Le Conseil d’État considérait, jusqu’à une décision du 27 mai 2020, que seules ont un intérêt à agir et peuvent donc obtenir l’annulation en référé de la décision contestée les entreprises qui, en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence affectant le choix, démontrent avoir été lésées ou risquaient de l’être du fait de cette irrégularité. Désormais, la Haute juridiction permet à une entreprise qui a vu son offre rejetée pour irrégularité d’attaquer la décision d’attribution d’un marché public.
L’offre irrégulière du concurrent évincé ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire
Dans le cadre d’une procédure d’attribution d’un accord-cadre de prestations de nettoyage divisées en lots, un concurrent ayant vu son offre rejetée sur plusieurs lots contestait la régularité des offres de ses concurrents attributaires en soulevant le caractère anormalement bas de leurs offres. Tout d’abord, le Conseil d’État rappelle que la méconnaissance par le pouvoir adjudicateur de l’obligation de suspendre la signature du contrat en référé précontractuel ouvre la voie du recours en référé contractuel. Ensuite, la Haute juridiction opère un revirement en considérant que l’irrégularité de l’offre retenue est un vice pouvant être invoqué par l’auteur du référé dont l’offre est elle-même irrégulière. Ainsi, « la circonstance que l’offre du concurrent évincé, auteur du référé contractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de la société attributaire du contrat en litige ». Tel est notamment le cas « lorsqu’une offre peut être assimilée, par le juge des référés dans le cadre de son office, à une offre irrégulière en raison de son caractère anormalement bas ». Jusqu’à cette décision, le juge administratif considérait qu’une entreprise, dont la candidature était irrecevable ou dont l’offre ne pouvait qu’être éliminée comme inappropriée, irrégulière ou inacceptable, ne pouvait pas avoir été lésée par un choix irrégulier puisque son éviction ne résulte pas de celui-ci.
Une décision conforme à la position du juge européen
Les conclusions du rapporteur public, Gilles Pellissier, éclairent les raisons de ce revirement qui tiennent à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, celle-ci exige que, lorsque la régularité de l’offre de chacun des concurrents est mise en cause dans le cadre d’une même procédure et pour des motifs de nature identique, chacun des concurrents puisse exercer son droit au recours (CJUE, 4 juillet 2013, Aff.C-100/12). Ce n’est que si l’entreprise évincée conteste l’irrégularité de l’offre de l’attributaire, après que son éviction a acquis un caractère définitif du fait d’un jugement, que cette irrecevabilité peut lui être opposée (CJUE, 21 décembre 2016, Aff.C-355/15).
Texte de référence : Conseil d’État, 7e – 2e chambres réunies, 27 mai 2020, n° 435982