Quelles sont avec votre expérience les questions particulières que posent en termes de RH et d’organisation la fin progressive du déconfinement ?
La crise sanitaire a mis les agents en position statutaire inédite et inégalitaire. Pendant tout le confinement, un effort particulier a été mis dans le recensement des situations et les possibilités de redéploiement des missions pour ceux qui ne rencontraient ni difficultés de garde d’enfants, ni de fragilités de santé. Si la majorité des agents ont démontré une solidarité naturelle et un investissement professionnel quel que soit leur grade, cela n’a pas été le cas de tous et du ressentiment a pu jaillir sur ceux qui étaient restés à leur domicile sans mission de télétravail alors que d’autres s’exposaient et travaillaient sans relâche.
Par souci d’équité, il a été demandé aux agents restés à domicile de poser des congés obligatoires pendant cette période comme dans le privé. Ces décisions en veille d’élections n’étaient pas populaires mais nécessaires. De même, la ville de Saint-Ouen-sur-Seine a réfléchi au versement d’une prime pour compenser les agents qui étaient restés à leur poste pendant cette période de confinement.
Lors du déconfinement la reprise de poste s’est faite dans un climat anxiogène et anarchique en raison de l’ouverture non uniforme des écoles et des crèches sur la région Île-de-France. Alors que les services de la ville devaient tous rouvrir normalement, les effectifs n’étaient pas présents à temps plein. Néanmoins 50 % du personnel était présent dans les crèches et les écoles ce qui a permis d’assurer les missions de service public en faisant appel à des renforts privés puisque les protocoles sanitaires étaient très contraignants et généraient une surcharge de travail. L’existence de marchés privés d’entretien dans les écoles, si décriés lors de leur mise en place, s’est révélée très utile et a permis d’éviter que le personnel communal soit rapidement exténué par les tâches d’entretien dans les équipements.
Les moyens généraux et la commande publique ont joué un rôle capital dans le déconfinement en dotant au plus vite le personnel communal en masques, gels, visières, lingettes et en installant des plexiglass dans tous les lieux d’accueil. De même l’organisation des accueils a été capitale dans la sécurisation de la reprise du travail des agents avec le respect de procédures très strictes discutées en CHSCT.
Une crise est souvent révélatrice. À ce stade, qu’a-t-elle révélé sur vos forces et vos faiblesses ? Dans quels domaines considérez-vous que votre organisation était prête à réagir au mieux et ce qu’il faudrait améliorer, voire créer ?
Le confinement a été brutal, une sorte de fin du monde très impactant dans les communes, qui sortaient du premier tour des élections communales. Le personnel était dans un élan dynamique, qui a été brutalement coupé, laissant la gestion des villes dans un entre-deux compliqué à gérer en terme politique surtout dans les communes où le maire sortant était en ballottage défavorable. L’illégitimité politique a amené les agents territoriaux à se mobiliser pour assurer la continuité des services. La place de l’administration dans la continuité des services publics si souvent décriée tout au long de la mandature a pris tout son sens et a constitué un rempart protecteur pour les habitants.
En fonction des maires et des contextes, on a pu vivre des régimes plus ou moins contraignants pendant le confinement pour les habitants : certains développaient des systèmes de brigades citoyennes pour distribuer des masques, assurer les courses et les services aux personnes fragiles, d’autres imposaient des couvre-feux et refusaient de prendre la place de l’État sur des missions de son ressort.
Pour le déconfinement, cette disparité s’est retrouvée avec des maires ouvrant rapidement leurs marchés alimentaires, leurs écoles et leurs crèches et d’autres qui ralentissaient au maximum l’ouverture des écoles, des crèches et des équipements sportifs mettant en exergue les problématiques de responsabilité pénale suite aux attaques de citoyens et de responsables soignants à l’encontre de l’État sur ce domaine. En fonction du territoire, le personnel de l’Éducation nationale était plus alerte à être présent et à assurer les cours. Inutile de dire qu’en Seine-Saint-Denis la reprise de l’école a été plus laborieuse pour les enseignants que dans le 78 ou le 92.
La crise a donc été révélatrice de l’inégalité des territoires et a mis en exergue les disparités : les villes dortoirs sans commerces aux architectures concentrationnaires et les villes riantes avec de beaux espaces verts, les rues agréables et les jolis commerces de centre-ville.
L’existence de service public en régie a permis à la ville de Saint-Ouen-sur-Seine d’assurer facilement la continuité grâce tout d’abord à l’existence d’un centre de santé municipal de premier ordre qui a été désigné par l’État comme centre de coordination de suivi du virus, de l’existence d’une cuisine centrale en syndicat de communes qui a fourni les repas dans l’école et la crèche de permanence mais aussi des repas sur tous les sites municipaux à tout le personnel mobilisé afin qu’il soit dégagé de toute intendance à midi.
Le tissu associatif, les agents communaux ont été une vraie force sur la ville de Saint-Ouen-sur-Seine mais aussi dans toutes les villes. Organisés en cellule de gestion de crise sanitaire la Direction générale, le cabinet du maire, la communication et le directeur de la santé se réunissaient tous les jours la première semaine afin d’organiser le plan communal de continuité du service et tous les mercredis pendant la crise. Les cadres des services opérationnels et la Direction générale étaient présents sur site à tour de rôle pour accompagner les agents sur le terrain. Cette proximité a été notre force et nous a permis d’ajuster les besoins des services et des habitants, de rassurer au jour le jour les agents en mission.
