Rémi Delekta : « La crise a révélé un rapport renouvelé à la notion d’urgence »

Publié le 21 janvier 2021 à 9h52 - par

Il y a quelques mois, durant le premier confinement, nous avions interviewé plusieurs acteurs publics pour qu’ils témoignent de leurs actions afin notamment de maintenir une continuité d’activité et protéger les agents. Quel regard portent-ils aujourd’hui sur leurs priorités, leurs inquiétudes ou leurs espoirs ? Entretien cette semaine avec Rémi Delekta, directeur des Ressources Humaines des Hôpitaux de Saint-Lô et Coutances.

Rémi Delekta : « La crise a révélé un rapport renouvelé à la notion d’urgence »

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Solidaire du service public
Covid-19 : des acteurs publics face à la crise sanitaire
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La gestion hospitalière de la crise entre sprint et marathon

Interview de Rémi Delekta, DRH des Centres Hospitaliers de Saint-Lô et Coutances

Rémi Delekta

Au moment où ces lignes sont écrites, nous envisageons la possibilité d’un troisième plan blanc. Une annonce qui ne fait même plus frémir, tant ce type de démarche est devenu banal, comme les rouages d’une série télé dans la saison de trop.
 
En relisant nos mots d’après la première vague, je constate à quel point les crises se suivent et se ressemblent. Dans cette saison 3 de la Covid, nous retrouvons cette formidable capacité des hospitaliers de mobiliser leurs ressources, leur ingéniosité et de s’adapter rapidement à une situation extrêmement contrainte. Pas le temps de tomber dans l’hébétude, dans les indignations : le temps est à l’action dans la durée, plutôt la ré-action. Nous avons cherché des masques, puis des surblouses, à présent nous cherchons des seringues… Nous réorganisions les hôpitaux en 48 heures et installions des unités Covid, à présent nous montons des centres de vaccination dans le même délai. Cette répétitivité des scénarios et leur similarité d’un établissement à l’autre laissent à penser à notre tendance systémique à miser sur la réactivité et à omettre d’adapter les moyens à la dimension des  projets nationaux.

La durabilité de la dépense d’énergie que cette situation exige

Ce qui me préoccupe : la durabilité de la dépense d’énergie que cette situation exige. Au-delà de la crise en elle-même, la propension des autorités publiques de considérer que nous pouvons tenir à la vitesse d’un sprint sur la durée d’un marathon est de plus en plus mal vécue par les hospitaliers. Que cela semble OK de mettre toute notre énergie dans une direction et en changer tous les quarts d’heure, sans sourciller et sans risquer de commettre un impair. À chaque fois que nous testons la résilience des hospitaliers, nous titillons une cocotte-minute tout à fait étanche aux euros du Ségur.

Quand tout sera fini, que restera-t-il de cette énergie ? J’écrivais l’année dernière : « La crise a également révélé un rapport renouvelé à la notion d’urgence et de priorité. Des dossiers que nous estimions très urgents et non reportables… ont été très facilement reportés ». Tellement reportés qu’aujourd’hui ils ont disparu de la table. La tyrannie du quotidien prioritaire rend caduque toute velléité de projection de long terme, sans pour autant apporter la pause qu’on pourrait en espérer.

Sortir de cette tendance systémique à la délégation vers le haut

Mes espoirs : que nous conservions longtemps avec nous cette adaptabilité, non pas seulement pour gérer les crises, mais pour transformer nos organisations de façon fluide au quotidien. Une ré-appropriation par les hospitaliers du principe de subsidiarité, (je fais à mon niveau et ma hiérarchie me donne les manettes pour le faire) et sortir de cette tendance systémique à la délégation vers le haut (je fais à la place de mes subordonnés pour les sauver et fais faire par mon supérieur ce que je pourrais faire moi-même). Le Ségur va dans ce sens sur plusieurs de ses orientations : la simplification du quotidien, la volonté de « dés-irriter » nos professionnels. Et aussi de se décomplexer avec le télétravail et, de manière plus générale, de s’autoriser à travailler ensemble sans se déplacer, ce qui est propice à la coopération entre établissements – et un crédit supplémentaire apporté à l’autonomie et à la confiance.

« Les hospitaliers ont besoin d’un horizon, de perspectives d’avenir auxquelles se raccrocher ». Ceux qui n’en trouvent pas suffisamment quittent l’hôpital ; nombreux sont ceux qui ont pris ce parti ces derniers mois. Je me réjouis de voir que le Ségur vise à rouvrir des places en écoles d’infirmières et d’aides-soignantes. Pour ceux qui restent, et pour les usagers de l’hôpital que nous sommes tous, c’est rassurant de savoir qu’on alimente la relève.

Propos recueillis par Hugues Perinel