Analyse des spécialistes / Droits et obligations

Quelle sanction disciplinaire pour des tweets racistes et antisémites ?

Publié le 10 juillet 2025 à 11h10 - par

Des propos tenus, même pour partie antérieurs à son entrée dans l’administration, constituent des manquements graves aux obligations de neutralité, de réserve et de dignité, justifiant la sanction de révocation. C’est le sens d’un arrêt n° 23TL02197 de la Cour administrative d’appel de Toulouse du 17 juin 2025.

Quelle sanction disciplinaire pour des tweets racistes et antisémites ?
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M. B… A…, lauréat du concours d’inspecteur des finances publiques en 2019, a intégré l’école nationale des finances publiques en tant qu’inspecteur stagiaire à partir du 1er septembre 2019. Il a ensuite été affecté à la direction régionale des finances publiques d’Occitanie à partir du 28 août 2020.

Le 30 septembre 2020, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance a prononcé sa révocation de ses fonctions.

Les reproches faits à M. A… concernent la publication de « tweets » sur le réseau social Twitter, sous le pseudonyme « Camelot_du_Roi_77@zak_Du_Guesclin ». Ces publications, certaines antérieures à son entrée à l’école mais toujours visibles en ligne, et trois postérieures à son intégration, contenaient des termes racistes, antisémites ou hostiles à certaines communautés de personnes. Des exemples cités incluent des propos tels que « une négresse se permet de faire la police de la pensée » ou des relais de publications glorifiant le Maréchal Pétain ou faisant référence à Hitler en des termes élogieux.

L’administration reproche à M. A… des manquements aux obligations de neutralité, de réserve et de dignité qui s’imposent aux fonctionnaires. Le lien entre M. A… et l’administration était identifiable car il avait publié un tweet le 15 février 2019 faisant état de sa réussite au concours d’inspecteur des finances publiques, rendant ainsi publique sa qualité de fonctionnaire et associant potentiellement l’administration à ses écrits.

1. Le fondement de la révocation

M. A… a contesté son arrêté de révocation devant le tribunal administratif de Toulouse. Il a demandé l’annulation de l’arrêté, ou à titre subsidiaire, une réforme de la sanction en une sanction du premier groupe, ainsi que sa réintégration et des indemnisations.

Par un jugement n° 2006555 du 11 juillet 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté toutes les demandes de M. A….

La révocation de M. A… était fondée sur :

  • Des publications litigieuses sur Twitter contenant des termes racistes, antisémites ou hostiles à certaines communautés.
  • Ces agissements étant constitutifs de manquements aux obligations de neutralité, de réserve et de dignité des fonctionnaires.
  • L’atteinte portée à l’image de l’administration, d’autant plus que M. A… avait rendu publique sa qualité de fonctionnaire, permettant d’associer ses écrits à l’administration.

M. A… a fait appel du jugement du tribunal administratif devant la Cour administrative d’appel.

La Cour administrative d’appel de Toulouse a examiné plusieurs moyens soulevés par M. A…, notamment le défaut de motivation, l’irrégularité de la procédure d’audition, l’irrégularité du report du conseil de discipline, le défaut d’examen réel et sérieux de sa situation, et la violation de sa liberté d’expression.

La Cour a rejeté tous les moyens de M. A… et a confirmé la décision du tribunal administratif.

Concernant la proportionnalité de la sanction, la Cour administrative d’appel a considéré que :

  • Les propos de M. A… excédaient la simple liberté d’expression dont jouissent les fonctionnaires, laquelle doit s’exercer dans la limite de leur devoir de neutralité et de réserve.
  • Les publications n’étaient pas cantonnées à la sphère privée ni à l’anonymat, compte tenu de l’identification possible de M. A… et de sa mention de sa réussite au concours d’inspecteur des finances publiques.
  • Les manquements de M. A… à ses obligations de dignité, de neutralité et de réserve constituaient une faute d’une gravité suffisante.
  • Malgré la suppression de son compte Twitter le 14 octobre 2019 et sa « satisfaction » donnée au cours de sa scolarité, la gravité des faits reprochés justifiait la sanction de révocation, qui n’apparaît donc pas disproportionnée aux yeux de la Cour.

2. Ce qu’il faut retenir pour les agents publics

Cet arrêt souligne plusieurs points cruciaux pour les fonctionnaires :

  • Devoir de réserve et de neutralité : les agents publics sont soumis à des obligations de neutralité, de réserve et de dignité, même en dehors de l’exercice de leurs fonctions. Cela signifie qu’ils doivent s’abstenir de tout comportement ou propos qui pourrait nuire à l’image de l’administration ou remettre en cause leur impartialité.
  • Liberté d’expression et ses limites : bien que la liberté d’expression soit garantie aux fonctionnaires, elle n’est pas absolue. Elle doit s’exercer dans le respect de leurs obligations professionnelles, notamment le devoir de réserve. Des propos à caractère raciste, antisémite ou xénophobe sont clairement considérés comme des fautes graves.
  • Utilisation des réseaux sociaux : les publications sur les réseaux sociaux, même sous pseudonyme, peuvent ne pas garantir l’anonymat. Si un lien peut être établi entre le fonctionnaire et ses propos, notamment s’il fait référence à sa qualité professionnelle, ces propos engagent la responsabilité de l’agent et peuvent avoir des conséquences disciplinaires, y compris la révocation.
  • Ancienneté des faits : des faits antérieurs à la nomination d’un fonctionnaire peuvent être pris en compte si l’administration en prend connaissance ultérieurement et qu’ils révèlent une incompatibilité avec le maintien de l’intéressé dans la fonction publique.
  • Proportionnalité de la sanction : la gravité des faits est un élément clé dans l’appréciation de la proportionnalité de la sanction. Des manquements graves aux obligations de dignité, neutralité et réserve peuvent justifier la sanction la plus sévère, la révocation, même si l’agent a tenté de corriger son comportement par la suite.

Cette affaire est un rappel clair que la conduite des agents publics, y compris sur les plateformes numériques, est soumise à un examen rigoureux au regard de leurs obligations statutaires.

Dominique Volut, Avocat-Médiateur au barreau de Paris, Docteur en droit public

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