Fabien Bottini : “Le droit devient un instrument de la compétitivité de l’économie y compris au niveau local”

Publiée le 2 février 2021 à 13h13 - par

Fabien Bottini, Enseignant-chercheur qualifié aux fonctions de Professeur d'Université et Consultant, analysera régulièrement pour WEKA les politiques publiques en matière d'économie et de développement territorial et recueillera témoignages et retours d'expériences. Entretien.
Fabien Bottini : “Le droit devient un instrument de la compétitivité de l'économie y compris au niveau local”

WEKA : M. Bottini vous êtes devenu spécialiste du droit de l’action publique économique et vous êtes l’auteur d’ouvrages de référence en la matière. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à ce sujet ?

F. Bottini : J’ai commencé à m’y intéresser dans ma thèse de doctorat sur « La protection pénale des décideurs publics ». J’ai alors trouvé particulièrement intéressant la façon dont le droit était en train de réceptionner cette notion de « décideur public » qui jusqu’ici était une notion économique davantage que juridique.

Cette évolution dissimulait une transformation profonde du rôle de l’État et des administrations locales vis-à-vis du marché. Il m’est notamment apparu que derrière le phénomène de pénalisation de la vie politique se cachait la volonté de lutter contre les comportements des autorités politico-administratives de nature à compromettre le bon fonctionnement du marché.

Encore aujourd’hui, le délit de « favoritisme » – prévu et réprimé par l’article 432-14 du Code pénal – vise d’ailleurs à assurer la neutralité de l’action publique dans le domaine économique en dissuadant ou punissant « les atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession ».

Ce qui ne veut pas dire que les autorités publiques n’ont aucun rôle à jouer en matière économique. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il leur revient dans le même temps de contribuer au jeu de l’offre et de la demande, en prenant toutes les mesures qui s’imposent pour entretenir le bon fonctionnement du marché à tous les échelons du millefeuille territorial. C’est la conséquence de la lente construction d’un service public du développement économique mettant en réseau les autorités locales, nationales et même européennes pour faire de l’action publique le levier de la croissance de demain, dans une perspective systémique. Je montre dans mes ouvrages combien les actions concrètes de ce service public sont nombreuses. Il intervient notamment lorsque le paradoxe de la concurrence se réalise et qu’un opérateur privé acquiert une situation monopolistique ou que des pratiques anti-concurrentielles faussent le fonctionnement normal du marché.

À l’échelle locale, de tels phénomènes se rencontrent assez souvent. C’est pour y remédier que les personnes publiques sont elles-mêmes autorisées à constituer des entreprises publiques sous forme d’établissement public industriel ou commercial (EPIC) ou sous forme de société commerciale (SEML, SEMOU, SPL…). En les créant, les autorités territoriales contribuent à la régulation du marché, en réintroduisant de la concurrence là où elle fait défaut. De même, la création de locaux à usage commerciaux par les communes est une façon de faire baisser les prix lorsque les locaux du secteur privé en viennent à être concentrés entre les mains de quelques propriétaires qui se mettent d’accord sur les loyers à pratiquer.

À chaque fois la règle de droit est mobilisée. Le droit devient ainsi un instrument de la compétitivité de l’économie y compris au niveau local. Ce phénomène d’« économicisation » du droit est passionnant à étudier. Il permet de rendre tout leur sens à des réformes en apparence éparses ; mais aussi d’anticiper celles à venir, pour permettre aux territoires de faire preuve de résilience face aux défis qui s’imposent à eux. Il donne une grille d’analyse très opérationnelle, comme j’ai pu le constater en accompagnant certaines collectivités dans le cadre de mon activité de consultant. Cette dernière me permet de redistribuer mes recherches et inversement de les enrichir grâce à ces retours d’expériences. D’où également l’intérêt de cette collaboration qui débute avec WEKA et dont je me réjouis.

WEKA : Le plaisir est partagé. Mais puisque vous parlez d’anticipation, quel est votre regard de spécialiste sur la situation actuelle ? Les collectivités territoriales et leurs groupements sont-ils suffisamment armés pour affronter la crise et ses conséquences ?

