La valeur du service public dans le monde d’Après

Publié le 8 juillet 2020 à 8h01 - par

Le service public a joué un rôle central dans la gestion de la crise et le maintien de la cohésion sociale au plus près des besoins des populations. Une fois n’est pas coutume, c’est avec une histoire, l’histoire de Marianne, écrite par Bruno Collignon, que nous vous proposons aujourd’hui de réfléchir à la question de l’évaluation du service public.

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Les acteurs publics face à la crise sanitaire
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Naissance de Marianne, une dette de 32 000 euros

Bruno Collignon© Photo Patricia Marais
Bruno Collignon,
Après une carrière en tant que sapeur-pompier et deux mandats comme président d’une organisation syndicale représentative, il poursuit son engagement pour préserver le service public.

Le 6 juillet 2017, lors des « États généraux des comptes de la Nation » organisés par le ministre de l’Action et des Comptes publics (MACP) à Bercy, nous apprenions que chaque Français hérite, dès sa naissance, d’une dette de 32 000 euros.

Sensible aux arguments alors développés, mais regrettant qu’une procédure innovante d’évaluation des richesses engendrées par le service public ne soit engagée, l’organisation syndicale que je représentais à l’époque s’est intéressée à ce que pouvait être l’histoire d’un nourrisson qui naît dans un pays comme la France avec une dette de 32 000 euros.

Voici donc le texte proposé lors de la séance plénière du Conseil commun de la Fonction publique (CCFP) présidée par le MACP le 10 juillet 2017. Il s’agit de sa version actualisée avec la situation de crise sanitaire que nous traversons et qui a rendu au service public une part de sa légitimité auprès des citoyens et qui, surtout, augure un plan de relance et de reconstruction du pays.

Marianne nouveau née et lycéenne

Pour des raisons qui n’échapperont à personne, ce nourrisson a été baptisé Marianne. Comble de malchance, en plus de sa dette de 32 000 euros, Marianne est considérée dès sa naissance comme une grande prématurée.

Après quelques longues semaines passées dans un service de néonatalogie de l’hôpital public au cours desquelles le personnel soignant s’est relayé à son chevet 24h/24, Marianne quitte l’hôpital avec ses parents. Dans le cadre du service public et de la solidarité nationale, ils n’ont pas eu à financer les frais d’hospitalisation de leur bébé.

À l’âge de 2 ans, Marianne fait sa rentrée à l’école maternelle publique de son village.

Elle poursuit une scolarité au cours de laquelle elle croisera professeurs des écoles, professeurs de collèges puis de lycées. Avec eux, Marianne et ses camarades, dans toute leur diversité, auront un enseignement commun des valeurs de la République, de culture générale, des enjeux climatiques, du sport, des arts, etc.

Au moment de passer son bac, elle interroge ses parents sur le coût de sa scolarité. Ces derniers lui expliquent que c’est la Nation et les collectivités territoriales qui assurent le financement de l’école publique, considérant qu’il s’agit là d’un véritable investissement pour les citoyennes et les citoyens de demain.

Marianne réussit son bac.

Elle annonce cette nouvelle à sa grand-mère qui, à l’âge de 88 ans, vit dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) géré par le CCAS de sa commune.

Marianne jeune adulte

Après quelques années universitaires financées grâce à une bourse, Marianne décide de s’engager dans l’économie sociale et solidaire et crée une petite société coopérative qui, très vite, prend de l’importance et compte aujourd’hui 18 salarié.e.s.

Elle a 38 ans quand son père est victime d’un accident vasculaire cérébral. L’action des premiers témoins, l’intervention par hélicoptère d’une équipe du SAMU puis l’accueil dans l’un des services de neurologie vasculaire de l’hôpital public permettent à son père de reprendre, après quelques mois de convalescence, l’ensemble de ses activités sans aucune séquelle et à très faible coût pour elle et sa mère.

Deux ans plus tard, l’entreprise mitoyenne à la sienne est détruite par un incendie en pleine nuit. L’intervention des sapeurs-pompiers permet de limiter la propagation du sinistre et de sauver l’ensemble des biens de production.

L’activité de sa société coopérative, qui compte aujourd’hui 29 personnes, peut ainsi reprendre dès le lendemain.

Marianne, sa grand-mère et le Covid

Avec la survenue de la pandémie de Covid-19 en 2020, une lettre de sa grand-mère, rédigée depuis l’Ehpad où elle réside, lui fait prendre conscience de combien le service public est fondamental à la cohésion sociale du pays.

« Je suis très triste Marianne. Rose, mon amie de toujours, est morte hier au soir dans sa chambre de la résidence. Comme tu t’en doutes, il n’a pas été possible pour les membres de sa famille de l’accompagner. C’est Éric, l’aide-soignant, qui est resté auprès de Rose jusqu’à la fin. Si tu savais l’humanité qui se dégage de toute l’équipe de la résidence, alors même que nous la sentons parfois si désemparée. Compte tenu de l’épidémie, les agents des pompes funèbres intercommunales ont emmené le corps de Rose immédiatement dans un cercueil. Je n’ai pas pu lui dire au revoir. Personne ne la reverra plus. Le personnel funéraire m’a assuré qu’elle sera enterrée avec la plus grande dignité. Face à mon chagrin, ils ont fait preuve d’une profonde bienveillance à mon égard. Deux personnes de la résidence ont été hospitalisées en réanimation, l’une d’entre elles est toujours en rééducation, l’autre est rentrée après 9 semaines de soins et elle poursuit sa réadaptation avec la kinésithérapeute de l’Ehpad. J’ai des nouvelles des petits grâce à des visioconférences mises en place par notre Ehpad. Le confinement n’est pas facile pour eux non plus, mais ils m’ont raconté que l’école se poursuivait par internet. Leur maitresse et leur maître leur envoient tous les jours des exercices et sont disponibles si besoin par téléphone. Je t’avoue que tout cela me semble incroyable. C’est Loïc qui me faisait le plus de souci car le centre d’accueil thérapeutique à temps partiel dans lequel il est suivi a dû fermer. Il a régulièrement un infirmier de l’équipe par téléphone et par visioconférence, ils ont même fait une séance de sport avant hier et il m’a dit que ça lui avait fait du bien ».

Marianne, 32 000 euros pour vivre dans une société solidaire, une richesse

Marianne, qui lors de sa naissance avait un boulet de 32 000 euros enchaîné à son landau, se dit que finalement, plus de 40 ans plus tard, cette dette n’en était pas vraiment une. C’est même une somme bien dérisoire pour une société plus solidaire, tout au plus le prix de deux semaines en réanimation.

Propos recueillis par Séverine Bellina et Hugues Perinel, Réseau service public


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