Fonction publique du XXIe siècle, une association qui regroupe de jeunes agents issus des trois fonctions publiques, a publié début janvier 2025 un livre blanc sur l’intelligence artificielle (IA) : « ChatGPT ne fera pas le café »*. Plusieurs témoins fournissent aux managers publics des clefs pour lancer des projets d’IA. Comme Hubert Beroche, fondateur d’Urban AI, qui rappelle en préambule que « l’IA ne doit jamais se substituer à une réflexion politique profonde. Elle doit rester un outil au service des objectifs collectifs, et non constituer une finalité en soi. Il convient d’identifier les spécificités locales avant d’adopter une approche technologique, dont l’IA n’est qu’un élément ».
Il faut distinguer l’intelligence artificielle algorithmique, qui repose sur le traitement de données, la prédiction et le machine learning, de l’IA générative, capable de créer de nouveaux contenus à partir d’éléments existants : documents, images, tableaux… C’est avec cette dernière que l’administration peut améliorer le travail des agents. Au-delà des craintes que suscite toute nouvelle technologie, l’IA devrait plutôt « déplacer la valeur ajoutée des tâches réalisées par les agents », selon le directeur de la ville intelligente, de la donnée et de l’innovation de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis, 72 000 habitants), Philippe Sajhau. Allégés de certaines tâches répétitives, ils pourront se concentrer davantage sur des missions à haute valeur ajoutée, comme l’accompagnement des citoyens ou la gestion de sujets plus complexes. Ainsi, la communauté d’agglomération de Paris-Saclay (Essonne, 27 communes, 323 618 habitants) simplifie la recherche documentaire des instructeurs de permis de construire. L’IA pioche, dans les textes et documents d’urbanisme, uniquement les informations pertinentes pour l’examen d’une demande de permis. Bilan : les agents ont plus de temps pour accompagner les habitants et les dossiers sont traités plus rapidement.
L’IA peut être utilisée pour préparer des dossiers juridiques ou pour éviter à certains usagers de se déplacer en mairie, en proposant un accueil à l’aide de « chatbots » ou boîtes vocales intelligentes. Là encore, cela libère du temps pour traiter les demandes plus complexes.
Avec l’IA, Noisy-le-Grand optimise la gestion des corbeilles de rue. Objectif : anticiper leur remplissage et déclencher la collecte avant qu’elles ne débordent. Un défi important pour les trois équipes de propreté parfois surchargées de travail, notamment le week-end et lors d’événements. Elles gèrent 1 000 corbeilles réparties dans la ville, dont 20 % situées dans les parcs et jardins, assez éloignées les unes des autres. Équiper chaque corbeille de capteurs aurait été cher et peu écologique, sans compter les difficultés à recueillir les données dans certaines zones au débit internet limité. L’IA permet de modéliser le taux de remplissage de l’ensemble des corbeilles, en plaçant des capteurs sur seulement 20 % d’entre elles. Pour que les taux de remplissage modélisés soient comparables, elles sont regroupées en « clusters » aux caractéristiques similaires selon plus de cinquante critères : distance des habitations, proximité des restaurants…
Travailler sur les données
Ce projet a eu un impact significatif. Il a amélioré les conditions de travail des équipes de voirie, dont les interventions sont plus efficaces, explique Philippe Sajhau. À terme, la commune espère réduire le nombre de sacs ramassés (soit 30 000 sacs plastiques en moins par an). Ce projet a également contribué à moderniser le travail des agents. Ils scannent désormais les corbeilles sur lesquelles est apposé un QR code, et une application numérique indique le taux de remplissage, géolocalise les données et valide la prédiction pour les autres corbeilles. En parallèle, des discussions ont été ouvertes sur la possibilité de remplacer les camions de collecte diesel par de nouveaux véhicules, comme des vélos-cargos décarbonés, ce qui renforcerait indirectement l’impact positif de l’IA sur le métier des agents et sur l’environnement.
Question préalable à la mise en place d’un projet d’IA : la qualité et la quantité de données disponibles. Il faut comprendre notamment quelles données seront pertinentes pour le projet et s’assurer qu’elles sont exploitables. Dans un premier temps, la collectivité peut se concentrer sur celles qui sont Faciles à trouver, Accessibles, Interopérables, Réutilisables (FAIR). Et, si une erreur est détectée sur une donnée, il ne faut pas la corriger, mais remonter à la source et à l’utilisateur pour comprendre ce qu’il s’est passé.
Marie Gasnier
* Une réflexion qui fait suite à une mission diplomatique en décembre 2022 à Québec et Montréal, avec le partenariat de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), de la direction interministérielle du numérique (DiNum) et le soutien du consulat général du Québec.