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L’occupation du domaine public par un commerce à l’épreuve des JO 2024

Publié le 6 juin 2024 à 10h30 - par

À l’approche des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, le domaine public, dont l’utilisation privative est en principe soumise à une autorisation d’occupation temporaire (AOT), se révèle particulièrement captif pour les commerçants et restaurateurs.

L'occupation du domaine public par un commerce à l'épreuve des JO 2024
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Octroyée par la personne publique propriétaire ou gestionnaire du domaine – la mairie ou la préfecture – une telle autorisation est délivrée dans les conditions définies par le Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP).

Si la lex sportiva inhérente au succès de la candidature de Paris pour les JO 2024 a conduit à un réaménagement du droit domanial, les dérogations accordées l’ont essentiellement été à la faveur du comité d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (COJO), entité spécifiquement créée à cette occasion.

D’une part, l’article 17 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 autorise ce dernier à conclure de gré à gré les autorisations d’occupation domaniale dédiées aux jeux Olympiques et Paralympiques.

D’autre part, ce même article prévoit encore que « (…) les titres de sous-occupation du domaine public peuvent être délivrés gratuitement par le comité d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques aux partenaires de marketing olympique, au sens du contrat de ville hôte, pour tenir compte de leur participation au financement d’infrastructures ou aux dépenses liées à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ».

En revanche, toutes les autres occupations des dépendances du domaine public durant les JO 2024 – et notamment celles dédiées à la vente sur l’espace public – devront en principe respecter les mêmes conditions de délivrance qu’à l’accoutumée et faire l’objet, sauf exception, d’une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence.

1. L’exigence d’un « titre »

1.1. L’utilisation privative du domaine public est soumise à la délivrance d’un « titre » valant autorisation de l’autorité gestionnaire du domaine (art. L. 2122-1 du CGPPP).

Pour l’occupation du domaine public routier, ce titre prend la forme d’une permission de voirie dans le cas où celle-ci comporte une emprise au sol ou bien d’un permis de stationnement dans les autres cas (art. L. 113-2 du Code de la voirie routière) (buvette, food-truck…).

Le droit d’utilisation accordé doit répondre à plusieurs conditions.

Il ne doit pas compromettre l’usage conforme du domaine public (art. L. 2121-1 du CGPPP) (CE, 22 janvier 2007, Association Les amis des Tuileries, n° 269360 : l’installation d’une fête foraine dans le jardin des Tuileries ne doit pas empêcher sa fonction de jardin public).

Il ne peut être que temporaire (art. L. 2122-1 du CGPPP) – au nom des principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité du domaine public –, précaire et révocable (art. L. 2122-3 du CGPPP).

En principe, le titre revêt un caractère personnel, empêchant l’occupant de le céder, à moins que celui-ci soit autorisé à présenter son successeur à l’administration, laquelle devra alors donner son accord (CE, 18 septembre 2015, Société Prest’air, n° 387315).

1.2. Par exception, l’on relèvera que l’activité de commerce ambulant, consistant par définition à circuler sur la voie publique, faute de sédentarité, ne nécessite pas l’obtention d’une AOT (v. Rép. min. n° 37251 (question de Lionel Causse), JOAN 22 juin 2021, p. 5 055).

Celle-ci n’est pas considérée comme une occupation privative mais collective du domaine public.

Il en va de même, par extension, pour un commerce dont les clients sont servis debout sur la voie publique, sans aucune installation sur le domaine public. Il en va ainsi des commerces pratiquant des ventes au travers de vitrines ou de comptoirs ouvrant sur le domaine public (telle qu’une sandwicherie par exemple) (CE, 31 mars 2014, Commune d’Avignon, n° 362140).

1.3. Le titre peut être sollicité en déposant directement une demande auprès de l’administration ou au moyen d’un formulaire Cerfa (n° 14023*01).

Outre une expulsion du commerçant, l’installation d’un commerce sans AOT est passible d’une amende.

2. L’obligation d’une procédure de publicité et de mise en concurrence

2.1. Après une longue résistance du Conseil d’État (CE, Sect., 3 décembre 2010, Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin, n° 338272 et 338527) c’est sous l’impulsion de la jurisprudence européenne qu’il a été mis fin à l’octroi discrétionnaire d’un titre domanial (CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl et Maria Melis e.a, aff. C-458/14 et C-67/15).

L’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, dont les dispositions sont applicables aux titres délivrés à compter du 1er juillet 2017, a introduit l’article L. 2122-1-1 au sein du CGPPP, prévoyant que pour ceux d’entre eux permettant l’exercice d’une activité économique sur le domaine public, une procédure de sélection préalable entre les candidats potentiels doit être mise en place afin de garantir l’impartialité du choix de la personne publique.

Aucune règle ne détermine les modalités d’une telle procédure, la personne publique « organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester » (art. L. 2122-1-1 du CGPPP).

