Cyrille Devendeville : « L’idée que cette crise soit un révélateur est intéressante et inspirante »

Publié le 15 juin 2020 à 9h00 - par

Évitons l’écueil qui consisterait à reprendre comme si de rien n’était, à avancer à marche forcée en mettant de côté, comme souvent auparavant, la dimension humaine. Entretien avec Cyrille Devendeville, Directeur du Centre de gestion de la Fonction publique territoriale des Deux-Sèvres (79).

Cyrille Devendeville : "L’idée que cette crise soit un révélateur est intéressante et inspirante"

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Les acteurs publics face à la crise sanitaire
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Quelles sont les questions particulières que pose, en termes de RH et d’organisation, la fin progressive du déconfinement (craintes individuelles, reconstruction du collectif). En d’autres termes, quand et comment faire revenir les équipes sur site ?

Toute reprise devra respecter ce que j’appellerai la règle des 3 P, et être :

  • Prudentielle
  • Partielle
  • Progressive

Il s’agit tout à la fois d’assurer la protection des agents susceptibles de revenir sur sites, d’accompagner celles et ceux qui ne le peuvent pas encore, tout en organisant de manière satisfaisante la poursuite des missions essentielles du centre de gestion auprès des collectivités et établissements qu’il soutient et accompagne, et dont certains services se trouvent en première ligne depuis le 17 mars dernier.

Il y a nécessité à ré-apprendre à travailler en collectif, de façon atypique, c’est-à-dire en semi-présentiel, alors même que la situation nous a éloignés, voire isolés les uns des autres pendant de longues semaines, et que la fatigue physique et psychologique se fait réellement ressentir dans les équipes.

Il y a enfin nécessité à redonner la possibilité à chacun-e de se projeter à nouveau, de donner à voir demain et, si possible, de commencer à le construire ensemble.

L’équation est donc complexe, délicate pour une reprise graduelle, circonstanciée et précautionneuse, qui puisse appréhender correctement les rythmes, les psychologies individuelles et les vécus, qui ont été et restent encore différents.

De ce fait, le centre de gestion a élaboré, dans le prolongement de son plan de continuité d’activité, un plan de reprise d’activité volontairement strict, privilégiant naturellement le travail à distance mais permettant toutefois aux agent-es désireux-ses ou devant se reconnecter physiquement avec l’établissement de le faire en sécurité. Ce plan a également été conçu, d’abord pour s’adapter aussi près que possible à la situation de chaque agent-e, mais aussi pour être desserré en fonction de l’évolution favorable de la pandémie ou, à l’inverse, se conformer à nouveau à un principe de confinement maximum.

Une crise est souvent révélatrice. À ce stade, qu’a-t-elle révélé sur vos forces et vos faiblesses ? Dans quels domaines considérez-vous que votre organisation était prête à réagir au mieux et ce qu’il faudrait améliorer, voire créer ?

Peu d’organisations, publiques ou privées, étaient préparées à affronter une crise sanitaire d’une telle ampleur.

Notre centre de gestion n’a pas fait exception. Et a dû faire face à des écueils technologiques qui lui étaient propres et qui sont venus limiter le recours massif au travail à distance dans de bonnes conditions.

La réactivité et la mobilisation des agents ont toutefois été immédiates avec, à titre d’illustration, la mise à disposition de toutes et tous d’une application de collaboration basée sur le cloud, assurant diverses fonctionnalités utiles comme la gestion de contacts, les appels audio et vidéo, la discussion textuelle, le partage de fichiers et d’écran.

Autre exemple de cette capacité à réagir avec la mise en place d’un dispositif d’accompagnement pour gérer la crise, proposé à une vingtaine de collectivités et d’Ehpad, en partenariat avec l’Agence régionale d’amélioration des conditions de travail (ARACT) de Nouvelle-Aquitaine, autour de 3 axes de soutien :

  • Un appui aux cadres en charge de la gestion de crise avec des échanges et des analyses de pratiques ;
  • La rédaction de sondages à diffuser à l’ensemble des personnels sur le vécu de la crise ;
  • Le partage d’une grille d’auto-positionnement pour amorcer un état des lieux et préparer l’avenir.

Pour le centre de gestion, tout l’enjeu a consisté à demeurer opérationnel, à la fois utile et disponible dans son rôle d’appui-conseil et d’expertise RH, sur une période où les problématiques de gestion et d’animation des ressources humaines ont été fondamentales et particulièrement aigües.

Enfin, d’un point de vue managérial, cette séquence du confinement/déconfinement s’annonce particulièrement perturbante et difficile à appréhender correctement : tous les repères sont remis en cause. D’abord la communication où les canaux traditionnels s’avèrent largement insuffisants. Ensuite l’appui managérial aux équipes, qui va devoir subtilement valoriser les agent-es, qui ont dû faire face à un surcroît d’activité sans stigmatiser celles et ceux qui ne pouvaient continuer à travailler concrètement.

Cette période a montré s’il en était besoin l’agilité, la capacité d’adaptation et la résilience de beaucoup de nos organisations. Comment prolonger, choisir et valoriser les idées innovations ou démarches collectives spontanées ?

