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Centres de santé : les compétences des départements pour lutter contre la désertification médicale

Publié le 3 novembre 2022 à 9h30 - par

La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale est venue conforter la place des départements en tant qu’acteurs de premier ordre dans la résorption des « déserts médicaux », que cela soit via des actions indirectes, ou des actions directes. Décryptage.

Centres de santé : les compétences des départements pour lutter contre la désertification médicale

Le 26 octobre 2022, le président de la République annonçait, lors d’un entretien télévisé, la mise en œuvre prochaine d’exemptions de charges sociales en faveur des médecins acceptant la poursuite de leur activité, postérieurement à la date de leur retraite.

Le lendemain, l’Assemblée nationale discutait du principe de l’ajout d’une quatrième année professionnalisante au troisième cycle de médecine générale.

Dans les deux cas, ces mesures ont été présentées comme des moyens de résorber les fameux « déserts médicaux ».

La lecture de cette actualité place l’État comme principal acteur de la réponse à la problématique de l’accès géographique aux soins.

S’il est exact que la définition de la politique de santé est de son ressort (voir P. Mouiller et P. Schillinger, Rapport d’information relatif aux initiatives des territoires en matière d’accès aux soins, p. 8 & suivantes), les collectivités territoriales sont également des acteurs incontournables pour répondre au phénomène de désertification médicale, ne serait-ce que parce qu’elles sont les premières impactées.

À cet égard, le rôle des communes est souvent mis en avant. Il est vrai que, détentrices d’une clause de compétence générale, elles ont de longue date été à l’origine d’initiatives remarquées en matière d’accès aux soins1.

Néanmoins, d’autres collectivités territoriales ont vu leur rôle en la matière s’affirmer.

Tel est particulièrement le cas des départements.

La compétence de ces derniers pour intervenir en matière d’accès géographique aux soins a effectivement été confirmée par l’entrée en vigueur de la récente loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (dite « loi 3DS »), laquelle a apporté des modifications intéressantes aux dispositions du Code général des collectivités territoriales (CGCT) et au Code de la santé publique (CSP).

Cette loi est venue conforter la place des départements en tant qu’acteurs de premier ordre dans la résorption des « déserts médicaux », que cela soit via des actions indirectes, ou des actions directes.

I. La compétence juridique du département en matière de santé

Le département s’est vu reconnaitre par la loi une place de premier plan en matière d’accès aux soins et de protection de la santé publique.

Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022, l’article L. 3211-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) octroie la  compétence au conseil départemental pour promouvoir notamment « l’accès aux soins de proximité sur le territoire départemental, dans le respect de l’intégrité, de l’autonomie et des attributions des régions et des communes ».

Outre cette affirmation de principe du rôle joué par le département dans l’accès aux soins, de nombreuses dispositions du Code général des collectivités territoriales et du Code de la santé publique reconnaissent au département un rôle de premier plan en matière de santé publique.

À ce titre, le département est chargé de la mise en place d’un service de la protection maternelle et infantile, dont les missions sont fixées par l’article L. 2112-2 du Code de la santé publique. Le personnel de ces services peut être associé à la politique vaccinale nationale (v. art. L. 3111-1 du CSP).

Le département joue également un rôle en matière de prévention et de dépistage de pathologies telles que la tuberculose (art. L. 3112-2 du CSP) ou encore le cancer (art. L. 1423-2 du CSP).

Sous réserve d’avoir conclu une convention en ce sens avec l’État, il peut aussi exercer des activités en matière de vaccination (v. art. L. 3111-11 du CSP).

Il dispose enfin de compétences étendues en matière sociale et médico-sociale (adoption, protection de l’enfance, soutien aux familles en difficulté…).

Un socle juridique solide justifie donc l’intervention du département en matière d’accès aux soins.

II. L’intervention indirecte du département : financement et promotion

Le département dispose de nombreux leviers « indirects » pour favoriser l’accès géographique aux soins (II.1-II.2).

II.1. L’allocation d’aides financières

En premier lieu, le département peut allouer des aides financières « destinées à favoriser l’installation ou le maintien de professionnels de santé dans les zones définies en application du 1° de l’article L. 1434-4 du Code de la santé publique » (v. art. L. 1511-8 du CGCT).