La crise sanitaire est bien évidemment avant tout un effroyable drame humain dont personne n’est à l’abri et qui place les élus locaux et leurs agents en première ligne. Mes pensées vont pour cette raison à toutes celles et à tous ceux qui n’hésitent pas, encore aujourd’hui, à se mettre en danger au service de leurs concitoyens, parfois au péril de leur vie.

Mais pour que leur sacrifice ne soit pas vain, il faut voir aussi la crise comme une formidable opportunité. Je doute qu’elle mette un coup d’arrêt aux échanges internationaux et qu’elle nous fasse durablement entrer dans l’ère de la démondialisation. L’action des États du monde entier tend d’ailleurs à tout faire – « quoiqu’il en coûte » – pour permettre aux transactions commerciales de reprendre leur cours normal au plus vite. Mais, dans le même temps, la crise va être l’occasion d’opérer certains ajustements structurels à l’hypermondialisation dans laquelle nous étions entrés depuis les années 1990 à la suite de l’effondrement de l’URSS. Le plus important d’entre eux concerne l’accélération de la transition écologique.

À court terme la priorité reste bien entendu d’amortir la crise économique consubstantielle à la crise sanitaire. Et de ce point de vue, les collectivités font un travail remarquable. Elles ont su faire preuve de réactivité et d’adaptation. J’ai parfois été sollicité par des édiles ruraux qui n’avaient pas conscience de l’étendue des moyens d’action qu’il leur reste en matière économique, malgré le renforcement de la compétence d’attribution des intercommunalités en la matière. Mais une fois sensibilisés à leurs marges de manœuvre, ils ont su s’en servir pour apporter des réponses adaptées au plus près de leurs citoyens. De façon générale, il faut pour ces raisons souligner l’ingéniosité et la capacité d’innovation des territoires qui deviennent parfois un modèle pour l’action de l’État lui-même.

À moyen ou long terme, la crise peut quoiqu’il en soit être également perçue comme une formidable opportunité au regard de la transition écologique, puisqu’elle va catalyser des transformations déjà en cours. L’argent du plan de relance est l’occasion d’aller plus vite et plus loin dans les chantiers à mener, d’autant qu’il est en grande partie « territorialisé ». Mais ce n’est pas le seul levier d’action à la disposition des administrations locales pour adapter l’économie de leur circonscription aux défis du dérèglement climatique. Elles peuvent plus largement l’affronter en redéployant les règles, les outils et des acteurs à l’origine forgés pour assurer le développement économique, afin de faire de l’économie le levier du développement durable de demain.

Aussi paradoxal là encore que cela puisse paraître, l’avenir n’est en effet plus d’opposer économie et écologie mais de concilier les deux, pour faire de la première le ressort de la seconde et réciproquement. Or, j’ai pu là encore constater en accompagnant certaines collectivités du potentiel de leurs moyens d’action au service de cette ambition. La planification, la prospective, l’évaluation, les aides aux entreprises, les subventions, la commande publique… sont autant de techniques qu’elles maîtrisent parfaitement et qui, bien utilisées, peuvent réorienter l’activité de leurs territoires vers les secteurs porteurs de demain, de façon à créer les emplois décarbonés qui pourront dans bien des cas prendre le relai des emplois liés aux hydrocarbures dont on attend le déclin dans les années à venir. Sans attendre la crise, nombre de territoires avaient d’ailleurs commencé à soutenir la création de start up ou à aider les entreprises de l’économie verte présentes sur leur sol à développer une stratégie d’internationalisation pour partir à l’assaut des marchés étrangers. Or, la crise ne va faire que renforcer l’intérêt de leur action en ce sens.

Ces logiques de court, moyen et long termes s’entrecroisent et se complètent. Elles représentent de beaux défis que je me réjouis de pouvoir commenter jour après jour avec vous et lors de la rééditions de mes ouvrages sur ce sujet.

Propos recueillis par Julien Prévotaux

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