Agir face aux dépôts sauvages de déchets

Publié le 12 juillet 2023 à 10h00 - par

Un nombre croissant de communes est confronté aux dépôts sauvages de déchets, que ce soit sur des terrains privés ou publics. Ces incivilités ont augmenté de 85 % entre 2017 et 2021. L’ampleur du phénomène est tel qu’il préoccupe 90 % des collectivités, selon l’Ademe, qui a recensé 36 000 décharges à ciel ouvert. Quelles solutions s’offrent aux maires soucieux de ne pas laisser s’installer ce fléau ? Éléments de réponses.

Agir face aux dépôts sauvages de déchets
© WEKA Le Mag #10 juillet/août 2023

Août 2019. Jean-Mathieu Michel, le maire de Signes, meurt, renversé par un maçon qui déchargeait illégalement des gravats en pleine nature. En 2021, six élus portent plainte dans des unités de gendarmerie, après avoir été victimes de violences dans un contexte de dépôt de déchets sauvages. Plus récemment, Patrick Foulon, le maire de Saint-Père sur Loire, dans le Loiret, se lance dans une action coup de poing en renvoyant les sacs poubelle déversés sauvagement, dans le jardin d’un habitant d’une commune voisine. Des situations préoccupantes pour les élus et loin d’être marginales. « Le dépôt sauvage de déchets, c’est un contentieux de masse. Tout le monde en a croisé au moins une fois dans sa vie. Les élus, les maires sont en première ligne et doivent agir pour ne pas les laisser s’installer », indique Cédric Renaud, président d’honneur de l’ANCTS, l’association nationale des cadres territoriaux de la sécurité. Oui. Mais comment ?

En plus de créer de la pollution visuelle et environnementale, les déchets abandonnés peuvent entraîner des contaminations mettant en danger la biodiversité ou la santé. Ils ont bien entendu un coût : 340 à 420 millions d’euros par an aux collectivités. Alors que l’on compte 4 500 déchetteries ouvertes et dédiées à la collecte des déchets en France.

Enquête, verbalisation, procédure administrative

« Dès lors que l’on est confronté à un dépôt sauvage, il faut faire un choix. Il peut être décidé de les effacer rapidement du paysage. Dans ces cas là, cela représente un coût important. Certaines collectivités ont d’ailleurs fait le choix de mettre en place des brigades d’intervention rapide pour ne pas laisser s’installer les nuisances. Mais en les ramassant vite, on exclut de facto la possibilité d’identifier l’auteur. » Deuxième possibilité : lancer une démarche pour retrouver le ou les auteurs de ce dépôt. « Là, il faut trouver un bon équilibre entre le fait de faire cesser l’infraction et le temps nécessaire au traitement administratif ou à la constatation judiciaire. Car il n’y a pas de raison de faire subir les conséquences, olfactives et visuelles, aux gens qui n’y sont pour rien. » Une fois le choix fait, place à l’action. Si le maire décide d’identifier l’auteur, il ne peut pas pour autant tout faire. « Les garde champêtre, ASVP et policier municipal peuvent verbaliser l’auteur ou les auteurs, seulement s’ils sont pris sur le fait. Le problème se pose lorsqu’on est confronté à un dépôt sauvage mais sans avoir pu voir qui était l’auteur. De plus, seuls les gardes champêtres ont le droit d’ouvrir une enquête à l’échelle de la collectivité territoriale. Ils ont cette habilitation depuis 1958 », explique Cédric Renaud. En dernier recours, le maire peut décider de lancer une procédure administrative, encadrée par le Code de l’environnement. « C’est un processus long puisqu’il faut constater le dépôt, mettre l’auteur en demeure, lui laissant dix jours pour réagir. Cela peut être efficace pour les gros dépôts », ajoute notre expert. Et faire appel aux forces de l’ordre ? C’est possible aussi. Le hic ? La réticence des maires à s’engager dans cette démarche. « On imagine bien que ce ne sera pas un dossier prioritaire. Ce n’est pas faire offense aux forces de l’ordre que de le dire, étant donné la charge de travail des policiers ou des gendarmes. »

« Un désengagement de l’État »

Ce que met en lumière Cédric Renaud dans ses propos, c’est « le désengagement de l’État » alors que les maires se retrouvent en première ligne face à ce fléau. Tout en soulevant un paradoxe. « Ne serait-ce pas les collectivités les mieux placées pour traiter ces infractions au quotidien ? Je réponds oui. Encore faut-il leur donner les moyens légaux. » Sur ce point, l’État n’est pas favorable à étendre le pouvoir d’enquête à d’autres agents municipaux que les gardes champêtres. En tout cas pour le moment.

