« L’inflation normative signifie un coût important pour les collectivités mais aussi un ralentissement voire même un empêchement de la mise en œuvre de certains projets ». Bernard Delcros, président de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat depuis octobre 2024, suite à l’entrée au gouvernement de Françoise Gatel, met ce chantier en haut de la pile. Le 15 janvier 2025, il a présenté, lors d’un point presse, l’agenda des travaux de la délégation et des premières propositions déjà sur la table.
Assises de la simplification début avril
Le sénateur du Cantal reconnaît qu’il s’agit là d’un « travail de longue haleine » qu’il souhaite mener main dans la main avec le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), présidé par Gilles Carrez, qui partage la même ambition de réduire drastiquement le poids des normes.
Le sujet n’est pas nouveau. Une charte d’objectifs communs pour simplifier les normes applicables aux collectivités a été signée, le 16 mars 2023, par le Sénat et le gouvernement. Pour son premier anniversaire, l’ex Premier ministre, Gabriel Attal, avait promis, le 4 avril 2024, devant la délégation aux collectivités du Sénat, « de lancer une simplification massive des normes » et de redonner « du pouvoir d’agir aux élus locaux ». Mais ce chantier n’avance que lancement. Bernard Delcros promet qu’à l’occasion du second anniversaire de la charte, a priori le 3 avril, seront organisées des Assises de la simplification, un rendez-vous qui sera annuel, afin d’évaluer « le bilan et les avancées concrètes » mais aussi de mesurer tout ce qu’il reste à faire. « Il faut accélérer car cela n’avance pas assez vite », lance-t-il.
Amplifier le pouvoir de dérogation des préfets
Le président de la délégation sénatoriale mise sur plusieurs leviers dont « des réunions régulières avec les ministres concernés pour avancer sur les normes inutiles ». Il utilisera aussi les résultats de la consultation auprès des élus locaux sur la simplification des normes (près de 3 000 réponses), lancée par la délégation en novembre dernier, et dont les résultats seront présentés le 30 janvier. Sur ce sujet, il veut également lancer « un travail sur l’interprétation des textes par les services déconcentrés de l’État qui, plus d’une fois, ne respectent pas l’esprit de la loi ». Citant notamment l’urbanisme et le logement, Bernard Delcros indique avoir déjà eu des premiers échanges avec Valérie Létard, la ministre du Logement, sur « quelques cas concrets ». Tout ce travail pourrait se traduire éventuellement dans une proposition de loi sénatoriale.
Autre levier mis en avant : le développement du pouvoir préfectoral de dérogation aux normes. À ce sujet, une mission de la délégation, conduite par les sénateurs Rémy Pointereau et Guylène Pantel, doit rendre son rapport le 13 février et formuler une série de propositions. Après une phase expérimentale, le dispositif a été généralisé en 2020 « mais avec un champ trop restreint et une trop faible utilisation », regrette Bernard Delcros. Alors que 90 % des dérogations accordées concernent les collectivités, il n’en existe, depuis 2020, qu’une en moyenne par an et par département. Un bilan pour le moins décevant. « Il faut donner aux préfets de département de réelles capacités pour s’adapter aux spécificités du contexte local », insiste l’ancien maire de Chalinargues. Et d’appeler là aussi à « agir rapidement ». Selon la délégation, ce droit de dérogation doit permettre aux « pouvoirs publics de prendre des mesures de simplification de normes législatives ou réglementaires ».
Complexité de la commande publique
Toujours pour éviter de la complexité réglementaire, il plaide pour créer, parallèlement aux études d’impact, des « études d’option » sur les textes de loi qui permettraient, avant leur adoption, « de mesurer leur conséquence sur les collectivités et leur bien-fondé ou non ».
Sur le chantier de la simplification, la délégation souhaite également s’attaquer à la complexité comme à la longueur des procédures de la commande publique. Elle vise en particulier les surcoûts engendrés pour les constructions publiques, variant selon elle de 15 à 30 %. Un travail vient d’être engagé sur le sujet afin d’évaluer le stock des normes et surtout de le réduire.
« La complexité des marchés publics ne cesse de s’accroître, ce qui exclut souvent les artisans locaux et pénalise les territoires ruraux », pointe le sénateur du Cantal qui critique également « des délais de la commande publique ayant augmenté de plus de 50 % en quelques années ». Citant les solutions ayant pu être trouvées pour accélérer la commande publique dans la préparation des Jeux olympiques de Paris, il veut s’en « inspirer » pour formuler des propositions.
Statut de l’élu, compétences eau et assainissement
Bernard Delcros salue l’ouverture du Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale du 14 janvier 2025, sur les propositions de loi (PPL) sénatoriales relatives au statut de l’élu et aux compétences eau et assainissement. « Mon gouvernement confortera les avancées sur ces sujets très attendus », a promis François Bayrou, en estimant que « les initiatives parlementaires prises en ce sens devront aboutir ».
La PPL de Françoise Gatel, aujourd’hui ministre déléguée à la Ruralité, adoptée à l’unanimité par le Sénat le 7 mars 2024, devrait arriver prochainement en discussion devant les députés. Et cela en intégrant les dispositions des députés Violette Spillbout et Stéphane Delautrette, notamment sur la reconversion professionnelle des élus. Le sujet semble faire consensus. Pour sa part, la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, a aussi appelé à son adoption rapide afin d’être applicable aux élections municipales de mars 2026. S’agissant de l’extension du scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants, notamment pour favoriser la parité, Bernard Delcros s’y dit favorable. En revanche, il ne souhaite pas réduire le nombre de conseillers municipaux dans les petites communes. Alors que François Bayrou appelle à « reposer la question » de la possibilité du cumul des mandats, le président de la délégation sénatoriale est partisan du cumul d’un mandat de parlementaire et de maire d’une petite commune, mais sans préciser la strate.
Concernant la PPL qui supprime le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux communautés de communes au 1er janvier 2026, le Premier ministre s’aligne également sur la position de son prédécesseur, Michel Barnier.
Conséquence des exonérations et suppressions de fiscalité locale
Autre chantier annoncé par le sénateur du Cantal : la réalisation d’un « état des lieux des conséquences financières pour les collectivités, ces quinze dernières années, des exonérations ou suppressions de fiscalité locale ». Il souhaite quantifier les compensations, jugées bien souvent insuffisantes. « Quand c’est nécessaire, il faudra remettre les compteurs à zéro », avance-t-il en citant l’exemple de certaines exonérations de taxe foncière sur les propriétés non bâties.
Reconnaissant la complexité de la question sachant la quasi impossibilité de créer un nouvel impôt local, il insiste néanmoins sur « l’importance d’avoir un lien entre l’ensemble des habitants et l’action de leur collectivité ».
Enfin, la délégation sénatoriale doit rendre prochainement des propositions ou lancer des travaux sur toutes sortes du sujet comme l’intelligence artificielle dans les collectivités, l’impact des réductions de postes d’enseignants, les difficultés des collectivités pour s’assurer, les conditions de réussite des intercommunalités, en particulier pour améliorer la gouvernance, l’ingénierie des collectivités en matière de développement économique…
Philippe Pottiée-Sperry