éviter les à-coups salariaux et pour conforter la confiance salariale entre les agents publics et leur employeur, une formule d’indexation de la valeur du point connue et applicable s’impose pour garantir une progression régulière des salaires et pour ne pas revivre le gel durable de la valeur du point. Une indexation de la valeur du point est l’opportunité de revoir les déterminants de la part salariale indiciaire pour l’accroître afin de réduire les primes et indemnités devenues illisibles et injustes. Cette part salariale indiciaire croissante permettrait d’aller vers une rémunération plus simple basée sur le métier, et moins liée à la qualification et à l’ancienneté.

Quels outils pourraient être mis à disposition des managers publics pour dynamiser la stratégie RH et ainsi rendre plus attractive les carrières dans la fonction publique ?

Aujourd’hui, le premier levier c’est la dimension salariale. À cause du gel de la valeur du point depuis plus d’une décennie, cumulé au retour de l’inflation, la Fonction publique décroche et nous l’observons dans nombre de procédures de recrutement. Bien évidemment, le levier salarial n’est pas le seul pour attirer. Les employeurs publics doivent travailler sur la valorisation des métiers publics afin de donner envie à de nouveaux profils de venir nous rejoindre. De même, simplifier nos fonctionnements internes par l’allègement de nos lourdeurs contribue à améliorer les conditions de travail des agents. Les jeunes qui rentrent dans nos organisations publiques demandent de l’autonomie et de la responsabilisation dans leurs missions. Managérialement, nous devons soutenir et accompagner ces demandes et ce mouvement de fond.

La majorité des métiers dits en tension dans le secteur public le sont aussi dans le secteur privé

Les enjeux d’attractivité sont-ils les mêmes d’une fonction publique à l’autre ?

Il faut déjà noter que la majorité des métiers dits en tension dans le secteur public le sont aussi dans le secteur privé. C’est très flagrant dans la territoriale dans laquelle 57 % des métiers en tension sont aussi en tension dans les entreprises privées. Ensuite, il y a des problématiques spécifiques et communes aux fonctions publiques en raison de la spécificité de certains métiers publics, des localisations géographiques des besoins ou de la méconnaissance auprès des potentiels candidats de l’existence même de ces métiers dans la fonction publique. Ce dernier point renvoie sans doute à la nécessaire communication autour de nos besoins et renvoie aussi à la problématique de la lisibilité d’accès à la fonction publique. Car parfois, il faut être très motivé pour rejoindre le secteur public pris dans ses propres logiques de fonctionnement, oubliant qu’il est entouré d’autres recruteurs… C’est aussi pour cela que toutes les fonctions publiques doivent davantage s’ouvrir à la diversité de la société française. D’une part, pour être plus représentatives, d’autre part, pour faire venir des nouveaux profils dont elles ont besoin. Il y a enfin pour certains métiers des difficultés propres à certaines fonctions publiques, je pense aux enseignants où le nombre de candidats ne cesse de diminuer d’année en année ou les professionnels de santé dans la FPH.

Ce qui devait arriver est arrivé : le fonctionnaire bashing engendre un désintéressement pour les métiers publics

L’intérêt général et le service aux usagers sont-ils des leviers à mieux exploiter pour l’avenir des services publics ?

Oui, aucun doute ! Depuis des années, a été porté et entretenu un discours de dévalorisation des services publics. En cantonnant les services publics, donc les agents publics, à des seuls postes de dépenses qu’il faut impérativement réduire, on a créé un désintéressement, voire un désintérêt pour les métiers publics. Comme pour diminuer le nombre de fonctionnaires, les politiques n’ont jamais eu le courage de citer quelles interventions et missions publiques arrêter, le discours politique s’est focalisé sur la stigmatisation des lourdeurs administratives, sur la généralisation d’exemples de défaillances… Ce qui devait arriver est arrivé : le fonctionnaire bashing engendre un désintéressement pour les métiers publics. Donc bien évidemment, pour faire venir des nouveaux profils et des talents, en un mot pour recruter, il faut attirer. Et pour cela, il faut valoriser sa plus-value, sa différence : le sens de l’intérêt général au service des usagers. D’où le Sens du Service public !

Propos recueillis par Julien Prévotaux

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