Derrière la crise politique se profile aussi une crise parlementaire sur les textes en cours de discussion. Tout d’abord sur les deux projets de loi de finances (PLF et PLFSS) : arriveront-ils à être adoptés dans les délais impartis très courts ? Et sous quelle forme ?
Les réductions budgétaires à l’encontre des collectivités – plus de 10 Md€ selon l’AMF en y incluant la hausse de la cotisation employeur à la CNRACL (Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales) – vont-elles demeurer, au-delà des quelques concessions de l’ancien gouvernement Barnier ? Autant de questions pour l’instant sans réponse.
L’inconnue plane aussi sur des nombreux textes (projets et propositions de loi, décrets) et concertations en cours.
Assouplissement ou pas du ZAN
Quelques jours avant le congrès des maires, Michel Barnier avait annoncé le soutien du gouvernement à une proposition de loi visant à assouplir le Zéro artificialisation nette (ZAN), déposée au Sénat le 7 novembre dernier par Guislain Cambier (Nord, UDI) et Jean-Baptiste Blanc (Vaucluse, LR), dénonçant « un objectif impossible à territorialiser ». Le texte vise à substituer à la « trajectoire ZAN » une « trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux », tout en respectant la philosophie de l’objectif national. Le mot honni par tant d’élus locaux disparaissait donc.
De son côté, l’Assemblée nationale avait lancé une mission d’information sur les politiques publiques affectant l’artificialisation des sols, pour travailler en concertation avec le Sénat, les élus locaux et les professionnels de l’aménagement du territoire. Elle a été confiée aux députées Sandrine Le Feur (EPR) et Constance de Pélichy (LIOT).
À savoir à présent quelle sera la position du nouveau gouvernement sur la proposition de loi sénatoriale assouplissant fortement le dispositif du ZAN ?
Compétences « eau » et « assainissement » : le feuilleton continue
Le 9 octobre dernier, au Sénat, l’ancien Premier ministre avait annoncé que les communes pourraient conserver la gestion de leurs compétences « eau » et « assainissements ». Pour rappel, en application de la loi NOTRe du 7 août 2015, le transfert aurait dû être obligatoire pour les communautés de communes, au plus tard le 1er janvier 2026. La date initiale prévue par la loi était le 1er janvier 2020 mais avait été repoussée après la levée de boucliers de nombreux élus.
Michel Barnier avait reformulé sa promesse lors du dernier congrès des maires, à la plus grande satisfaction des élus présents. Le véhicule législatif pour la mettre en œuvre a été la proposition de loi de Jean-Michel Arnaud, sénateur (UC) des Hautes-Alpes, adoptée par le Sénat le 17 octobre dernier. Mais à présent, quelle sera position du nouveau gouvernement ?
Simplification et normes : quel avenir pour la mission Ravignon ?
Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, a remis, en mai dernier, au gouvernement Attal, un rapport qui lui avait été commandé sur les coûts des normes et des enchevêtrements de responsabilités et de compétences, estimés à près de 10 Md€. Ses propositions auraient dû être suivies d’effets sachant que les ministres Catherine Vautrin et Laurent Saint-Martin lui avaient confié une mission, mi-octobre, pour les rendre opérationnelles « rapidement ». Son rapport devait être rendu fin 2025 avec des « conclusions intermédiaires ». Devant le Sénat, le maire de Charleville-Mézières avait estimé que certaines modifications pouvaient se faire très vite par voie réglementaire. Mais là aussi, après la censure du gouvernement, ces simplifications risquent de devoir attendre.
Sur le seul sujet des marchés publics, Boris Ravignon évaluait leur coût de passation à 1,5 Md€ par an pour les collectivités, en soulignant « des coûts pour les procédures formalisées en nette augmentation ces dernières années ». Et d’estimer que « des réponses peuvent être trouvées très rapidement comme le rehaussement des seuils des marchés publics ». Pour les prestations ou les services, il suggérait par exemple de relever les seuils de 40 000 à 100 000 €. À noter que ces dispositions auraient pu être inscrites dans le cadre de la discussion du projet de loi de simplification de la vie économique, qui devait arriver devant les députés en janvier prochain.
Quid du projet de loi « simplification économique » ?
Porté par l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, le projet de loi de simplification de la vie économique a ensuite été repris par Michel Barnier, et adopté le 22 octobre dernier au Sénat. Plusieurs dispositions intéressent directement la commande publique et visent à faciliter l’accès de toutes les entreprises à la commande publique.
