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Dix ans après la loi NOTRe : quel bilan pour l’intercommunalité ?

Publié le 22 juillet 2025 à 14h10 - par

Adoptée le 7 août 2015, la loi n° 2015-991 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe a profondément transformé l’organisation des collectivités locales en France. Elle visait à clarifier les compétences, renforcer l’échelon régional et professionnaliser l’intercommunalité. Le point.

Dix ans après la loi NOTRe : quel bilan pour l'intercommunalité ?
© Par Vitalii Vodolazskyi - stock.adobe.com

Les articles 33 à 97, qui structurent le cœur de la réforme intercommunale, ont redéfini les périmètres, les compétences, la gouvernance et les relations entre les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) et leurs communes membres. Dix ans plus tard, le bilan est à la fois structurant et contrasté.

1. Une carte intercommunale rationalisée mais contestée

La réforme de 2015 a d’abord voulu mettre fin à l’émiettement des structures intercommunales. La loi a relevé à 15 000 habitants le seuil démographique minimal pour créer un EPCI à fiscalité propre, sauf exceptions (zones de montagne ou faiblement peuplées). Cette disposition a enclenché un vaste processus de fusions intercommunales, piloté par les préfets dans le cadre des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) arrêtés fin 2016. D’après les données de la DGCL, le nombre d’EPCI à fiscalité propre est passé de 2 062 en 2015 à 1 256 en 2023, avec une couverture intégrale du territoire national1.

Toutefois, cette rationalisation a souvent été perçue comme technocratique. Le rapport sénatorial n° 675 note que plus de 60 % des élus ruraux estiment leur périmètre intercommunal peu pertinent, en raison de fusions « artificielles » ou précipitées. L’intercommunalité y est vécue comme un instrument d’éloignement de la décision publique2.

2. Une montée en compétences inégalement réussie

La loi NOTRe a aussi voulu renforcer les compétences des EPCI à fiscalité propre, en élargissant leur champ d’intervention selon leur catégorie (communauté de communes, d’agglomération, urbaine, métropole). Ainsi, les articles 64 à 68 ont rendu obligatoires les compétences suivantes :

  • Développement économique : création et gestion de zones d’activités, actions en faveur de l’emploi et de l’innovation ;
  • Aménagement de l’espace et urbanisme : transfert du plan local d’urbanisme intercommunal PLUi, sauf minorité de blocage ;
  • Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) : compétence obligatoire depuis le 1er janvier 2018.
  • Assainissement et eau potable : transfert différé au 1er janvier 2026

Si la logique d’intégration est globalement respectée dans les métropoles et les grandes agglomérations, le transfert de compétences demeure incomplet en milieu rural. Selon une étude INRAE–ANCT de 2023, seules 42 % des communautés de communes avaient anticipé le transfert de l’eau et de l’assainissement en 2023, souvent faute d’ingénierie et de moyens3.

3. La rationalisation des syndicats : un objectif encore lointain

La loi NOTRe entendait également simplifier la carte des syndicats intercommunaux (SIVU, SIVOM, syndicats mixtes), en évitant les doublons avec les EPCI à fiscalité propre. Elle a confié aux préfets le soin de dissoudre ou réorganiser ces syndicats, sauf exception motivée.

Dans les faits, le nombre de syndicats est passé de 13 600 en 2013 à environ 9 800 en 20224. Le mouvement est réel, mais freiné par les habitudes locales, la résistance des élus et la complexité des transferts de gestion, notamment dans les secteurs techniques comme l’eau, l’électricité ou les déchets.

4. Une gouvernance plus intégrée, mais peu lisible

La loi a encadré la composition des conseils communautaires : représentation proportionnelle à la population, avec au moins un siège par commune. Des accords locaux sont possibles, dans les limites fixées par la loi. Des conférences intercommunales des maires sont prévues pour garantir un dialogue de proximité.

Mais en pratique, la gouvernance intercommunale reste complexe et souvent opaque pour les citoyens. Le CESE a souligné en 2022 que 70 % des habitants ignorent le nom ou les compétences de leur intercommunalité5. Le débat sur une élection directe des conseillers communautaires refait surface, notamment pour donner plus de lisibilité démocratique aux projets intercommunaux.

Dix ans après sa promulgation, la loi NOTRe a profondément transformé l’intercommunalité française avec des EPCI plus grands, plus puissants, mieux structurés, une montée en compétences réelles dans les domaines stratégiques et un socle juridique clarifié entre communes et intercommunalités. Toutefois, la loi NOTRe a aussi généré des recompositions vécues comme imposées, des transferts de compétences parfois mal préparés et une légitimité démocratique insuffisante, notamment en milieu rural.

Dominique Volut, Avocat-Médiateur au barreau de Paris, Docteur en droit public


1. DGCL, Chiffres clés de l’intercommunalité 2023.

2. Sénat, Rapport d’information n° 675 (2023-2024), « 10 ans de NOTRe raquo;.

3. INRAE / ANCT, Évaluation des effets de la réforme NOTRe sur les intercommunalités rurales, 2023.

4. DGCL, Chiffres clés de l’intercommunalité 2023.

5. CESE, Avis du 10 mai 2022 sur la démocratie intercommunale.

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