L’idée que cette crise, comme toute crise d’ailleurs, soit un révélateur est intéressante et inspirante. Révélateur des forces et des fragilités de toute organisation sur l’ensemble de sa chaîne de valeur, en un mot de sa raison d’être, sa culture humaine et managériale, son empreinte sociétale…

En photographie, le révélateur est l’étape la plus importante qui fait apparaître l’image après avoir notamment plongé le film dans le noir complet. Mais pour rendre le film visible, il y a plusieurs composants à utiliser successivement :

  • Le développateur pour donner le contraste et la densité au film ;
  • L’accélérant pour maintenir la robustesse (le PH) du film à valeur élevée et constante ;
  • Le conservateur pour préserver le film de toute dégradation ;
  • L’antivoile pour éviter de griser et noircir l’image.

Autant de sources d’inspiration pour permettre à nos organisations de répondre, étape après étape, à des questions inédites qui vont émerger, et à d’autres questions qui se posaient déjà de façon latente et qui vont réapparaître avec force. Le contexte ayant changé, les réponses apportées habituellement, paraîtront bien fades. Il est nécessaire de s’y préparer, même s’il sera urgent de ne pas se précipiter à reprendre les dossiers tels qu’on les a laissés. Évitons l’écueil qui consisterait à reprendre comme si de rien n’était, à avancer à marche forcée en mettant de côté, comme souvent auparavant, la dimension humaine.

Les vécus du déconfinement sont pluriels. Les sollicitations et les engagements des un-es et des autres sont très disparates selon la nature des fonctions, les services ou les contraintes personnelles. Les équipes et leur encadrement ont été profondément bousculés dans leurs modes de relation habituels. Inévitablement, chacun-e revient avec des nouvelles perspectives, des attentes particulières, des satisfactions ou des désaccords quant aux choix opérés sur la manière de gérer la crise et sa sortie.

Il s’agit alors d’être en mesure de répondre, dans la durée, à un triple besoin :

  • Le besoin d’extérioriser, dans un souci cathartique, la charge mentale, la fatigue et le traumatisme inscrit, même à distance, dans l’imaginaire collectif ;
  • Le besoin d’être à nouveau ensemble, de se retrouver, simplement, et de (ré)apprendre à collaborer ;
  • Le besoin de partager, aussi et avant tout, les réussites, les prouesses réalisées, les solidarités, c’est-à-dire ce qui va faire sens collectivement.

Pour le Centre de gestion des Deux-Sèvres, une démarche d’écoute-action est pressentie pour établir et partager un bilan de la période écoulée, répondre aux besoins d’accompagnement individuel et collectif, réfléchir ensemble à l’amélioration de notre organisation. Trois temps forts sont ainsi identifiés :

  • Un sondage destiné à recueillir le ressenti de chacun-e sur la période passée, ainsi que les avis et suggestions « à chaud » sur la gestion de la crise.
  • Des ateliers de rétrospection – prospection : par petits groupes, des ateliers seront organisés pour verbaliser les ressentis, partager un diagnostic commun, se projeter ensemble pour définir et mettre en œuvre les conditions de réussite d’une nouvelle démarche collaborative de travail. L’animation de ces ateliers sera confié à un tiers extérieur pour que cela reste sans surchauffe ni tension.
  • Un jeu collaboratif pour co-construire des solutions opérationnelles d’optimisation, dans le cadre notamment d’une réorganisation des services, qui était prévue sur le mois d’avril et qui devrait finalement entrer en application à partir de septembre. Ce jeu devra nous permettre d’analyser collégialement nos situations de travail pour en identifier le contexte, les conséquences (sur les équipes, le travail…), les causes, les ressources et surtout les pistes d’actions.

Beaucoup de citoyens et d’entreprises prennent conscience de l’importance d’un service public qui allie solidarité et efficacité. Quel message souhaiteriez-vous faire passer ?

Quand on travaille pour le service public par choix, sinon par conviction, on ne peut être qu’affecté par les critiques, voire les attaques, pas toujours fondées ni objectives, et souvent acerbes, dont il est la cible.

Force est de constater que le service public n’a pas démérité et qu’il a été à la hauteur du défi annoncé, des exigences placées en lui en cette période inédite, tout comme le secteur privé ou marchand du reste. Il est temps d’inverser cette tendance consistant à imprimer systématiquement sur le public la marque du privé. La rationalité de l’un n’est pas forcément celle de l’autre.

Bien sûr, le service public doit poursuivre son adaptation permanente et tendre vers plus de simplicité pour jouer pleinement son double rôle de vigie (pour prévoir et anticiper) et de boussole (pour choisir, orienter, mettre en œuvre, transformer et évaluer).

Mais dans un contexte favorisant tous les travers du biais de négativité, je veux rester optimiste car, d’une part, les motifs d’espérance sont nombreux et, d’autre part, l’état d’esprit détermine le résultat !

Aussi, ce que nous vivons actuellement doit nous conduire à développer de nouvelles approches alliant notamment proximité (qui génère confiance et solidarité) et frugalité (afin de retrouver l’essentiel qui est porteur à la fois de cohérence et d’efficacité), tout en acceptant la nature fractale de nos organisations et en se réappropriant le temps long.

Un nouveau récit commun est à écrire en ce sens ! Et cela commence maintenant.

Séverine Bellina et Hugues Perinel, Réseau service public


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