“Il n’y a pas de réussite possible dans la fonction publique si la réalité de cette fonction publique n’est pas reconnue”

Publié le 5 novembre 2021 à 14h16 - par

Ancien ministre de la Fonction publique de 1981 à 1984, Anicet Le Pors a apporté son témoignage le 8 octobre 2021, lors d’une table ronde* sur le « service public territorial en 2030 ».

“Il n'y a pas de réussite possible dans la fonction publique si la réalité de cette fonction publique n'est pas reconnue”

Le projet de code de la fonction publique, réalisé par la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), sera adopté avant la fin de l’année (cf. encadré). Une réorganisation, à droit constant, de tous les textes relatifs à la fonction publique, alors que les agents doivent s’adapter à une société en mouvement : digitalisation, crise sanitaire, télétravail, nouvelles attentes des citoyens… Anicet Le Pors, qui a donné son nom à la loi du 13 juillet 1983 qui fixe le statut des fonctionnaires, a porté un regard éclairé d’historien sur le projet de code et l’avenir de la fonction publique. Convaincu que les sentiments qui dominent chez les agents sont le fatalisme et la résignation, il estime qu’aujourd’hui « les fonctionnaires se demandent vraiment où ils vont ».

L’ancien ministre a ainsi pointé la différence de climat entre l’élaboration du titre I de la loi de 1983 et celle du futur code qui encadrera l’action des 5,5 millions d’agents fonctionnaires ou contractuels « pour les décennies à venir ». En 1983, après des centaines d’heures de discussions, toutes les organisations syndicales se sont accordées sur le nouveau statut, tandis qu’aujourd’hui, toutes dénoncent la politique menée par l’exécutif dans la fonction publique. Ainsi, pour marquer leur mécontentement, la moitié des organisations syndicales ont boycotté la réunion du Conseil supérieur des trois fonctions publiques du 8 octobre, chargée de donner un avis sur le projet de code. Et celles qui étaient présentes ont manifesté….

« Il n’y a pas de réussite possible dans la fonction publique si la réalité de cette fonction publique n’est pas reconnue », constate l’ancien ministre. À commencer par la « réalité historique ». « En 1946 et en 1983, le choix a été fait du fonctionnaire citoyen qui n’est pas là uniquement pour obéir à une hiérarchie », avec le système de la carrière qui comporte toutes les garanties de neutralité, d’impartialité et d’efficacité aussi bien pour l’administration que pour les fonctionnaires. Le statut s’est efforcé « tant bien que mal » d’aboutir à un équilibre entre les principes constitutionnels d’unité de la République et de libre administration des collectivités territoriales, « un équilibre entre l’unité et la diversité ». Le statut est fondé sur des principes fondamentaux, ancrés dans l’histoire, que sont l’égalité (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, article 6), l’indépendance (loi sur l’état des officiers de 1834) et la responsabilité (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, article 15). « Il faut respecter cette histoire porteuse d’enseignements », affirme Anicet Le Pors.

Il convient aussi de prendre en compte la « réalité collective ». Les métiers des fonctionnaires sont organisés dans des fonctions, regroupées dans les fonctions publiques. Ce caractère collectif doit être porté par tous les fonctionnaires qui, à quelque niveau qu’ils soient, doivent participer à cette grande œuvre qu’est l’intérêt général. La fonction publique comporte également une « réalité structurelle ». En effet, les transformations digitales, l’évolution des besoins ou encore l’évolution des relations en interne et au niveau international, tout cela doit être traduit dans les qualifications de la fonction publique. « L’élaboration des grilles devrait être adaptée à ces évolutions. Or, depuis 40 ans on a gardé les mêmes grilles indiciaires, comme si rien n’avait changé, ce qui est un archaïsme absolu », s’est insurgé l’ancien ministre. Il estime notamment que la mobilité et la formation continue des fonctionnaires s’imposent pour répondre à ces nouvelles réalités, ce qui implique de disposer des moyens financiers.

Enfin, la fonction publique ne se gère pas au jour le jour mais suppose le long terme. « Il est stupéfiant qu’elle soit animée par la direction du Budget, soumise au principe d’annualité budgétaire », a déploré Anicet Le Pors, favorable à la gestion prévisionnelle des effectifs. « Nous avons besoin de savoir de combien de professeurs, combien de chercheurs on aura besoin dans 15 ans, c’est un devoir. Il me semble qu’aujourd’hui on n’en tient pas compte ». Alors qu’il faudrait donner à chacun la place qui revient à ses qualifications, « on donne 100 euros par-ci, 150 euros par-là, dans un paysage qu’on maintient dur comme fer : ce n’est pas la modernité… »

Marie Gasnier

* Organisée par La Dépêche du Midi et le conseil de gestion de Haute-Garonne (CDG31), à l’occasion du salon des maires et des collectivités locales de Haute-Garonne, à Labège (organisé par l’association des maires de France de Haute-Garonne, en partenariat avec La Dépêche du Midi).

Le Conseil national d’évaluation des normes a émis un avis favorable sur le projet de codification le 9 septembre dernier. Une fois examiné par le Conseil d’État, le projet d’ordonnance sera présenté en Conseil des ministres, le 24 novembre. L’ordonnance devra être adoptée avant le 7 décembre, comme l’impose la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019.