La proposition de loi (PPL) Trace (Trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus), après son adoption par le Sénat le 18 mars dernier, devrait – enfin ! – être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale en février 2026. « Nous avions interpellé en octobre dernier le Premier ministre qui n’en avait rien dit dans son discours de politique générale, explique Jean-Baptiste Blanc, sénateur LR co-auteur de la PPL. Un groupe de travail de députés et sénateurs préalable à cette inscription a été confirmé le 4 décembre dernier par Françoise Gatel, ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation ».
« Adapter les enveloppes foncières aux critères locaux »
Rappelons que la PPL Trace propose de supprimer l’objectif national contraignant de « – 50 % d’artificialisation d’ici 2031 » pour le remplacer par un jalon non contraignant en 2034 tenant compte des spécificités territoriales. Chaque région / collectivité locale pourrait ainsi définir sa propre « trajectoire » de réduction de l’artificialisation, avec un rythme et un calendrier adaptés à ses spécificités, tout en ne remettant pas en cause le ZAN à horizon 2050. « Il faut sortir d’une planification non concertée et imposée d’en haut, qui bénéficie aux plus riches – les agglos et les métropoles -, au détriment des territoires ruraux », assure Jean-Baptiste Blanc. Sébastien Gouttebel, vice-président de l’Association des maires ruraux de France, acquiesce : « Les enveloppes foncières doivent être adaptées en fonction de critères locaux (pression foncière, densité de population, évolution démographique) et ne pas punir ceux qui ont été vertueux et sont en avance sur les objectifs ».
La PPL vise également à permettre un minimum de développement, par des exemptions. Ainsi, jusqu’en 2036, certaines implantations ne seraient pas comptabilisées dans l’artificialisation : zones industrielles, installations de production d’énergie renouvelable, logements sociaux dans communes « carencées », lycées, etc (art. 4.3°). Enfin, pour encourager la requalification de friches, une bonification des enveloppes foncières serait octroyée aux collectivités : 0,5 hectare en plus pour 1 ha requalifié (art. 4.1°). Sébastien Gouttebel interroge lui sur « l’absence d’enveloppe dédiée à ce jour de la Direction générale du développement pour réviser les SCOT et PLUI » et sur « le nécessaire temps supplémentaire pour réajuster ces documents, les bureaux d’études dédiés à ce travail n’étant pas si nombreux ». La PPL Trace répond à cette demande en proposant août 2027 (au lieu de 2026 initialement) pour les SCOT et août 2028 (au lieu de 2027) pour les PLU.
Jean-Baptiste Blanc – et avec lui de nombreux élus ruraux – réclame un droit au projet. À l’AMRF, on réclame même que les projets d’équipements publics liés à la santé et à la jeunesse (centres de santé, crèches, écoles, complexes sportifs, etc…) soient décomptés du ZAN. Voici comment Jean-Baptiste Blanc explique le contrat de sobriété foncière, censé servir le droit au projet : « Si un élu d’une petite ville ou d’un village a un projet (industrie, logements sociaux, énergies renouvelables…), sans avoir le foncier nécessaire, il ouvrira une négociation avec l’État et la région pour obtenir une dérogation. Il n’est pas normal que les Schémas Régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) soient prescriptifs comme aujourd’hui, car cela signifie que les régions absorberont bientôt toutes les compétences (aménagement, eau, urbanisme…) pour le compte de l’État ». Pour lui, la somme des contrats ne nuirait pas à l’atteinte de l’objectif 2050.
« Avec la PPL Trace, il ne resterait plus grand-chose du ZAN »
En face, les députées Sandrine Le Feur et Constance de Pélichy ont déposé le 21 mai dernier à l’Assemblée nationale la PPL Réussir la transition foncière, qui elle maintient l’objectif du – 50 % d’artificialisation d’ici 2031 et du ZAN en 2050. « À force d’alléger les objectifs du ZAN, de multiplier les dérogations, avec la PPL Trace, l’exception deviendrait la règle. Il ne resterait donc plus grand-chose à appliquer au final », assure Sandrine Le Feur. Celle-ci défend toutefois la prolongation du mode de décompte actuel de la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers (ENAF) pour la période 2031-2041, avant le passage à une mesure plus précise et au réel de l’artificialisation des sols. Mais surtout, les deux députées proposent une révision de la fiscalité locale : suppression d’exonérations encourageant l’étalement urbain (taxe sur le foncier bâti pour constructions neuves à l’art. 5 ; taxe d’aménagement à l’art. 6), généralisation de la taxation des friches commerciales (art. 7), majorations des Taxes d’habitation sur les résidences secondaires (THRS) (déjà possibles de 5 à 60 %) ou sur les logements vacants (THLV) (art. 14), renforcement des taxes sur les aménagements très consommateurs d’espaces (art. 6), encouragement fiscal aux réhabilitations (crédit d’impôt pour remise sur le marché des logements vacants par ex. à l’art. 21). Mais pour Sébastien Gouttebel, « en zones tendues, toutes ces exonérations n’auront pas d’effets. Un projet rentable se fera toujours et l’aménageur reportera la fiscalité sur le porteur réel du projet ».
Une longueur d’avance pour Trace
Les sénateurs Hervé Maurey et Jean-Baptiste Blanc ont voulu aussi répondre sur le terrain fiscal et financier. Ils s’apprêtent à sortir un rapport sur la fiscalité du ZAN. Jean-Baptiste Blanc pointe le coût important des mesures accompagnant le ZAN : « Rénover des logements vacants – ndlr : il y en 3,1 millions en France selon l’Insee -, surélever des logements coûtent cher, la renaturation aussi – de 300 à 400 €/m2 -, la requalification de friches aussi, surtout dans un contexte où le foncier constructible, plus rare encore, coûtera plus cher. Il faut donc accompagner les élus territoire par territoire, avec des foncières, des outils fiscaux et financiers ». Avec le sénateur Hervé Maurey, il a déposé des amendements au PLF 2026. Un premier permet un bonus de recettes fiscales pour les terrains constructibles situés en zones déjà urbanisées, par l’augmentation des valeurs locatives cadastrales, l’objectif étant ici d’inciter à construire dans des secteurs urbanisés, plutôt que d’ouvrir de nouveaux secteurs à l’urbanisation. Pour faciliter la reconversion des friches souvent coûteuse (dépollution, démolition), les deux sénateurs ont déposé un autre amendement permettant un taux réduit de TVA pour les opérations réalisées dans ces secteurs.
Alors, laquelle des deux PPL l’emportera ? Trace a une longueur d’avance, puisqu’elle a été adoptée au Sénat et arrive bientôt à l’Assemblée nationale, tandis qu’aucun calendrier n’a été fixé à ce jour pour « Réussir la transition foncière ». Pour l’AMRF, la première a donc « toutes les chances d’être adoptée avant ». Si de nombreuses associations environnementales soutiennent la seconde, la PPL Trace a l’avantage d’être portée par une très large assise de sénateurs (173) de tous bords politiques – tout de même plus à droite et au centre -, quand la PPL « Réussir la transition foncière » a une base plus restreinte (7 signataires) – allant du centre à la gauche -. Mais Trace fera-t-elle aussi consensus à l’Assemblée nationale, très imprévisible… ? Dans tous les cas, les propositions de sa concurrente pourraient y remonter, à coups d’amendements. La bataille aura bien lieu.
Frédéric Ville
