Différenciation territoriale : le Sénat demande une révision de la Constitution

Publié le 5 juin 2024 à 10h20 - par

Seule une révision constitutionnelle permettra de fixer le principe de différenciation territoriale, afin d’autoriser des collectivités de même catégorie à exercer des compétences différentes, estime le Sénat dans un rapport du 23 mai 2024.

Différenciation territoriale : le Sénat demande une révision de la Constitution
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Alors que la loi 3DS du 21 février 2022 devait faciliter la « différenciation entre territoires » et l’adaptation du droit aux spécificités locales (article L. 1111-3-1 du CGCT), une mission flash du Sénat s’est penchée sur la faible traduction du texte dans les faits. Seules trois collectivités ont demandé à bénéficier de la différenciation territoriale (régions Occitanie et Île-de-France, département de la Lozère), en 2022 et en 2023, et n’ont toujours pas obtenu de réponse du gouvernement, précise la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation dans son rapport du 23 mai 2024.

Les rapporteurs recommandent de réviser l’article 72 de la Constitution visant à consacrer le droit à la différenciation, « sans pour autant mettre à mal les principes d’unité et d’indivisibilité de la République ». Ce qui autoriserait des collectivités de même catégorie à exercer des compétences différentes. La loi pourrait confier, par exemple, la médecine scolaire ou l’ensemble de la gestion du réseau routier, national ou départemental, à un département volontaire ou encore la gestion des lycées et collèges à une région volontaire.

Car, bien que la différenciation recueille un large consensus politique, « cette notion se dérobe dans les contours flous du droit et de la jurisprudence ». Certes, avec la loi 3DS, le législateur peut, à droit constitutionnel constant, différencier les règles relatives à l’attribution et à l’exercice des compétences applicables au sein d’une même catégorie de collectivités territoriales, mais c’est à condition qu’elles se trouvent dans des « différences objectives de situation » (ou pour des expérimentations à durée limitée). Or, cette notion est imprécise, et de plus le Conseil constitutionnel interprète le principe d’égalité de façon stricte, ce qui dissuade les collectivités.

Pour le Conseil d’État (avis du 7 décembre 2017), si « les règles d’attribution des compétences et les règles d’exercice des compétences sont, en principe, les mêmes au sein de chaque catégorie de collectivités territoriales de droit commun, communes, départements, régions », il n’en résulte pas pour autant que « les règles applicables aux compétences des collectivités territoriales doivent être identiques pour toutes les collectivités relevant de la même catégorie ». Dans un autre avis, il estime que « les critères de distinction peuvent être démographiques ou tirés du type d’urbanisation de la commune » et que « des critères démographiques, ou sociaux peuvent se combiner avec un critère géographique pour imposer, dans l’exercice de leurs compétences, des obligations particulières à certaines communes et non à d’autres ».

La dévolution de ces compétences aux collectivités pourrait être pérenne, sans que le législateur ne doive justifier d’une différence objective de situation, poursuivent les rapporteurs.

Délai de six mois

C’est ainsi que, les règles et principes constitutionnels n’imposant pas un cadre légal uniforme aux compétences des collectivités territoriales de droit commun, ont pu être adoptées les lois Littoral (3 janvier 1986), Montagne (9 janvier 1985), ou SRU (13 décembre 2000) qui ne s’appliquent pas de façon unique.

Les rapporteurs souhaitent que l’État accompagne les collectivités et participe à la réflexion préparatoire à leur projet de différenciation, en particulier sur la différence objective de situation, ce en amont de toute délibération. La délibération, explicitant la démarche et les motivations de la collectivité, viendrait ensuite.

Les rapporteurs demandent aussi que le gouvernement soit contraint d’apporter une réponse motivée à une demande dans un délai de six mois. Actuellement, une circulaire du Premier ministre du 13 janvier 2023 précise seulement que ce délai doit être « raisonnable ».

Pour les sénateurs, il s’agirait de renforcer l’efficacité de l’action publique locale, et de corriger les inégalités territoriales, mais en aucune façon de créer un droit d’exception, caractérisé par la création de statuts particuliers, accordés à des collectivités qui se verraient reconnaître une autonomie.

Marie Gasnier


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