Dématérialisation et professionnalisation de l’achat public, deux notions étroitement liées

Publié le 5 novembre 2018 à 15h21 - par

Depuis le 1er octobre 2018, les marchés publics égaux ou supérieurs à 25 000 € HT doivent être passés par voie dématérialisée.

Dématérialisation des marchés publics

Pour les entreprises, les obligations relatives à la transmission des candidatures et des offres par voie électronique trouvent leurs sources dans l’article 41 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics. Cet article dispose que « toutes les communications et tous les échanges d’informations sont effectués par des moyens de communication électronique lorsqu’une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence envoyé à la publication à compter du 1er avril 2017 pour les centrales d’achat et du 1er octobre 2018 pour les autres acheteurs ». Concrètement cela recouvre la mise à disposition des documents de consultation, la transmission des candidatures et des offres, tous les échanges avec les entreprises (questions/réponses) et les notifications des décisions. Les marchés de défense ou de sécurité ne font pas partie du périmètre.

Si la réglementation a enfin clos de nombreux débats initiés il y a plusieurs années, les premières semaines d’application sont riches d’enseignements. Ainsi, les premiers retours d’expérience des établissements publics confirment les points de vigilance identifiés notamment par les établissements publics engagés de longue date dans la dématérialisation de leurs marchés comme l’UGAP, imposant ce processus pour tous ses marchés depuis le 1er janvier 2014. Cet article vise à les résumer.

La nécessité d’imposer rapidement la dématérialisation de tous ses marchés publics

En effet, les marchés publics mentionnés à l’article 30 du décret de mars 2016 et répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure aux seuils de procédure formalisée ne sont pas soumis à cette obligation. Toutefois, il est quasi-impossible d’opérer dans le temps tant pour les acheteurs publics que pour les entreprises deux processus distincts en matière de marchés publics. L’UGAP a connu cette période entre 2012 et 2014 dans son imposition progressive de la dématérialisation. Double processus, maintien des collaborateurs en terme de formation, mélange du papier et de la dématérialisation, gestion de deux archivages, exécution tantôt électronique tantôt papier. Des risques importants pour l’ensemble des acteurs. En un mot, il est conseillé de généraliser rapidement votre processus lié à la dématérialisation à l’ensemble de vos procédures quelles qu’elles soient.

Les aléas relatifs aux profils acheteurs

Le profil acheteur est une plateforme conçue pour effectuer en ligne l’ensemble des actions relevant des procédures de marchés publics. Elle garantit la sécurité et l’intégralité des échanges par horodatage et permet une traçabilité des échanges.

La qualité et la performance de cette plateforme sont devenues des éléments stratégiques d’une organisation achats. Les dysfonctionnements bien que peu nombreux engendrent des risques majeurs. La plupart des référés précontractuels en lien avec la dématérialisation mettent aujourd’hui en cause le profil acheteur. Au-delà de choisir un profil « officiel », il est conseillé de nommer au sein de son organisation achats deux personnes parfaitement formées à cet outil et en lien direct avec des représentants de l’entreprise/établissement en charge de la plateforme. Ces référents internes assureront ainsi la formation des collaborateurs (achat, juriste…), l’accompagnement des candidats mais surtout assureront le maintien en compétences de l’ensemble des acteurs.

Il est également fortement recommandé d’utiliser un profil acheteur existant et reconnu. L’idée de développer et maintenir son propre profil acheteur est à proscrire.

Les problématiques liées aux systèmes d’exploitation et aux formats de fichiers

Si le papier pouvait prétendre être universel, ce n’est bien sûr pas le cas de l’informatique. Ainsi quelques difficultés ont pu être rencontrées ici ou là en matière d’ouverture et lecture de fichiers ou d’utilisation de systèmes d’exploitation.

L’acheteur doit ainsi choisir des formats de fichiers courants et largement disponibles pour constituer le dossier de consultation des entreprises (DCE). L’acheteur indique dans le RC les formats qu’il peut accepter. L’entreprise respecte les prescriptions de l’acheteur figurant dans le RC. Si la liberté lui en est laissée, elle utilise un format de fichiers courant et largement disponible. Toutefois, au regard des trois grands principes de la commande publique, aucune obligation qui pourrait être de nature discriminatoire, ne doit figurer dans le règlement de la consultation ou les documents de la consultation. Le pouvoir adjudicateur ne peut donc pas, a priori, imposer un format unique à l’opérateur économique ou même un système d’exploitation : cela pourrait constituer une entrave disproportionnée, non justifiée et contraire à l’intérêt de l’acheteur qui limiterait ainsi fortement la concurrence.

Les précautions à prendre dans les échanges électroniques

Depuis le 1er octobre et ce pour toutes les procédures publiées après cette date (entrant dans le champ réglementaire), tous les échanges entre l’acheteur public et les candidats doivent donc se faire via le profil acheteur. Le courrier et l’e-mail disparaissent donc au profit d’un système plus transparent et plus sûr garantissant traçabilité et authenticité. Cependant quel que soit le média, il est important d’assurer avant tout la qualité et la pertinence du DCE au risque d’être submergé par des questions.