Ces aides financières sont mobilisables dans le cadre de plusieurs projets (1°-2°).

1°) D’une part, la création de maisons de santé.

Instituées par l’article L. 6323-3 du Code de la santé publique, ces maisons de santé sont des structures privées, dans le cadre desquelles les médecins exercent une activité libérale.

Elles sont toujours pluriprofessionnelles et  regroupent, dans un même site ou non, des professionnels de santé médicaux (médecins généralistes et spécialisés), des auxiliaires médicaux (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes…), ou encore des pharmaciens.

Depuis l’institution de ces structures par la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007, elles ont connu un fort essor, particulièrement en zone rurale (80 % des maisons de santé existantes y ont leurs sièges).

La complexité attachée au montage de telles structures a toutefois été dénoncée. Celles-ci supposent en effet une parfaite coordination entre les professionnels de santé porteurs du projet, l’Agence régionale de santé et les collectivités financeuses (v. P. Mouiller et P. Schillinger, rapport d’information précité, p. 24).

2°) D’autre part, la mise en place de dispositifs de télémédecine

Les dispositifs de télémédecine visent à mettre en relation des patients originaires de zones bénéficiant d’une couverture médicale faible, avec des médecins travaillant dans des zones dotées d’une meilleure couverture.

Deux déclinaisons différentes de ces dispositifs existent :

  • la cabine de téléconsultation : il s’agit d’un endroit clos, équipé d’un siège, d’instruments de mesures connectés et d’un écran, afin que le patient et le médecin puissent être mis en relation ;
  • le cabinet de télémédecine : il s’agit d’un cabinet médical classique, tenu par un infirmier, et doté d’instruments de mesure connectés ; la mise en relation du patient avec le médecin y intervient après un entretien préalable avec l’infirmier.

Dans un cas comme dans l’autre, le dispositif est onéreux.

Aussi, l’échelon départemental peut apparaitre plus à même de le financer que ne le sont les communes.

Le rapport d’information sénatorial remis le 14 octobre 2021 incite d’ailleurs les élus locaux à « réfléchir au bon échelon local dans le cadre duquel ces projets complexes et coûteux doivent être conduits » (v. P. Mouiller et P. Schillinger, rapport d’information précité, p. 27).

II.2. Le développement d’actions de « marketing territorial »

En deuxième lieu, et outre l’investissement dans les structures, le département peut aussi tenter de « séduire » les médecins, via des actions proactives, afin de les inciter à venir s’installer sur son territoire.

Ce « marketing territorial » a déjà été mis en œuvre par plusieurs départements.

Ainsi, les auteurs du rapport d’information sénatorial du 14 octobre 2021 font état des démarches entreprises, notamment, par le Département de l’Aveyron.

« En premier lieu, le conseil départemental de l’Aveyron a structuré sa politique autour de trois axes :

  1. aide personnalisée apportée au médecin et à sa famille afin de favoriser sa bonne installation dans le département. Cette aide passe ainsi par des actions permettant au conjoint du médecin de trouver du travail localement ;
  2. recrutement de maîtres de stage susceptibles d’accueillir les internes et de les former ;
  3. opérations de communication sur la qualité de vie offerte dans le département (nature, aménités, sécurité…) et opérations d’attractivité à destination des internes (aide à l’hébergement, week-end découverte du territoire, coaching sportif…) » (v. P. Mouiller et P. Schillinger, rapport d’information précité, p. 28).

Évidemment, une telle politique doit être conduite en coordination avec les communes, afin de prioriser l’installation des praticiens médicaux là où le besoin est le plus fort.

III. L’intervention directe du département : création de centres de santé et de dispositifs de médecine ambulante

Le département est désormais en mesure d’intervenir pour créer directement de l’offre de soins sur son territoire, via la création de centres de santé et le déploiement de dispositifs de santé itinérants (III.1-III.2).

III.1. La création de centres de santé départementaux

En premier lieu, la compétence du département pour créer et gérer des centres de santé départementaux a été confirmée par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022.

L’on rappellera que ces centres de santé sont « des structures sanitaires de proximité, dispensant des soins de premier recours et, le cas échéant, de second recours et pratiquant à la fois des activités de prévention, de diagnostic et de soins, au sein du centre, sans hébergement, ou au domicile du patient » (v. art. L. 6323-1 du CSP).

