Cabinets de conseil : la Cour des comptes s’inquiète d’usages « inappropriés »

Publié le 12 juillet 2023 à 9h15 - par

La Cour des comptes a pointé lundi 10 juillet 2023 des recours « inappropriés » du Gouvernement aux cabinets de conseil privés, et réclamé de l’État qu’il clarifie les règles encadrant cet usage qui a provoqué des dérapages financiers.

Cabinets de conseil : la Cour des comptes s'inquiète d'usages "inappropriés"
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Pour remplir leurs missions, l’État et ses établissements publics font appel, en appui de leurs propres services et pour des prestations en principe ponctuelles et à forte technicité, à des cabinets privés qu’ils mandatent dans le cadre de marchés publics. Pour près des trois quarts des 890 M€ versés à ce titre par l’État en 2021, les prestations externalisées concernent le domaine informatique. Selon la Cour des comptes, les autres missions commandées portent sur des prestations de conseil. Elles comportent une dimension essentiellement intellectuelle prenant la forme de travaux d’études, de conception, d’accompagnement et d’aide à la mise en œuvre de projets. Le rapport dénonce une gestion souvent déficiente des marchés de conseil.

Plus d’un an après le rapport du Sénat qui avait qualifié de « phénomène tentaculaire » les missions confiées par l’État aux cabinets privés, l’institution de la rue Cambon a réclamé dans son premier rapport rédigé à la demande des citoyens une pratique « mieux maîtrisée ».

L’État doit mieux utiliser les ressources internes disponibles

La Cour accuse notamment l’État de laisser certains prestataires privés comme EY, le cabinet BCG ou Roland Berger remplir des missions relevant du « cœur de métier de l’administration », voire même « intervenir dans le processus de décision » (Eurogroup, Capgemini).

Des pratiques dénoncées dès mars 2022 par la sénatrice communiste Éliane Assassi et son collègue Les Républicains Arnaud Bazin. Leur rapport, sorti quelques semaines avant l’élection présidentielle, avait embarrassé Emmanuel Macron, épinglé pour sa proximité alléguée avec de grands noms du conseil.

Le Parquet national financier a ouvert en octobre 2022 deux informations judiciaires sur des soupçons de financement illégal des campagnes électorales d’Emmanuel Macron et sur les liens entre le camp présidentiel et des membres du cabinet McKinsey qui auraient pu œuvrer gratuitement lors de la campagne de 2017.

Dans le rapport publié lundi 10 juillet, la Cour des comptes estime que le recours aux consultants privés a eu tendance à devenir une « solution de facilité » pour une administration aux moyens et aux délais contraints. L’externalisation doit retrouver « une place plus ajustée et mieux maîtrisée parmi les différents instruments des administrations pour conduire leurs missions », jugent-ils.

En 2021, les prestations commandées par l’État aux consultants ont coûté 233,6 millions d’euros, soit 0,04 % des dépenses de l’État. « Ce sont des ordres de grandeur nettement moins élevés que dans la plupart des pays comparables », notamment l’Allemagne et le Royaume-Uni, a souligné le premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici lundi lors d’une conférence de presse. Reste qu’entre 2017 et 2021, les dépenses de conseil de l’État ont triplé.

La Cour des comptes le concède, les dépenses sont retombées à 200,2 millions d’euros en 2022, année d’introduction d’une circulaire créant « une nouvelle politique de recours aux prestations intellectuelles ». « Un point d’inflexion incontestable », a reconnu Pierre Moscovici. « Mais les mauvaises habitudes peuvent vite se réinstaller ».

L’État s’est aussi doté d’objectifs de réduction de ses dépenses de conseil : – 15 % en 2022 et – 35 % en 2023 par rapport à 2021. Ces chiffres donnent un « signal utile » mais « ne sauraient se substituer à des mesures ciblées, décidées après une analyse préalable et documentée des déterminants de la décision d’externaliser certaines prestations » estime la Cour.

Dans sa réponse annexée au rapport la Première ministre Élisabeth Borne ne juge « pas opportun de définir une doctrine plus fine d’emploi des prestations intellectuelles à un niveau interministériel », la décision devant selon le Gouvernement plutôt revenir à chaque ministère.

En plus de clarifier sa doctrine de recours aux consultants, l’État doit poursuivre ses efforts de réinternalisation des compétences de conseil et faire appel « chaque fois que c’est possible » à ses agents, recommande encore la Cour.

Mais selon Mme Borne, au sein de l’administration, « il n’existe pas un volume si important de compétences sans affectation », en d’autres termes des hauts fonctionnaires désœuvrés qui pourraient assumer des missions de conseil.

La formule de l’accord-cadre doit être mieux encadrée

Les administrations ont fait un usage très large de la formule des accords-cadres, qui constitue une solution de facilité, parfois au détriment de la précision nécessaire dans la définition des besoins de l’administration. L’option retenue a été de mettre en œuvre les accords-cadres en privilégiant une exécution par l’émission de simples bons de commande, plutôt que par la passation de marchés « subséquents ». Or, ce choix d’exécuter les accords-cadres par simples bons de commande, qui ne s’imposait pas dès lors que la majorité des opérations ne relevait pas de l’urgence, a des conséquences préjudiciables. Dans de nombreux cas, la prestation fournie répond mal aux besoins. Il en résulte également des surcoûts. Le contrôle par la Cour de plus d’une centaine de marchés de conseil passés et de bons de commande émis entre 2019 et 2022 révèle un recours excessif à certaines procédures ou facilités, des imprécisions, des dépassements d’enveloppes financières ou de délais. La Cour a conduit son instruction sur chacun de ces marchés avec le souci d’apprécier, sans préjudice des suites qui pourraient leur être données par ailleurs, si les anomalies constatées relevaient des cas susceptibles de constituer des infractions sanctionnables par les juridictions financières.

Très largement adoptée au Sénat en octobre 2022, une proposition de loi visant à davantage encadrer le recours aux consultants privés attend toujours d’être examinée à l’Assemblée nationale.

Deux députés, issus des groupes communiste et Renaissance, doivent présenter mercredi 12 juillet 2023 les conclusions d’une mission d’information sur le champ d’application de la proposition de loi que la majorité présidentielle réfléchit à étendre aux collectivités locales.