Une procédure plus légère, avec publicité préalable mais sans procédure de sélection, peut par ailleurs être mise en œuvre pour les occupations de courte durée, généralement égale ou inférieure à 4 mois (Circulaire du ministère de l’Intérieur, 22 juillet 2019, n° INTA1919298J) ou – ce qui pose la question de l’absence de rareté en droit public – lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique n’est pas limité (art. L. 2122-1-1 al. 2 du CGPPP).

2.2. En pratique, les gestionnaires domaniaux ont le plus souvent recours à l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) – procédure « sui generis » – pour consentir une autorisation d’occupation temporaire (AOT) du domaine public en vue d’une exploitation économique.

Les informations suivantes devront alors vraisemblablement être portées à la connaissance des candidats potentiels : l’objet du projet et ses caractéristiques principales (affectation, surface, durée, redevance…). En outre, les critères de sélection devront être objectifs et transparents afin de garantir l’égalité de traitement entre les candidats.

2.3. Le principe de l’encadrement de l’attribution des titres souffre toutefois nombre d’exceptions, objet des articles L. 2122-1-2 à L. 2122-1-3-1 du CGPPP.

Parmi elles, on relèvera le cas de dispense relative à l’urgence (art. L. 2122-1-2 3° du CGPPP) ou encore à la prolongation de la durée du titre (art. L. 2122-1-2 4° du CGPPP).

L’autorité compétente pourra par ailleurs délivrer le titre à l’amiable lorsque l’organisation de la procédure « s’avère impossible ou injustifiée » (art. L. 2122-1-3 du CGPPP), dans le cas, par exemple, de l’hypothèse d’une procédure infructueuse (3°), « lorsque les caractéristiques particulières de la dépendance, notamment géographiques, physiques, techniques ou fonctionnelles, ses conditions particulières d’occupation ou d’utilisation, ou les spécificités de son affectation le justifient au regard de l’activité économique projetée » (4°) ou encore « lorsque des impératifs tenant à l’exercice de l’autorité publique ou à des considérations de sécurité publique le justifient » (5°).

2.4. On l’a vu, les gestionnaires domaniaux n’agissent pas toujours en tant qu’« offreurs » ; ils peuvent aussi se contenter d’accueillir la demande.

En cas de « manifestation d’intérêt spontanée » d’un commerçant, l’article L. 2122-1-4 du CGPPP prévoit que l’autorité publique « doit s’assurer par une publicité suffisante, de l’absence de toute autre manifestation d’intérêt concurrente » avant de délivrer un titre à l’amiable (TA Nantes, 3 janvier 2023, n° 1808058, jugeant que quand bien même la personne publique pourrait se prévaloir des exceptions prévues aux articles L. 2122-1-2 et L. 2122-1-3 du CGPPP, elle doit procéder à une mesure de publicité préalable dès lors qu’elle reçoit une manifestation d’intérêt ; v. également TA Marseille, 18 avril 2019, Assoc. Collectif de défense du littoral 13, n° 1902792, jugeant que l’avis ne peut se borner à porter à la connaissance du public la demande de concession, celui-ci devant solliciter une manifestation d’intérêt concurrente).

3. L’instauration d’une redevance obligatoire

En principe, le titulaire d’un titre est tenu de payer une redevance en contrepartie du bénéfice tiré de l’avantage d’utiliser, à l’exclusion de tout autre, une partie du domaine public.

En même temps qu’il en fixe le principe, l’article L. 2125-1 du CGPPP mentionne une série d’exceptions et prévoit notamment que « l’autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d’un intérêt général ».

Concrètement, le montant de la redevance est fonction des avantages procurés par l’occupation, amenant à prendre en compte tant la situation géographique, l’assiette et le chiffre d’affaires escompté.

Les conditions financières de l’occupation du domaine public doivent être précisées dans le titre (art. R. 2122-6 du CGPPP).

L’assemblée délibérante de la collectivité est compétente pour fixer le montant des tarifs, à moins que le conseil municipal n’ait délégué ce soin au maire (art. L. 2122-22 2° du CGPPP).

À Paris, par exemple, les tarifs par m2 et par jour des redevances sont répartis en six catégories et sont définis par la ville en fonction de l’activité commerciale des voies, ceux-ci allant de 1,17 € à 7,05 €.

À quelques semaines désormais des JO 2024, force est de constater que les délais de remise des offres aux AMI publiés en la matière notamment sur le portail « Maximilien » – créé pour faciliter l’accès des TPE/PME aux marchés publics franciliens liés aux jeux –, sont pour l’heure généralement expirés.

Reste alors l’épreuve non moins sportive de la manifestation d’intérêt spontanée. En effet, si, en ce cas, le gestionnaire peut procéder spontanément à l’attribution du titre sollicité, il pourrait aussi, selon les circonstances, et à plus forte raison peut-on penser du fait des jeux Olympiques et Paralympiques, prétexter de devoir mettre en œuvre une procédure de publicité, ce qui aurait alors pour effet de refuser – à tout le moins dans un premier temps – le titre sollicité par le commerçant.

Julie Gueutier, Avocat, HMS Avocats

Auteur :

Julie Gueutier

Julie Gueutier

Avocat, HMS Avocats


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