Mutualisation de l’achat public et nouveaux enjeux de la commande publique européenne : quel modèle adopter pour les centrales d’achats ?

Publié le 5 janvier 2018 à 9h45 - par

S’interroger en ce début d’année 2018 sur ce sujet c’est avant tout s’interroger sur la pertinence et pérennité du modèle de centralisation des achats couramment rencontré en Europe et choisi par toutes les centrales d’achat qui fleurissent actuellement en France, celui de la centrale d’achat dite « intermédiaire » ou plus couramment connu sous le terme de centrale mettant à disposition de ses bénéficiaires des cadres contractuels.

Mutualisation de l’achat public et nouveaux enjeux de la commande publique européenne : quel modèle adopter pour les centrales d’achats ?

En effet si la concentration de l’achat public semble acquise, la question cruciale de la pertinence, de la performance et de la valeur ajoutée apportée par les centrales d’achat en Europe doit être posée au regard des 2 000 Mds € que représente la commande publique de l’ensemble des États-Membres ; 200 Mds € pour la France.

Choisi pour sa simplicité de mise en œuvre, ce modèle dit « intermédiaire » suscite ainsi, depuis plusieurs mois, de nombreuses interrogations quant à sa véritable capacité à répondre aux nouveaux enjeux juridiques, économiques et politiques de la commande publique.

En effet, le rappel par l’Union Européenne et la DAJ (en France) du caractère « fermé » de ces centrales (cf. Fiche technique de la DAJ – août 2016 – La coordination des achats) et plus récemment la saisie par le Conseil d’État Italien de la CJCE sur l’obligation, en sus de lister les bénéficiaires des accords-cadres, d’exposer à cette occasion aux amonts industriels le montant exact de leurs besoins, sont désormais de nature à interpeller juridiquement et économiquement les opérateurs de la mutualisation, les acheteurs et les entreprises.

Ce contexte contraint, rappelant celui du groupement de commandes, associé aux nouveaux enjeux économiques et politiques au sein de l’Union européenne et en France, a ainsi d’ores et déjà amené un opérateur français et certains en Europe à s’interroger voir à engager une évolution vers un dispositif de centrale d’achat « grossiste », modèle historique d’une des plus anciennes centrales d’achat en Europe : l’UGAP.

Une Europe volontariste en matière de centralisation de son achat public

L’Islande (Rikiskaup), l’Allemagne (Beschaffunggsamt) et la France (UGAP) disposent depuis plusieurs décennies de structures d’achat public mutualisées. La mise en place de centrales d’achat au sein des autres états membres est plus récente et date des années 2000 (Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Grande-Bretagne, Italie) voir des années 2010 (Bulgarie, Croatie, Espagne, Irlande, Norvège, Portugal, Slovénie, Suède). Ces structures sont, pour la très grande majorité, des agences, établissements ou services ministériels de l’État et ont atteint sous une impulsion politique forte une place prépondérante au sein de la commande publique de leur pays.

La France quant à elle, et malgré la présence historique de l’UGAP, n’a que très récemment identifié le potentiel de ces organisations. Elle dispose en effet d’un achat public historiquement très éclaté : 132 653 autorités contractantes contre 30 000 en Allemagne et en Italie, 7 500 aux Pays-Bas et 3 700 en Suède par exemple, situation peu propice il est vrai à la centralisation !

Centrale d’achat intermédiaire ou grossiste, que dit le droit ?

L’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 définit en son article 26, qu’une centrale d’achat est un acheteur qui a pour objet d’exercer des activités d’achat centralisée qui sont soit l’acquisition de fournitures ou de services destinés à des acheteurs, soit la passation des marchés publics de travaux, de fournitures ou de services destinés à des acheteurs

Il est ainsi important de distinguer :

D’une part, les centrales d’achat dites « grossistes » qui opèrent une mission d’achat pour revente, en exécutant les marchés qu’elles signent et notifient.

D’autre part, les autres centrales d’achat, dites « intermédiaires » qui mettent à disposition des acheteurs publics des cadres contractuels qu’il leur revient de signer, notifier et exécuter.

C’est ce dernier modèle qui a été massivement choisi en Europe, non pas obligatoirement pour son efficience, mais par sa facilité de mise en œuvre, son faible coût de mise en œuvre et de gestion et son « apparente » souplesse juridique. Le choix d’un périmètre de produits et services standard et l’obligation de recours (courante au sein de nombreux états membres) lui ont permis de rapidement se développer mais également d’atteindre rapidement ses limites.

« Telle une maison construite sur des fondations « incertaines » et trop « rigides », la centrale d’achat intermédiaire est mise à mal par un vent de nouveaux enjeux juridiques, économiques et politiques et surtout par un locataire (acheteur public) de plus en plus exigeant vis-à-vis de son propriétaire ! »

L’achat public, un outil plus professionnel devant se mettre au service du développement économique européen

L’union européenne posait ainsi le 3 octobre 2017, lors de la publication de recommandations, des attentes fortes visant à une plus grande efficience économique (coût complet), une modernisation et digitalisation accélérée, la mise en œuvre d’innovations dans un cadre juridique indiscutable, au portage de politique publique en matière sociétale et environnementale et à la mise en place d’outils de pilotage professionnels et permettant une approche nationale et européenne en matière de data.

