Virginie Malochet, sociologue : “Le continuum de sécurité correspond à une réalité de terrain”

Publiée le 11 mai 2023 à 10h40 - par

Sociologue, chargée d’études à l’Institut Paris Région, Virginie Malochet a participé, le 30 mars 2023 au colloque de l’ANCTS (Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité) à Montpellier. Observatrice attentive de la mise en place du « continuum de sécurité » voulu par l’État, elle confirme dans cet entretien le rôle croissant des collectivités territoriales dans la fabrique de ce dispositif.
Virginie Malochet, sociologue : “Le continuum de sécurité correspond à une réalité de terrain”

© Crédit photo, François Le Guen pour L’IPR

Comment les différentes strates de collectivités s’imbriquent-elles sur le thème de la sécurité, sachant que certaines petites communes n’ont pas les moyens de s’« offrir » une police municipale, voire même d’espérer le faire via une mutualisation avec d’autres communes ?

Aujourd’hui, tous les échelons territoriaux sont mobilisés en matière de sécurité, y compris les conseils départementaux et régionaux qui, pour certains, portent des politiques dédiées au-delà de l’exercice de leurs compétences propres. Cela étant, les communes restent les plus directement impliquées parce que les maires sont en première ligne et que leurs pouvoirs de police appellent et justifient leur action dans ce domaine. Quant aux intercommunalités, elles ont compétence pour la prévention de la délinquance, peuvent mutualiser les agents de police municipale et les dispositifs de vidéoprotection, et certaines d’entre elles s’emparent activement de ces prérogatives. Le constat d’ensemble est donc celui d’une contribution accrue des pouvoirs locaux dans les politiques de sécurité avec, bien souvent, le sentiment d’avoir à compenser ce qui est vécu comme un désengagement des forces régaliennes sur le terrain de la tranquillité quotidienne. Les capacités de réponse varient cependant en fonction des territoires, tous n’ayant pas ni les mêmes moyens, ni les mêmes priorités politiques.

Partant de ce principe, le continuum de sécurité est-il resté une belle idée de colloque plutôt qu’une réalité de terrain étayée par les diverses enquêtes que vous menez ?

« Continuum de sécurité », « coproduction de sécurité », « sécurité globale » : je reste quelque peu réservée sur l’emploi de ces expressions relativement consensuelles qui gomment les rapports de force, les transferts de charge et les jeux de positionnement. Elles n’en sont pas moins significatives des évolutions de notre mode de production de la sécurité. Au cœur de la rhétorique officielle, elles témoignent de la montée en puissance des polices municipales et du secteur de la sécurité privée, de leur légitimation en complément des services de l’État, sinon d’un encouragement à les voir se développer davantage. De fait, le partage des missions de surveillance et de sécurisation se renforce. En ce sens, le « continuum de sécurité » n’est pas qu’une belle idée, cela correspond bien à une réalité de terrain. Ou, plus exactement, à des réalités de terrain, car, dans les faits, ce continuum prend des aspects très différents selon les territoires.

Face à cette hétérogénéité, les collectivités ont-elles finalement la main sur ce sujet de la sécurité ? Ont-elles les moyens de mener des politiques de sécurité efficientes sur le terrain ?

Les collectivités n’ont jamais pleinement la main sur ce sujet qui consacre le rôle clé des forces étatiques et requiert le concours de toute une gamme d’autres partenaires également concernés par les problématiques de sécurité (bailleurs sociaux, opérateurs de transport, professionnels de l’éducation, etc.). L’efficacité des politiques de sécurité repose sur la mise en cohérence de ce système d’acteurs. Cela suppose de travailler une articulation qui ne va pas forcément de soi, de clarifier les missions de chacun pour forger des rapports de complémentarité qui risquent sinon d’évoluer vers des rapports de concurrence ou de subordination. À cet effet, différents dispositifs partenariaux ont été mis en place, mais dans les faits, la coordination opérationnelle s’avère souvent moins fluide que ce que les discours officiels voudraient laisser croire. Pour une coopération effective, il ne suffit pas de signer une convention, d’installer une instance de concertation, ni même de monter un groupe de travail. Encore faut-il faire vivre ces dispositifs, leur donner une véritable portée, des contenus concrets, en correspondance avec les besoins du terrain, et ce, dans le respect des prérogatives de chacun. Derrière les éléments de langage bien rodés, c’est tout l’enjeu du « continuum de sécurité ».

Comment l’État regarde-t-il cette montée en puissance de l’autonomie de la gestion de la sécurité dans les territoires ? Sans le dire, n’en est-il pas le promoteur le plus zélé ? Le rapport de la Cour des comptes publié il y a deux ans semblait aller dans ce sens ?

Au plan national, la mission sur le continuum de sécurité (2018), la loi « sécurité globale » (2021) ou la création annoncée d’une direction des partenariats dans le rapport annexé de la LOPMI (2023) montrent que l’État s’efforce de tirer parti des ressources des autres pour optimiser le dispositif de sécurité intérieure. Localement, les élus et les agents des collectivités le ressentent fortement, les représentants de l’État les incitant expressément à renforcer leur police municipale ou leur système de vidéoprotection. Autrement dit, si les pouvoirs locaux investissent davantage en matière de sécurité, ce n’est pas nécessairement par élan volontariste, ni même par calcul électoraliste. Souvent, c’est parce qu’ils s’y sentent contraints, sous la pression directe des autorités étatiques et non pas seulement de leurs administrés, pour pallier les carences des forces nationales que le recentrage sur des objectifs jugés prioritaires éloigne des missions quotidiennes de voie publique. C’est ce qui explique en partie le glissement tendanciel des polices municipales vers un modèle plus interventionniste et répressif. Nombre de responsables locaux désapprouvent cette évolution, mais il leur est difficile d’y résister parce que le rapport de force ne leur est pas toujours favorable et qu’il leur paraît nécessaire d’apporter des réponses là où il n’y en a pas (ou plus).

Propos recueillis par Stéphane Menu

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