Le projet de loi devait normalement être examiné par l’Assemblée nationale en janvier.
Le statut de l’élu de nouveau reporté
La proposition de loi (PPL) de Françoise Gatel sur le statut de l’élu, adoptée par le Sénat en mars dernier, devait servir de véhicule législatif pour faire aboutir ce dossier très attendu par les élus locaux, avait promis Michel Barnier lors du dernier congrès des maires. Avec pour objectif d’avoir ce texte applicable avant le scrutin municipal de mars 2026, notamment pour faciliter la constitution des listes et encourager les élus sortants à se représenter.
Il devait être discuté par les députés en février prochain, après avoir été « enrichi » des travaux des députés Stéphane Delautrette (PS) et Violette Spillebout (EPR), qui eux-mêmes avaient déposé une PPL en septembre dernier. Selon le président de la délégation aux collectivités de l’Assemblée nationale, cette PPL vise à « lever les freins pour s’engager et exercer un mandat mais aussi à faciliter la reconversion professionnelle ».
À la PPL examinée par les députés auraient pu aussi s’ajouter plusieurs dispositions du gouvernement sur le passage au scrutin de liste dans les communes de moins de 1 000 habitants ou la réduction du nombre de conseillers municipaux. Fin novembre, la ministre Catherine Vautrin avait en outre évoqué la possibilité d’y inclure des mesures sur la protection fonctionnelle des élus, l’augmentation des indemnités ou la réduction du risque de prise illégale d’intérêts pour des élus représentant leur collectivité dans des organismes extérieurs. Mais que fera le prochain gouvernement de tout cela ?
Financement des transports : concertation à l’arrêt ?
À l’occasion du congrès des maires, François Durovray, ministre délégué chargé des Transports, avait annoncé l’organisation, en février prochain, d’une conférence sur les modalités et les sources de financement des transports, réunissant l’État, les collectivités et les opérateurs. Elle devait notamment s’atteler au sujet de la rénovation des infrastructures, en particulier le ferroviaire, le ministre reconnaissant « que plus on attend pour investir, plus cela coûtera cher, ce constat étant amplifié par les conséquences du dérèglement climatique sur les infrastructures ». Il avait promis de mettre sur la table toutes les pistes de financement dont celle de la fin des concessions autoroutières.
François Durovray s’était dit également ouvert à la création d’un versement mobilité (VM) régional, réclamé par Carole Delga présidente de Régions de France, lors de la même table-ronde du congrès des maires. Quelques jours plus tard, le 26 novembre, à l’Assemblée nationale, la ministre Catherine Vautrin avait même été plus précise en affirmant que ce VM régional pourrait être perçu dans la limite d’un taux de 0,15. Mais pour cela, il aurait fallu que la mesure soit discutée par le biais d’un amendement dans le cadre du projet de loi de finances…
Pouvoir de dérogation des préfets : il faudra attendre
À l’occasion du congrès des maires, Michel Barnier avait également annoncé sa volonté d’assouplir le pouvoir de dérogation des préfets pour « en user plus librement ». Dans la foulée, un décret était en préparation, avec une transmission très prochaine qui devait se faire au Conseil d’État. Ce décret prévoyait également de « renforcer les pouvoirs des préfets de département dans la coordination de tous les services de l’État », une demande fréquemment exprimée par les élus locaux. Là encore tout est suspendu.
Nouvelle suspension du Beauvau des polices municipales
Interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, le Beauvau des polices municipales devait être relancé avant la fin de l’année. Il était prévu que les travaux de réflexion sur l’avenir de la profession, engagés par le précédent gouvernement avec les organisations syndicales représentées à la commission consultative de la police municipale (CCPM) et les employeurs territoriaux, se poursuivent jusqu’en mars 2025. Avec, pour perspective, un projet de loi-cadre évoqué par l’ancien ministre délégué chargé de la Sécurité du quotidien, Nicolas Darangon, le 25 septembre, en déplacement à Taverny (Val d’Oise). Il avait affirmé son souhait d’encadrer les interventions de la police municipale par un texte de loi, la dernière réforme législative significative des polices municipales datant de 1999.
Dans le détail, le ministre avait prévu quatre rencontres d’ici le mois de mars et un questionnaire adressé notamment aux maires. Les premières mesures règlementaires étaient attendues dès le 1er avril et un projet de loi annoncée pour le « premier semestre 2025 ».
Que va-t-il advenir de toutes ces annonces et de ce calendrier ?
Philippe Pottiée-Sperry