Les services ont été assurés pendant le confinement sur la base du volontariat. Une plate-forme de volontaires a été mise en place et un redéploiement des compétences en fonction des besoins de la crise a été fait afin que même les agents des services fermés puissent renforcer les services qui tournaient à plein régime comme la santé, l’aide aux personnes fragiles et âgées, l’entretien, la logistique. Chaque agent était recensé tous les jours par son chef de service et la RH avait une liste de qui faisait quoi tous les jours.
Les agents ont été forces de propositions et ont participé activement à la mise en place de l’organisation de crise. Ainsi à leur initiative a été mis en place :
- une plate-forme des commerces qui livrent ;
- une plate-forme d’appel journalier des personnes âgées ;
- la distribution de matériel informatique aux familles en difficultés pour la continuité éducative (70 familles dotées) ;
- la distribution des repas aux plus démunis ;
- une brigade d’entretien renforcée.
Le site de la ville était tous les jours mis à jour et le maire s’adressait à la population sur le site chaque semaine.
La commune reste l’organisation la plus importante pour la vie des citoyens ; les autres collectivités territoriales n’ont pas autant d’impact sur le quotidien des habitants aussi il est important qu’elles soient plus en relai et en soutien. On avait l’impression que la Région ou le Département passaient leur temps à communiquer qu’ils étaient sur le terrain et à l’écoute mais dans les faits leurs services étaient fermés sur le territoire et les agents ont mis du temps à revenir sur site. Les collectivités auraient pu redéployer des équipes d’entretien, de logistique. Au déconfinement, le Département n’a pas rouvert ses crèches sur le territoire de Saint-Ouen-sur-Seine. La ville a dû insister pour qu’une commission d’attribution des places en crèches ait lieu fin juin avec les services départementaux. Les agents de l’intercommunalité ont été en effectif réduit trop longtemps amenant des dysfonctionnements sur le maintien de la propreté des villes. De même, l’État a déployé des plans d’aide spécifiques aux communes mais pas les autres collectivités territoriales.
La ville de Saint-Ouen-sur-Seine a tout mis en œuvre avec ses moyens pour permettre que les habitants vivent au mieux cette crise sanitaire. À améliorer : mettre en place une brigade citoyenne, organisation des marchés alimentaires.
Cette période a montré s’il en était besoin l’agilité, la capacité d’adaptation et la résilience de beaucoup de nos organisations. Comment prolonger, choisir et valoriser les idées innovations ou démarches collectives spontanées ?
L’être humain lorsqu’il est dans l’adversité a une capacité étonnante de mobilisation, d’inventivité et de solidarité à tous les niveaux. Cela confirme la nécessite de faire jouer l’intelligence collective, de facilité l’émergence des idées et de les accompagner par une organisation efficiente au service des habitants. Plus la structure et les procédures sont complexes moins l’organisation est agile et adaptable et c’est pour cette raison que la Nation s’est reposée sur les communes qui restent des organisations souples à taille humaine. Ce qui était intéressant pendant la crise, c’est que tous les échelons étaient sollicités et se mobilisaient, chacun devenait important et donc investi. Des agents non reconnus sont devenus essentiels à la collectivité et se sont révélés exceptionnels ; c’était une leçon de management au quotidien.
De même tous les réseaux numériques d’entraide, professionnels nous permettent de retisser du lien social dans un univers urbain dépersonnalisé.
Mais au-delà de ce constat optimiste, j’ai trouvé que les collectivités et l’État étaient démunies face « aux planqués » qui profitent de la situation. Il est important de pouvoir disposer d’outils permettant de sanctionner la mauvaise volonté.
Beaucoup de citoyens, et d’entreprises, prennent conscience de l’importance d’un service public qui allie solidarité et efficacité. Quel message souhaiteriez-vous faire passer plus particulièrement ?
Un pays qui fonctionne correctement est un pays où les services publics sont forts et les fonctionnaires correctement payés. Payer des impôts c’est s’assurer lorsqu’on est fragile que l’amortisseur social est présent, que nous sommes tous importants et que personne n’est laissé sur le bord du chemin. Je pense que les citoyens ont repris goût aux mots solidarité et fraternité. Les années 80 exaltant la réussite personnelle en écrasant son voisin sont désormais révolues.
Enfin, en guise de conclusion, j’ai apprécié la disponibilité des préfets qui ont joué un rôle de coordination du territoire primordiale pour les collectivités, nous permettant d’agir avec efficience et de disposer de la bonne information, voire nous permettre de faire remonter rapidement du terrain l’application de mesures non adaptées. Le débat sur l’organisation du territoire doit avoir lieu avec la nécessité de maintenir ce lien de proximité et de supprimer tous les échelons institutionnels qui complexifient le paysage administratif français.
Par contre, j’ai été parfois atterrée sur certaines mesures à appliquer qui relevaient de la gestion politique de la crise et non de la nécessité sanitaire. Je pense aux protocoles sanitaires inapplicables dans les écoles, à la condamnation de tous les jeux d’extérieurs, à l’interdiction de se promener dans les bois ou à la fermeture des parcs.
Propos recueillis par Séverine Bellina et Hugues Perinel, Réseau service public