Aude Fournier, DGA-PEPS, Conseil départemental du Nord : « Nous sommes plus que jamais aux côtés des citoyens les plus vulnérables pour éviter une crise dans la crise ! »

Publié le 3 avril 2020 à 9h00 - par

Face à la gestion de la crise sanitaire liée à la propagation du Covid-19, les collectivités doivent se coordonner pour maintenir une continuité d’activité et protéger les agents. Aude Fournier, DGA Partenaire des Évolutions et des Potentiels des Services – DGA-PEPS, au Conseil départemental du Nord, répond à nos questions et nous fait part de son expérience.

Cet article fait partie du dossier :

Covid-19 : des acteurs publics face à la crise sanitaire
Covid-19 : des acteurs publics face à la crise sanitaire
Voir le dossier

Quelles sont les premières urgences que vous avez eues à gérer devant la crise du Coronavirus, eu égard à votre type de collectivité et au territoire ? Quels sont les services publics essentiels que vous maintenez ?

Aude Fournier, DGA-PEPS, Conseil départemental du Nord

Aude Fournier

La DGAPEPS a été désignée pilote du PCA le 5 mars et le PCA a été activé le dimanche 15 au soir par le DGS. Nous partions de presque rien, depuis la pandémie grippale il y a 10 ans, beaucoup de collectivités n’avaient pas retravaillé leur PCA et nous en faisions partie. On a donc du demander à chacun de se projeter dans la crise en quelques heures alors qu’elle n’était pas encore là. L’exercice n’a bien sûr pas été simple mais très vite, la mobilisation a été extraordinaire : en trois jours, nous avons élaboré notre PCA centré sur les activités critiques à maintenir au niveau départemental adossé à une stratégie partagée d’allocation des ressources critiques (informatiques, ressources humaines, logistique, communication).

Face à l’urgence de ce que l’on pressentait déjà, nous avons été pragmatiques : voici nos stocks à cet instant (ordinateurs, téléphones, VPN, licences, gels, masques, listes d’agents disponibles…), comment on s’organise si dans une semaine la crise est là. Et c’est bien ce qui s’est passé !

Nos activités critiques : le social en premier lieu mais aussi les routes départementales, la sécurité de nos bâtiments, dont les collèges en lien avec les décisions de l’État, les aides d’urgence… Dans le social, l’engagement du département du Nord est de conserver une présence physique minimale dans nos unités territoriales de prévention et d’action sociale (45) là où de nombreux services de l’État ont fermé leurs portes. Même si l’accueil inconditionnel de proximité est forcément un peu mis à mal par la situation, dans chaque territoire, une équipe pluridisciplinaire assure une permanence téléphonique sur site et traite les situations urgentes. Imaginez que nous n’avions plus aucun stock de masques, le département a donc dû développer des efforts titanesques pour en acquérir et équiper nos équipes sociales et médico-sociales en priorité : médecins, sages femmes et infirmières de protection maternelle et infantile (PMI), travailleurs sociaux de la permanence de secteur (SSD) et de la protection de l’enfance (ASE).

Les solidarités, ce sont aussi les allocations individuelles : le RSA, l’APA et les prestations liées au handicap (PCH notamment) ; ce sont le financement des Ehpad et des SAAD au bénéfice de nos aînés… Ainsi, nous maintenons tous les droits pendant la crise et des « process bis » permettant de traiter les demandes urgentes ont été élaborés.

Bien sûr, tout ceci ne pourrait se faire sans sauvegarder les fonctions supports : en premier lieu la paie des fonctionnaires, contractuels, vacataires, assistants familiaux (principe du maintien des rémunérations pour tous en mars et en avril à minima), la maintenance de notre système d’information, des applications métiers et des matériels utiles aux agents mobilisés en PCA, le nettoyage renforcé des sites, les livraisons nécessaires, les marchés urgents et commandes utiles au PCA, les processus financiers permettant de débloquer des aides d’urgences (par exemple les allocations mensuelles ASE)… Nous sommes plus que jamais aux côtés des citoyens les plus vulnérables, pour éviter une crise dans la crise !

À ce stade, dans quels domaines considérez-vous que votre organisation était prête à réagir au mieux et ce qu’il faudrait améliorer, voire créer ?

Notre comité de direction générale s’est transformé en cellule de crise décisionnelle dès le 10 mars 2020. Depuis le 6 mars, les syndicats et les agents ont été informés au jour le jour, de la façon la plus transparente possible, sans langue de bois : c’est un engagement fort de la direction générale et de notre président qui s’est exprimé par vidéo aux agents dès le début du confinement.

Notre intranet a été relooké par la communication interne, d’abord pour créer un « COVID wall » puis pour en faire un véritable hub d’informations « confinés mais pas isolés », auquel naturellement la DGAPEPS participe activement en proposant des contenus. Avec 11 000 agents et assistants familiaux répartis à 75 % dans les territoires, loin de Lille, il est fondamental de maintenir un lien.

