“Il arrive que la réglementation puisse être un frein aux initiatives locales”

Publiée le 5 juillet 2023 à 10h10 - par

Entretien avec Frantz Gumbs, Député de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
“Il arrive que la réglementation puisse être un frein aux initiatives locales”

Monsieur le Député, lors de votre campagne électorale, vous vous étiez positionné « en médiateur entre le local et le national ». Que vouliez-vous dire ?

Mon positionnement du moment était plus circonstanciel que relevant d’une pensée politique plus générale. Le député (LR) 2012-17 était devenu président de la Collectivité en 2017. Il a fait élire une alliée de circonstance aux législatives de 2017. Très rapidement, il a adopté une posture d’affrontement systématique avec le Gouvernement. De plus, il avait concentré sur sa personne tous les pouvoirs locaux en réduisant au strict minimum toute concertation avec ses vice-présidents et la députée qu’il avait fait élire. En conséquence, tous ses vice-présidents et « sa députée » ont fait campagne contre lui en 2022. C’est dans ces circonstances que j’ai axé ma campagne sur la recherche d’une relation de partenariat, plus que d’adversité, une relation plus apaisée avec l’État.

Il est vrai par ailleurs que j’ai la chance de faire partie de la majorité territoriale de Saint-Martin en étant moi-même élu, et que j’ai été soutenu par la nouvelle équipe dirigeante de Saint-Barthélemy. À ce titre, il m’est effectivement facile de me poser comme « lobbyiste » des autorités locales, autant auprès des ministères que des responsables régionaux ou nationaux des grandes organisations qui opèrent sur nos territoires.

Il s’avère que plaquer les lois et règlements nationaux sans tenir compte du contexte géographique ou géopolitique et des réalités économiques, sociales ou culturelles, peut être tout à fait contre-productif… Je pense aux particularités en matière d’urbanisme, en matière d’éducation, en matière de santé, en matière de justice, ou en matière de coopération régionale. Un exemple récent : l’interdiction réglementaire qui avait été faite à la partie française d’acheter de l’eau courante en partie hollandaise à un moment où nos équipements étaient en panne. Ainsi donc, il arrive en effet que la réglementation, qui est là pour protéger, puisse être un frein aux initiatives locales.

Parmi les activités motrices pour le développement des territoires que vous représentez se trouvent celles liées au tourisme. Dans le contexte du dérèglement climatique, sera-t-il véritablement possible selon vous, dans le futur, de concilier l’économie touristique avec la contrainte écologique ? Si oui, comment ?

La question n’est pas « sera-t-il possible ? ». En réalité, il faudra bien puisque le tourisme, sous une forme ou une autre restera indispensable. Comment faire ?

L’industrie touristique doit sortir, de gré ou de force, du gaspillage qui la caractérise parfois. Le marketing écologique pourrait attirer une nouvelle clientèle sensibilisée à la question du changement climatique. Certaines îles, telle la Dominique aux Antilles, offrent déjà des services « nature ». Son slogan est d’ailleurs « Dominica, the nature Island ». À côté des hôtels classiques (pourvoyeurs d’emplois) pourraient aussi se développer des gîtes conçus pour être moins énergivores.

Par ailleurs, l’industrie touristique devra s’orienter vers les circuits courts en matière d’approvisionnement alimentaire, ce qui créera des opportunités de développement agricole selon des process qui respectent la nécessité de préservation de l’eau.

Vous avez participé à la Commission d’enquête sur le coût de la vie Outre-mer. Quelles en sont les causes principales et qu’en avez-vous retenu en termes de solutions ?

L’alimentation coûte en moyenne 35 à 40 % de plus en Outre-mer. Les principales causes structurelles identifiées sont liées à l’éloignement par rapport à la France hexagonale, à l’insularité, et à l’exiguïté des marchés. L’exiguïté des marchés a pour conséquences qu’il n’y a pas de place pour la multiplication d’entreprises, limitant ainsi les possibilités de concurrence qui tireraient les prix vers le bas. C’est ainsi que certaines activités (alimentation, internet, voitures, carburant, transport par air et par mer…) sont monopolisées par des oligopoles.

L’autre facteur de coût cher de la vie est lié aux revenus généralement plus bas et la plus grande pauvreté des populations dans les Outre-mer.

L’État apporte des réponses partielles et conjoncturelles à travers des aides ponctuelles et des dispositifs tel le BQP (Bouclier Qualité Prix) ou la péréquation en matière de prix de l’électricité, mais les services de l’État chargés du contrôle des prix et des marges (OPMR) sont inefficaces par manque de moyens.

En réponse au problème de l’exiguïté des marchés, on observe la grande difficulté à prendre en compte les échanges commerciaux dans le bassin géographique environnant. Les Outre-mer sont en effet soumis aux réglementations sanitaires et fiscales françaises ou européennes qui sont autant de barrières souvent infranchissables en vue de l’augmentation de la taille des marchés en incluant les marchés qui permettrait des économies d’échelles. La commission d’enquête rendra son rapport vraisemblablement en juillet.

