Du ZAN à la Trace
Issu de la loi Climat et résilience votée le 22 août 2021, le ZAN porte un double objectif : l’un, final, qui est d’atteindre d’ici à 2050 l’absence de toute artificialisation nette des sols, où le solde de l’artificialisation et de la renaturation des sols est égal à zéro ; et l’autre, intermédiaire, qui est de diviser par deux le rythme de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) entre 2021 et 2031, par rapport à la décennie précédente.
Mais plus encore, la loi Climat et résilience opère un changement de paradigme. Tandis que la lutte contre l’artificialisation des sols se trouve désormais inscrite parmi les objectifs généraux impartis aux collectivités publiques en application de l’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme, la loi définit l’artificialisation des sols comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage » (art. 192 codifié à l’art. L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme).
De la réduction de l’étalement urbain au renforcement de notre souveraineté alimentaire, l’éventail des enjeux de la lutte contre l’artificialisation est large.
Ambitieux donc, l’objectif n’en est pas moins louable et même consensuel, imposé par le constat qu’environ 24 000 hectares d’ENAF disparaissent chaque année en France. Il reste que sa mise en œuvre, moyennant une déclinaison territoriale de l’objectif de sobriété foncière à travers les documents de planification et d’urbanisme (SRADDET, SDRIF, SAR, PADDUC, SCOT, PLU(i)), conférant ainsi aux élus locaux le rôle de maîtres d’œuvre du ZAN, s’avère plus problématique.
Devant le scepticisme de ces derniers, et alors même que la loi dite ZAN 2 du 20 juillet 2023 entendait déjà faciliter la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation, la proposition de loi Trace fait désormais fi de l’objectif intermédiaire prévu en 2031, modifie les modalités de décompte de l’artificialisation permettant d’atteindre l’objectif en 2050 et reporte (une nouvelle fois) le calendrier de modification des documents de planification et d’urbanisme.
« Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves » écrivait René Char, dont s’est inspiré le sénateur Jean-Baptiste Blanc, co-auteur de la proposition de loi, affichant ainsi une volonté claire de décorseter la loi Climat et résilience.
Il n’en est pas moins vrai que les règles du ZAN n’ont pas été assorties des outils financiers notamment, indispensables à leur mise en application par les collectivités territoriales.
La contre-attaque est venue de l’Assemblée nationale : « 29 mesures afin de faire du ZAN un levier d’innovation, pas une contrainte », une « transformation profonde du cadre fiscal » ou, ainsi résumé par Sandrine Le Feur, comment « protéger la loi ZAN en donnant aux élus locaux les clés indispensables afin d’en faciliter son application dans les territoires ».
Le maintien d’une échéance intermédiaire
Tandis que Mme Constance de Pélichy préconise un décalage à 2034 de l’échéance intermédiaire afin de donner de la souplesse aux élus locaux, excluant ainsi les années 2021 à 2023 du décompte de la consommation d’ENAF sur lesquelles ceux-ci ne peuvent plus agir, Mme Sandrine Le Feur plaide en faveur du maintien de l’échéance intermédiaire à 2031 afin d’éviter les risques d’une plus grande artificialisation.
En revanche, prenant le contre-pied du Sénat, les deux rapporteures s’accordent sur une prolongation jusqu’à 2041 – ou, le cas échéant, 2044 – de la méthode de comptabilisation par consommation d’ENAF, avant le passage à une mesure au réel de l’artificialisation des sols.
Si la première permet d’apprécier les changements de destination ou d’usage des espaces (et non des sols) en distinguant les ENAF des espaces urbanisés, la seconde appréhende, ainsi qu’on l’a vu, l’atteinte portée à la fonctionnalité des sols.
L’article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme définit comme artificialisée « une surface dont les sols sont soit imperméabilisés en raison du bâti ou d’un revêtement, soit stabilisés et compactés, soit constitués de matériaux composites » et comme non artificialisée « une surface soit naturelle, nue ou couverte d’eau, soit végétalisée, constituant un habitat naturel ou utilisé à usage de cultures ».
De nouveaux outils fiscaux entre les mains des élus locaux
D’une part, alors que la fiscalité locale est souvent conçue pour favoriser l’artificialisation, les rapporteures proposent de supprimer les exonérations fiscales incitant à une telle artificialisation : ainsi en va-t-il de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les constructions nouvelles, ou encore de l’exonération de taxe d’aménagement concernant les constructions nouvelles bénéficiant d’un prêt à taux zéro, mais aussi les premiers mètres carrés des résidences principales (100 à 50 premiers m2), et les entrepôts, hangars et parcs de stationnement couverts.
Par ailleurs, le rapport préconise d’augmenter le produit de la taxe d’aménagement sur les aménagements consommateurs d’espace (piscines, places de stationnement, terrasses extérieures, etc.), en doublant le taux maximal de droit commun (de 5 à 10 %) et en déterminant un taux spécifique pouvant aller jusqu’à 50 % dans les secteurs ouverts à l’urbanisation sur les ENAF.
Une autre proposition consiste à généraliser sur l’ensemble du territoire l’application de la taxe sur les friches commerciales – ainsi que sur les friches industrielles – et d’augmenter le taux maximal applicables aux locaux laissés inoccupés depuis au moins deux ans afin de combattre l’attentisme foncier et ainsi favoriser les opérations de recyclage indispensables à la sobriété foncière.
