La mise à disposition gratuite de logiciels est-elle compatible avec le droit de la commande publique?

Publié le 22 mai 2018 à 10h36 - par

En dehors du cadre des logiciels libres, certains opérateurs du secteur informatique offrent gratuitement leurs produits ou leurs services à l’État, alors qu’ils sont payants pour le secteur privé. La contrepartie pour les entreprises est de les imposer au grand public qui aura pris l’habitude de leur utilisation.

La mise à disposition gratuite de logiciels est-elle compatible avec le droit de la commande publique?

Pour tout comprendre

Selon la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, le risque est « démultiplié dans certains secteurs sensibles comme l’éducation où cette fourniture gratuite de produits et services aboutira à former et formater des millions d’enfants à leur usage à un âge où ils auraient au contraire besoin de comprendre qu’il existe une grande diversité de possibilités ». En outre cette pratique, qui a donné lieu à la conclusion de convention par le ministère de l’Éducation nationale, pose la question de sa compatibilité avec les grands principes de la réglementation des marchés publics. Selon le ministre de l’Économie, la conclusion de tels contrats échappe au droit de la commande publique.

Le droit de la commande publique ne s’applique pas à des contrats conclus à titre gratuit

Par définition, un marché public se définit par son objet (achat de fournitures, services, ou travaux) et par son mode rémunération (paiement d’un prix à l’opérateur économique). Face à un contrat qui n’a pas de caractère onéreux, « les contrats conclus à titre gratuit sont exclus du champ d’application des règles de la commande publique ». En conséquence, même si « la mise à disposition à titre gratuit de logiciels payants aux administrations par les grandes entreprises de l’informatique permet à ces dernières d’escompter un avantage indirect eu égard notamment à l’espérance de futurs contrats payants de la part des utilisateurs qui auront été gratuitement habitués à l’usage de leurs outils », le droit de la commande publique ne s’applique pas à ce type de contrats. Cependant, le ministre conseille aux personnes publiques, dans un souci de bonne administration et dans la mesure où de tels contrats peuvent avoir une incidence à terme sur la concurrence, à veiller « à circonscrire l’objet de ces contrats, à en limiter leur durée et, à ne pas octroyer d’exclusivité à l’opérateur économique afin de permettre à d’autres concurrents de bénéficier des gains notamment d’image en résultant ».

Une entreprise peut consentir des libéralités à une personne publique

Le Code civil (article 893) définit une libéralité comme « l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne ». Si la libéralité suppose l’octroi d’un avantage sans contrepartie et interdit aux personnes publiques de consentir des libéralités, il n’existe, en revanche, aucun principe inverse faisant obstacle à ce qu’elles en bénéficient.

En conséquence, l’avantage indirect à l’utilisation par les futurs utilisateurs habitués de l’outil n’est pas assimilable à un abandon de créance par la personne publique. Même critiquable, la conclusion de ce type de convention est légale et échappe aux règles du droit des marchés publics.

Dominique Niay

Texte de référence : Question écrite n° 00604 de Mme Marie-Noëlle Lienemann (Paris – Socialiste et républicain) du 20 juillet 2017, Réponse du ministère de l’Économie et des Finances publiée dans le JO Sénat du 10 mai 2018