« La dernière loi à l’avoir proposé, c’était la loi de sécurité globale préservant les libertés. Cela a été recalé au niveau constitutionnel. On est dans une forme de statu quo : l’état central maintient les compétences existantes pour les gardes champêtres notamment et n’y revient pas. » Que faire alors ? « Revenir à la question du « qui fait quoi ? » Il n’y a pas de réflexion globale aujourd’hui sur le rôle d’une police municipale ou d’un garde champêtre. Il faut définir ce cadre. La profession de policier municipal a été définie en fonction des compétences que l’État ne souhaitait plus exercer. Mais cela ne fait pas un métier. Si on analyse froidement et juridiquement les moyens : ils sont suffisants. Il faut qu’il y ait des gens pour les mettre en œuvre. Et que les maires acceptent à un certain moment de se lancer dans une procédure administrative », avance le président d’honneur.

« Penser au réemploi »

Michel Maya, maire de Tramayes (1 080 habitants) et membre de l’Association des maires ruraux de France, a été confronté récemment à cette situation. « On a constaté un dépôt sauvage de gravats de démolition, dans un coin du bois de la commune. Heureusement, nous avons pu identifier l’auteur, assez rapidement. Après avoir été averti, l’auteur nous a assuré qu’il allait s’en charger. J’espère seulement qu’il ne va pas redéposer ses déchets dans un autre endroit plus caché. » Pour s’en assurer, l’idéal pour le maire serait de demander à l’auteur des faits une traçabilité de son dépôt, par exemple dans une installation de stockage de déchets non-dangereux. « Seulement, il n’y a pas beaucoup d’installations. Et elles sont vite saturées. Les capacités de stockage de ces déchets non-dangereux à l’échelle d’un département sont très largement inférieures à ce qui est produit chaque année. » Michel Maya ne semble pas convaincu par l’installation de caméras ou une extension de ses pouvoir de police. « C’est difficile pour moi d’exercer ce pouvoir de police. Je ne fais pas appel au procureur sur ce genre de sujets ; il est déjà bien occupé. Les caméras, je ne saurais pas où les installer. Des panneaux informant des sanctions ? Oui, d’accord, mais ce serait dépenser de l’argent pour peu de résultats. »

Michel Maya croit plutôt au réemploi, comme par exemple faire appel à une société spécialisée qui met à disposition une benne ou à des associations qui peuvent créer de nouvelles filières. Une alternative qu’il a choisie pour gérer les déchets des projets de construction portés par la commune.

Rédaction Hélène Leclerc

Déchets sauvages : « grande cause nationale »

Depuis plusieurs années, l’association Amorce, basée à Villeurbanne (69), se mobilise sur ces incivilités. « On estime que cela représente 1,5 millions de tonnes en France. Ramené individuellement, cela signifierait que chaque Français jette 11,8 kg de déchets dans la nature. Avec un coût estimé de 5 € par habitant assumé par les collectivités », rappelle Delphine Mazabrard, déléguée générale adjointe de l’association et responsable du pôle juridique. L’association accompagne ses adhérents (1 103) dans le décryptage de l’arsenal juridique existant mais porte également leur voix à l’échelle nationale. « Nous voulons positionner les dépôts de déchets sauvages comme grande cause nationale. » Aussi, elle aide les élus à répondre à quatre questions pour endiguer ce problème : qui est compétent sur le territoire ? Que veut faire la collectivité ? Quels agents peut-elle mobiliser et quels outils mettre à leur disposition ? « Avec cette approche, la collectivité travaille une réponse personnalisée en fonction de ses moyens et de son territoire », analyse Delphine Mazabrard.

 

Retrouvez notre décryptage dans WEKA Le Mag n° 10 – Juillet / Août 2023

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