Des attentes nécessitant la réalisation et le suivi par l’opérateur d’achat des phases de sourcing, de passation mais également d’exécution.

Si la mutualisation des achats a depuis longtemps été pensée par des acheteurs pour des acheteurs, l’Union européenne rappelle que celle-ci ne peut plus se faire au détriment des entreprises, des PME et de leur développement économique. Un achat responsable plus exigeant vis-à-vis des opérateurs de mutualisation et légitimant davantage le modèle de la centrale d’achat « grossiste », seul modèle garantissant aux opérateurs économiques, la centralisation des commandes, des factures et des paiements et plus globalement une optimisation de leurs coûts administratifs, commerciaux et marketing et surtout financiers, tel que précisé au sein du schéma ci-après.

Rendre moins coûteuse la commande publique aux entreprises, c’est réinjecter des milliards d’euros dans l’économie européenne !

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Les limites atteintes par la seule massification et la dispense de publicité et de mises en concurrence !

Le recours aux centrales d’achat a souvent été guidé en Europe par la recherche de prix issus de la massification des volumes et par la dispense de publicité et de mise en concurrence. Ces arguments sont aujourd’hui devenus insuffisants pour un acheteur contraint à une approche juridique, économique et politique de ses achats. De nombreuses questions sont ainsi posées.

Quel acheteur serait prêt à acquérir des produits ou des services plus innovants, plus disruptifs, plus complexes en sachant qu’il devra exécuter un contrat et appliquer des clauses alors conçues souvent sans lui ou en dépit de ses spécificités ?

Quel acheteur est prêt à intégrer ses besoins (qualitatifs et quantitatifs) au sein d’une procédure d’accord-cadre et à s’engager à acquérir un bien ou un service dont il ne connaît ni le contenu, ni le prix, ni le coût d’exploitation, ni les conditions de financement ?

Comment être assuré au sein de procédures regroupant des acheteurs différents du parfait portage d’attentes légitimes en matière d’insertion sociale ou d’exigences environnementales ?

Autant de questions à se poser avant d’externaliser tout ou partie de ses achats auprès d’une centrale d’achat !

In fine, un acheteur public qui ne veut plus et ne peut plus faire un chèque en blanc !

La centrale d’achat « intermédiaire » se retrouve ainsi « coincée » entre le dispositif du groupement de commandes parfois rigide mais « à taille humaine » et le modèle de la centrale d’achat grossiste, plus souple, plus simple en termes de recours mais plus exigeant en matière de système d’information, de coûts, d’expertise et d’engagement juridique. Un modèle plus coûteux mais qui désormais compense ce coût par des gains achats basés davantage sur les économies générées chez les fournisseurs que par la seule massification de volumes.

Ainsi l’établissement d’une convention (conseillée), le partage des tâches complexes entre opérateurs d’achats et bénéficiaires, la répartition des actions encadrées, l’obligation pour le bénéficiaire d’être « partie » au cadre, la responsabilité forte de ce dernier dans la passation et l’exécution du contrat et l’absence de véritables outils de pilotage pourraient in fine conduire les acheteurs à s’écarter des centrales d’achat intermédiaire. L’acheteur public, pilote de sa stratégie, devrait alors s’inscrire dans un recours choisi à la centrale d’achat grossiste, dans la constitution ou participation à des groupements d’achat ou in finé opérer seul certains achats spécifiques.

Ce contexte signe ainsi le retour en force d’un acheteur public de plus en plus professionnel, responsable et naturellement plus exigeant dans l’externalisation de ses achats auprès des centrales d’achats. Ces dernières sont donc amenées à démontrer leur valeur ajoutée et leur pérennité pour s’inscrire davantage comme un outil au service d’une stratégie que comme un recours aléatoire.

Quant au recours fortement incité ou obligatoire à ces structures, il ne doit se concevoir qu’accompagné d’un dispositif d’audit et de labellisation, tel le label RFR (norme ISO 20400).

Ceci vise ainsi à éviter de nouveau un chèque en blanc à ces structures, désormais amenées à démontrer leur réelle performance économique en coût complet (gains achats, gains de passation et gains d’exécution), le caractère responsable de leurs achats et leur parfait portage des politiques publiques nationales et européennes, en garantissant aux pouvoirs publics une parfaite transparence de leur modèle économique, de leur mode de fonctionnement (déontologie, analyse des risques, professionnalisation) et de leur apport indéniable en matière de sécurité juridique.

Sébastien Taupiac,
Directeur Santé à l’UGAP


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