Licenciement des fonctionnaires pour insuffisance professionnelle : la fin du tabou ?

Publié le 10 avril 2024 à 16h00 - par

À l’occasion du lancement le 9 avril 2024 des discussions sur la nouvelle réforme à venir de la fonction publique, Stanislas Guerini se met d’emblée à dos les organisations syndicales en annonçant vouloir lever « le tabou du licenciement dans la fonction publique ».

Licenciement pour insuffisance professionnelle des fonctionnaires : la fin du tabou ?
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Intégrer une négociation salariale annuelle, rémunérer au mérite, entrer et sortir plus facilement de la fonction publique, réorganiser le système par catégories (A,B,C), uniformiser les modes de recrutement et professionnaliser les concours, constituent pourtant les grandes axes de discussion du projet de réforme de la fonction publique. Mais c’était sans compter sur l’annonce de dernière minute du ministre concernant son souhait de lever le « tabou » du licenciement des fonctionnaires. Et pour illustrer ces propos, Stanislas Guerini relève que seul treize licenciements pour insuffisance professionnelle (onze hommes et deux femmes) ont été prononcés en 2022 dans la fonction publique d’État. Selon lui, il faudrait avoir plus recours dans la fonction publique à ce type de procédure.

Licencier des fonctionnaires : déjà possible, mais peu fréquent

Avertissement, blâme, exclusion temporaire, révocation : l’État, les hôpitaux et les collectivités disposent de nombreux outils pour sanctionner ou se séparer de leurs agents. « Que le ministre se rassure : le licenciement des fonctionnaires n’est pas un tabou et des dispositions existent déjà pour traiter les situations incriminées », a ironisé la CGT Fonction publique (1er syndicat) dans un communiqué publié mercredi 10 avril 2024.

Selon la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), 3 351 mesures disciplinaires ont été prononcées à l’encontre du million et demi de fonctionnaires de l’État en 2022, un total relativement stable depuis cinq ans.

Plus des deux tiers de ces sanctions sont cependant des avertissements ou des blâmes. Un peu plus de 700 exclusions temporaires de fonctions ont été prononcées, la DGAFP recensant par ailleurs 222 révocations, 25 mises à la retraite d’office et 13 licenciements pour insuffisance professionnelle. Ces chiffres plutôt modestes ne valent cependant que pour un gros quart des agents de la fonction publique, qui en compte au total 5,7 millions répartis entre l’État, les collectivités et les hôpitaux.

La précédente réforme de la fonction publique, adoptée en 2019, a en outre introduit un dispositif expérimental de rupture conventionnelle entre l’agent public et son employeur.

Selon une évaluation récente de la Cour des comptes, « l’attrait pour ce dispositif a été rapide : sur la période 2020-2022, 5 300 agents de la fonction publique d’État ont obtenu une rupture conventionnelle et perçu une ISRC (indemnité de rupture) d’un montant moyen de 20 300 euros pour un coût total de 107,6 millions d’euros. »

Dans un document présenté mardi aux syndicats et aux employeurs, le gouvernement assure que 2 808 ruptures ont été conclues en 2021 dans la fonction publique hospitalière.

Enfin, les fonctionnaires peuvent être licenciés pour d’autres motifs que l’insuffisance professionnelle : abandon de poste, refus de poste, inaptitude physique définitive…

Qu’est-ce que l’insuffisance professionnelle d’un fonctionnaire ?

L’insuffisance professionnelle se caractérise par l’inaptitude à exercer les fonctions d’un grade par rapport aux exigences de capacité que l’administration est en droit d’attendre d’un fonctionnaire de ce grade. Contrairement à la faute disciplinaire, aisée à établir, la qualification d’insuffisance professionnelle relève d’une appréciation plus subjective.

L’insuffisance professionnelle ne peut pas être fondée sur l’inaptitude physique ou l’état de santé de l’agent. L’insuffisance professionnelle peut par contre être fondée sur un comportement général dans des relations de travail ou sur une mauvaise organisation du travail.

Un licenciement pour insuffisance professionnelle est régulier alors même que certains des faits exposés dans le rapport fondant la décision de l’autorité hiérarchique ont le caractère de faute disciplinaire dès lors que l’essentiel des faits reprochés relèvent de l’insuffisance professionnelle. Le fonctionnaire, qui fait preuve d’insuffisance professionnelle est, s’il ne peut être reclassé dans un autre emploi, soit admis à faire valoir ses droits à la retraite, soit licencié.

Modalités d’instruction de l’insuffisance professionnelle et possibilités de recours

L’autorité territoriale informe par écrit le fonctionnaire de la procédure engagée contre lui. Elle lui précise les faits qui lui sont reprochés et l’informe de son droit à communication de son dossier et de la possibilité de se faire assister des défenseurs de son choix. Elle doit ensuite saisir le conseil de discipline d’un rapport précisant les faits reprochés. Le conseil de discipline émet un avis qui doit être motivé. L’autorité territoriale n’est pas tenue de suivre cet avis. Le conseil de discipline doit uniquement donner un avis favorable ou défavorable au licenciement de l’agent. La décision prise par l’autorité territoriale doit être motivée. Le fonctionnaire licencié pour insuffisance professionnelle peut présenter un recours auprès du tribunal administratif compétent.

Le fonctionnaire licencié pour insuffisance professionnelle qui ne satisfait pas aux conditions pour être admis à la retraite à jouissance immédiate a droit, sauf cas de faute lourde, à une indemnité de licenciement. L’indemnité est égale aux 3/4 du traitement brut afférent au dernier mois d’activité, multiplié par le nombre d’années de service valables pour la retraite limité à 15 ans. Le calcul est opéré sur la base du traitement en vigueur à la date du licenciement majoré du supplément familial et de l’indemnité de résidence. Le juge administratif contrôle la qualification d’insuffisance professionnelle. Il apprécie en particulier l’existence matérielle des faits et leur qualification juridique, après avoir vérifié que la procédure s’est déroulée régulièrement.

Les organisations syndicales nationales trouvent dommageable d’aborder la nouvelle réforme de la fonction publique en focalisant sur la question du licenciement des fonctionnaires. Elles se demandent pourquoi, par ces propos, le ministre anéantit brutalement les efforts déployés ces derniers mois en faveur de l’attractivité de la fonction publique. Le syndicat CGT a d’ores et déjà déposé des préavis de grève dans les trois branches de la fonction publique courant du 15 avril au 15 septembre et qui couvriront donc la période des Jeux olympiques (26 juillet-11 août) et paralympiques (28 août-8 septembre).

Pour le think tank le Sens du service public « prétendre en 2024 initier une grande réforme de la fonction publique en débutant les discussions avec les partenaires sociaux et dans les médias par le licenciement des fonctionnaires ressemble au pire à une provocation ou au mieux à une minoration des véritables défis de la fonction publique (attractivité, rémunération, représentativité de la société française…) » souligne-t-il dans un communiqué diffusé ce mercredi.


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