L’expérience nous amène à rappeler aux candidats que les questions posées doivent être opportunes et précises. Il ne sert à rien de « submerger » l’acheteur public de questions plus ou moins justifiées dans l’espoir de lui faire repousser la date limite de dépôt des offres ! Elle nous éclaire aussi sur le fait que les acheteurs sont amenés à la plus grande rigueur lors de la notification notamment des rejets ou des contrats. En effet, tout envoi de cette typologie de pièce au mauvais destinataire serait plus que préjudiciable. Nous le savons au quotidien, un message est si vite envoyé.

La signature électronique un sujet encore et toujours d’actualité

La « célèbre » signature électronique, dernière montagne à surmonter, avant de parler définitivement de digitalisation des procédures de marchés publics, demeure d’actualité. Tout d’abord parce qu’elle n’est pas encore obligatoire. Elle le sera en 2020 bien qu’il est à noter que de nombreux acheteurs l’exigent et à juste titre dès aujourd’hui. C’est le cas notamment de l’UGAP depuis le 1er janvier 2014. Pour rappel, la signature électronique est l’équivalence de la signature manuscrite au sens du Code Civil. Elle garantit l’identité du signataire et l’intégrité du document. Valide de un à trois ans, son prix varie selon les prestataires entre 100 et 250 euros et s’obtient dans des délais très courts de l’ordre de 48 à 72 heures. Ce dispositif « personnel » concerne aussi bien le fournisseur que le pouvoir adjudicateur. Les freins qui subsistent tendent moins aux entreprises elles-mêmes qui de toute façon devront bien signer à un moment le contrat qu’aux pouvoirs adjudicateurs qui pour certains ont pris ce sujet tardivement.

L’achat du certificat n’est en rien un sujet. L’intégration de la signature électronique dans un processus digitalisé, la conduite du changement à mener et surtout la question immédiatement posée du parapheur électronique sont les points de difficultés constatés.

Dématérialisation et contentieux, risques ou pas ?

Il est encore trop tôt pour exprimer un avis tranché sur ce sujet. Toutefois au regard de l’émergence récente d’offres de formation sur le contentieux de la dématérialisation des marchés publics, la nomination au sein de centrales d’achat de juristes référents ou encore des enjeux économiques croissants liés aux procédures de marchés publics (mutualisation accélérée), nul doute qu’un certain nombre de référés précontractuels incluront des requêtes en ce sens.

En effet, s’il est difficile de remettre en cause un choix sur les critères et les pondérations, toute fragilité ou dysfonctionnement au sein du processus achat demeure un levier pertinent de recours (dysfonctionnements du profil acheteur, problèmes d’ouvertures de fichiers, erreurs dans les échanges…). De manière générale, il est probable que le doute, lorsqu’il est avéré, profite davantage au candidat qu’à l’acheteur public. Ainsi et plus que jamais les acheteurs publics dans ce nouveau contexte sont appelés à la plus grande vigilance et prudence notamment lors d’élimination de candidats. Les entreprises quant à elles sont invitées à systématiser la copie de sauvegarde.

En conclusion

Les différents points évoqués au sein de cet article et relatifs pour la plupart d’entre eux à la technologie seront à court ou moyen termes derrière nous. De manière plus préoccupante, il peut être constaté ici ou là des pratiques à la limite voir en-deça des textes réglementaires. Ces dérives, qui certes n’induisent pas encore de recours significatifs à ce jour, témoignent néanmoins d’une forme encore présente de rejet de la dématérialisation des marchés publics ou à minima d’absence réelle de prise en compte des enjeux associés ; des enjeux (notamment économiques) bien supérieurs au seul sujet de la contrainte réglementaire.

Ainsi, l’absence de décisions au plus haut niveau en matière de profil acheteur, de certificats de signature électronique, d’acquisitions software ou hardware indispensables, de formation des collaborateurs ou de processus revus en profondeur, indique soit une absence de volonté soit de manière plus vraisemblable une dimension achat rendant difficile un véritable retour sur investissement.

La question de l’intérêt de la dématérialisation des marchés publics est ainsi désormais derrière nous tant pour des raisons réglementaires que pour des raisons objectives d’apports indéniables à l’efficience de la commande publique.

Ainsi les organisations achats les plus mâtures ont-elles mis en place sur ce sujet une véritable « task force » composée d’une équipe dédiée : chef de projet, juriste dédié à la dématérialisation, chargé de mission RGPD, archiviste « digital », référent technique DSI… Un passage obligé tant les enjeux sont majeurs. Un passage obligé conduisant inéluctablement à la mutualisation de l’achat public !

Sébastien Taupiac,
Directeur Santé à l’UGAP


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