Vous avez interpellé l’État sur « le traitement inéquitable des petites îles rattachées à des îles plus grandes ». Comment, selon vous, assurer une meilleure répartition des richesses entre les territoires en situation d’insularité ? À plus long terme, comment assurer la solidarité de la métropole avec les îles face aux coûts des transitions, à commencer par la transition écologique ?

L’élément déclencheur de cette interpellation était l’observation qui m’était remontée, que des besoins exprimés sur l’île de Saint-Martin en matière d’intervention de la DRAC (Direction Régionale de l’Action Culturelle) de Guadeloupe étaient mal satisfaits (trop peu de financement et d’engagement de ressources humaines, trop lentement). Ensuite, j’ai cru comprendre que Saint-Barthélemy se plaignait d’un manque de présence de la douane, alors que l’île fait partie de la zone couverte par la  « direction régionale » de Guadeloupe (ou Martinique).

Dans un contexte insulaire (comme aux Antilles), il est normal que les services administratifs régionaux (Préfecture de Région, Académie de Région, Agence Régionale de la Santé, autorités judiciaires…) et aussi les directions régionales des organisations nationales qui opèrent dans les îles (pour l’eau, l’électricité, la téléphonie…) soient situés sur « la grande île », mais il faut prendre en compte les îles éloignées et même les endroits enclavés (isolés). Le service à ce public-là doit être rendu autant que faire se peut.

Il est indéniable que les « petites échelles lointaines » coûtent plus chères que les grandes, mais il ne faut pas négliger la « valeur ajoutée » apportée à la France par ces îles lointaines sur le plan géopolitique, et en termes d’influences internationales, ou en termes de biodiversité et d’opportunité de recherches scientifiques, par exemple. Il faudrait que les budgets incluent les surcoûts induits par le caractère de double insularité et que ces surcoûts soient fléchés pour les endroits concernés.

D’autre part, la plupart des îles dont je parle sont situées en zone volcanique, sismique ou sur le chemin des ouragans. Investir dans des infrastructures résilientes aujourd’hui permettra de diminuer le coût d’une éventuelle reconstruction dans un futur qu’on espère le plus lointain possible.

La culture fait partie des combats dans lesquels vous êtes particulièrement engagés. Quel rôle peut-elle jouer face aux grands défis posés par les transitions ?

Il me semble que les cultures régionales doivent être préservées parce que, en dehors des grandes villes, plutôt cosmopolites, la plupart des gens y tiennent. Ces identités culturelles plus ou moins fortes sont caractérisées entre autres, par leurs langues, leurs danses, leurs gastronomies, leurs musiques, leurs constructions, leurs symboles culturels, leurs croyances spirituelles, etc.

Je pense, par exemple aux particularités de la culture bretonne, d’Alsace, de Corse, des Antilles ou de Mayotte. Faire comme si ces réalités-là n’existaient pas relève d’une forme de mépris qui provoque une opposition de principe aux interdits ou aux obligations venues de Paris. Ces « manières de faire locales » sont en effet parfois incompatibles avec le mode de gouvernance plutôt centralisé qui existe en France. Cette incompatibilité est d’autant plus grande que les  particularités géographiques sont fortes : zone de montagne, environnement fluvial, zone côtière, grandes forêts, plaines marécageuses, pays tempérés ou régions tropicales lointaines et insulaires.

Le système éducatif, dans ses contenus et à travers ses enseignants, doit être contextualisé, les règles d’urbanisme ne peuvent être pareilles partout, le Code de l’environnement doit s’adapter à la géographie. Ces adaptations ne doivent pourtant pas porter atteinte à l’indivisibilité de la République, manifestée par la nationalité, la langue française, les symboles et les grands principes républicains. La traduction nationale du concept de « penser globalement, agir localement ».

Au final, je pense que les petits territoires, notamment insulaires, n’ont pas toujours intérêt à être indépendants, compte tenu des interdépendances fortes avec les grands blocs. Quitter l’un, c’est tomber sous l’influence d’un autre. Il est indispensable par contre de viser la plus grande « moindre dépendance » possible, en matière alimentaire et en matière d’énergie. De ce point de vue les petits pays ont intérêt à se regrouper pour mieux échanger et coopérer.

Ce que j’exprime ici est plutôt de nature empirique. Mes réflexions sont parfois embryonnaires, en tous cas elles ne sont pas toutes abouties. Elles mériteraient d’être davantage développées. C’est tout de même un privilège de pouvoir les exprimer ici. Alors merci.

Propos recueillis par Fabien Bottini, Consultant, Professeur à Le Mans Université, Membre de l’IUF

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