Les rapporteures estiment également que la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) représente un levier fiscal important pour amener l’aménagement commercial vers davantage de sobriété. Elles proposent ainsi d’élargir son assiette aux entrepôts logistiques et aux aires de stationnement des grandes surfaces, actuellement insuffisamment pris en compte alors même qu’ils constituent de très gros consommateurs d’ENAF.
D’autre part, dans une logique inverse, le rapport incite à récompenser par la fiscalité l’effort de préservation des sols, par le renforcement des exonérations de taxe foncière sur l’ensemble des ENAF.
Aussi, les rapporteures préconisent-elles d’exonérer de taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) les terres agricoles lors de la signature d’un bail rural à clauses environnementales (BRE) ou à un contrat d’obligations réelles environnementales (ORE), de diminuer la TFPNB pour les propriétaires de terrains agricoles ou encore de diminuer la taxation applicable sur les revenus issus du fermage afin de préserver les cultures.
Toujours dans le but de décourager la transformation d’ENAF en zones immobilières, le rapport propose une modernisation des taxes sur les plus-values des terrains devenus constructibles en rendant le dispositif plus performant et dissuasif (suppression des exonérations liées à la durée de détention, application dès que la plus-value dépasse deux fois le prix d’acquisition et taux porté à 60 %).
Les recettes ainsi générées pourraient alors être affectées aux établissements publics fonciers (EPF), lesquels accompagnent les collectivités en favorisant l’optimisation de leur foncier et le recyclage urbain, en particulier par la requalification de friches. Les rapporteures entendent ainsi renforcer la place de ces derniers, qui jouent un rôle central dans la mise en œuvre des objectifs du ZAN.
Autre signal fiscal fort : la fusion de la taxe sur les logements vacants (TLV) et de la taxe d’habitation sur les logements vacants (THLV), assortie d’une majoration, ciblant en particulier les multipropriétaires, afin d’encourager la réhabilitation de l’existant et la mise sur le marché des logements vacants ou sous-utilisés.
Afin de récompenser directement et de manière incitative les communes exemplaires en matière de lutte contre l’artificialisation, la création d’une dotation complémentaire spécifique au sein de la dotation globale de fonctionnement (DGF) est également proposée, ainsi qu’une bonification explicite des dotations d’investissements (fonds vert, DETR, DSIL) pour les projets sobres en foncier.
Mais aussi juridiques
À côté du nouveau droit de préemption urbain introduit par la loi du 20 juillet 2023 (art. L. 211-1-1 du Code de l’urbanisme), il est question de créer un droit de préemption spécifique aux ENAF, permettant aux maires de bloquer certaines transactions jugées incompatibles avec le ZAN.
Il est également proposé de généraliser le sursis à statuer pour les collectivités territoriales sur toute demande d’autorisation d’urbanisme entraînant une consommation d’ENAF qui pourrait compromettre l’atteinte des objectifs de sobriété foncière fixés par les documents d’urbanisme en cours de révision. Contrairement au dispositif introduit dans la loi Climat et résilience qui ne s’applique que pour la première tranche de dix années, les rapporteures suggèrent de pérenniser ce dispositif et de mieux l’articuler avec les droits de préemption existants en allongeant d’une année la durée du sursis à statuer.
Les deux rapporteures proposent de réduire à dix ans au lieu de trente, le délai nécessaire afin de proclamer un bien issu d’une succession sans maître et de créer un crédit d’impôt en faveur de la réhabilitation et de la remise en état sur le marché de logements vacants.
L’atteinte des objectifs du ZAN passe en outre par une flexibilisation des règles d’urbanisme afin de favoriser la densification, se traduisant par l’interdiction d’une densité maximale et un élargissement des dérogations aux règles d’urbanisme (hauteur, gabarit, enveloppe…) pour favoriser la reconversion des friches et les constructions situées dans des communes confrontées à une pénurie de logements.
Le rapport insiste enfin sur la pertinence d’une offre nationale d’accompagnement en ingénierie des collectivités territoriales pilotée par l’Ademe, et moyennant des « conventions spécifiques de financement avec les acteurs clés de l’ingénierie locale (CAUE, ATD et agences d’urbanisme) ». Déjà expérimenté, ce parcours d’accompagnement vers une politique de sobriété foncière pourrait être réalisé dès 2025 dans plusieurs régions pilotes, avant d’être élargi à l’échelle nationale en 2026, à travers le fonds vert, précise le rapport.
Et maintenant ?
Tandis qu’est en cours, au Sénat, une mission d’inspection sur la fiscalité du ZAN, sur laquelle « il serait judicieux de prévoir de s’appuyer […] pour enrichir le texte qui émanera du Parlement » après l’adoption de la proposition de loi Trace, a déjà annoncé le ministre de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation, François Rebsamen, les deux députées prévoient de déposer une nouvelle proposition de loi : « Notre rapport trace un chemin, à nous de le faire aboutir, le cas échéant, de manière législative », a conclu Constance de Pélichy.
Julie Gueutier, Avocat, HMS Avocats