À la différence des maisons de santé, ces centres ne sont pas nécessairement pluriprofessionnels et le personnel médical qui y travaille est salarié de l’organisme gestionnaire.

Les centres de santé réalisent, à titre principal, des prestations remboursables par l’assurance maladie.

Ils proposent des soins permettant le retour immédiat du patient à son domicile, sans qu’il ne soit nécessaire d’assurer une surveillance postérieure (v. art. D. 6323-3 du CSP).

Si la compétence des collectivités territoriales pour créer de tels centres est reconnue depuis 2002, la perte de la clause de compétence générale par les départements en 2015 – suite à l’entrée en vigueur de la loi NOTRe (loi n° 2015-991 du 7 août 2015) – laissait planer un doute sur leur capacité à poursuivre la gestion de ces structures (v. Étude d’impact du projet de loi « 3DS », p. 313-314).

Tel est le point que la loi du 21 février 2022 est venue corriger, l’article L. 6323-1-3 du Code de la santé publique mentionnant désormais de manière explicite les communes et les départements au nombre des organismes habilités à créer et gérer les centres de santé – venant sécuriser par ailleurs les centres de santé départementaux déjà créés (v. P. Mouiller et P. Schillinger, rapport d’information précité, p. 21-23).

Dans la même veine, la loi du 21 février 2022 a apporté une précision bienvenue quant au statut du personnel recruté au sein de ces centres, lorsqu’ils sont gérés par une collectivité territoriale, à savoir que « ces professionnels peuvent être des agents de ces collectivités ou de leurs groupements » (v. art. L. 6323-1-5 du CSP).

Ainsi, les personnels employés au sein des centres de santé, en ce compris les professionnels de santé, peuvent parfaitement être des agents de la fonction publique territoriale. À ce titre, l’on sait qu’il existe un cadre d’emploi des médecins territoriaux (Décret n° 92-851 du 28 août 1992) ; le recours au contrat de droit public étant également envisageable.

Reste à savoir si les grilles de rémunération proposées seront de nature à satisfaire les médecins tant convoités.

Toujours est-il que la création de centres de santé par les départements a été regardée comme apportant une réponse adaptée à la problématique de la désertification médicale. L’échelon départemental étant moins susceptible de générer des « compétitions interterritoriales » que l’échelon communal, voire intercommunal (v. P. Mouiller et P. Schillinger, rapport d’information précité, p. 22).

Le nombre de centres de santé existants – et ce tous types d’organismes gestionnaires confondus – est supérieur à 2 000 à l’heure actuelle (v. P. Mouiller et P. Schillinger, rapport d’information précité, p. 20).

III.2. Le déploiement de dispositifs de santé itinérants

En second lieu, certains départements n’hésitent pas à créer ou soutenir des projets de médecine ambulante (v. art. R. 4127-74 du CSP).

À titre d’exemple, le Département de la Seine-Saint-Denis a mis en place un « Centre départemental de santé dentaire mobile », composé d’un bus départemental de santé dentaire et de deux unités dentaires mobiles.

Selon le département, ces bus et unités mobiles « permettent d’aller à la rencontre des enfants de la Seine-Saint-Denis et des personnes les plus éloignées de la prévention et leur proposer des actions de dépistage ainsi que des premiers soins ».

D’autres initiatives semblables ont été relevées par les auteurs du rapport sénatorial du 14 octobre 2021, à l’image du dispositif « Bus santé femmes », mis en œuvre par les Conseils départementaux des Yvelines et des Hauts-de-Seine depuis le 26 novembre 2019. (v. P. Mouiller et P. Schillinger, rapport d’information précité, p. 27 & 28).

Hugo Tastard, Avocat chez HMS Avocats


1. L’on se souvient notamment de l’affaire jugée par le Conseil d’État en 1964 et afférente à la création d’un cabinet dentaire municipal par la ville de Nanterre (v. CE Section, 20 novembre 1964, ville de Nanterre, n° 57435, Lebon p. 563, AJDA 1964, p. 686, chr. Fourré et Puybasset, Rev. adm. 1965, p. 31, note Liet-Veaux).

Auteur :

Hugo Tastard

Hugo Tastard

Avocat chez HMS Avocats


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