Un des premiers réflexes du PCA a été de mobiliser la DSI sur le développement des outils numériques permettant discussions instantanées et visioconférences, à la fois sur les PC professionnels mais aussi personnels, de façon à permettre aux managers d’animer leurs équipes et de garder contact : se parler facilement, organiser leurs activités ou simplement organiser des pauses-café virtuelles. En effet, distanciation sociale ne signifie pas oubli ; au contraire même ! Je dirai que nous assistons à un phénomène remarquable de montée en puissance du relationnel au travail : plus de contacts pour motiver et se motiver, plus d’empathie dans une période tendue et incertaine où confiance, réassurance et souplesse doivent être nos maîtres mots.

Une crise est souvent révélatrice, à ce stade, qu’a-t-elle révélé sur vos forces et vos faiblesses ?

Je crois qu’avant tout, elle révèle notre capacité à inventer des systèmes beaucoup plus simples et directs et à recentrer nos actions sur les besoins de l’usager, plus que sur nos propres procédures auto-centrées. En liant avec les axes de mon projet de DGA (écoute, simplification, innovation), j’observe tout cela avec beaucoup d’intérêt : c’est une période difficile mais passionnante où l’on découvre chaque jour des engagements, des compétences, des opportunités parfois insoupçonnées la veille. Elle n’est bien sûr pas exempte de tensions internes, mais une crise si brutale revêt en elle quelque chose de cathartique, en ce qu’elle bouscule presque tout dans une organisation. Elle fait notamment bouger les frontières hiérarchiques et managériales, personnelles et professionnelles, transversales et de métiers, territoriales également dans un grand département comme le nôtre…

Heureusement, nous étions en phase d’expérimentation du télétravail avec quelques 700 télétravailleurs déjà actifs et des managers pour partie sensibilisés, ce qui nous a permis d’embrayer rapidement car nous avions du matériel, des logiciels et des process… Pourtant, passer de 700 à 4 000 « télétravailleurs » en quelques jours, en adressant l’hétérogénéité des pratiques managériales et des compétences numériques, cela reste une gageure qui nous a obligé à sortir du cadre, à inventer, à faire du « test and learn » à grande échelle. Si les ordinateurs et licences étaient rapidement disponibles, les agents et les réseaux (pro comme perso) ont plus de mal à s’adapter aussi rapidement à cette nouvelle donne du télétravail massif et « forcé ». Ce contexte inédit nous permet d’ailleurs d’observer les usages digitaux de nos agents et c’est riche d’enseignement pour l’ancienne DRH que je suis. À force de s’engluer dans la gestion administrative , nous avons tendance à oublier qu’analyser les activités, de façon « clinique » comme dirait Yves Clot, est nécessaire pour appréhender le travail réel par les usages et pour identifier les vrais besoins de nos agents.

Beaucoup de citoyens et d’entreprises prennent conscience de l’importance d’un service public qui allie solidarité et efficacité, quel message souhaiteriez-vous faire passer ?

La solidarité est au cœur de l’action départementale et si la suppression des départements a plusieurs fois été annoncée, force est de constater que cette strate intermédiaire sait faire preuve d’efficacité et de résilience dans l’adversité. C’est en premier lieu grâce à l’engagement de nos agents, qui sont, je le dis souvent, à un niveau d’engagement assez hors norme ! Sans angélisme, bien sûr ils leur arrivent d’être mécontents, frustrés ou démotivés, c’est humain… et je dirai même que plus on est engagé dans son métier, plus haute est l’exigence qu’on place envers son employeur, son « chef » mais aussi envers les résultats et le niveau de service au bénéfice des usagers et de l’intérêt général. Ainsi même s’ils ressentent actuellement de la peur face à la situation sanitaire ou s’ils doivent « faire l’école à la maison », nos agents répondent présents dans le cadre du PCA. Quant aux agents non obligatoirement mobilisés dans cette phase critique, ils sont de plus en plus nombreux à demander de prêter main forte aux collègues du département qui sont sur le pont, mais aussi aux hôpitaux, Ehpad, établissements d’accueil pour enfants…

Cet élan de solidarité est un puissant vecteur d’appropriation d’une culture commune, d’un destin professionnel partagé que nous avons traduit dans un message simple « le département est Là ! » pour les citoyens et en miroir, les agents sont « Là pour le département ». Autrement dit c’est la fameuse symétrie des attentions que je résume par : « prends soin de tes agents, ils prendront soin de tes usagers » en période de crise, c’est encore plus vrai !

Dans l’évaluation de l’expérimentation du télétravail que nous avions lancée juste avant tout ça, des tendances fort intéressantes se dégageaient déjà, notamment sur le rôle du management face aux évolutions du travail. La marche forcée – disons-le que le Covid-19 a enclenchée – sera riche d’enseignements pour accompagner demain le futur du travail et du management dans nos collectivités !

Cette crise montre l’importance de la relation, de l’humain par le manque qu’elle créé dans nos vies. Elle montre aussi toutes les possibilités du numérique et en quoi il nous permet – paradoxalement pour certains – de garder du lien et donc de renforcer notre Humanité. J’espère donc pouvoir générer un effet cliquet qui nous permettra de capitaliser sur les effets positifs (psychologiques comme d’usages) de cette expérience asynchrone afin de mieux accompagner demain les transformations de nos administrations.

Propos recueillis par Hugues Perinel